Ce temps est bien étrange et riche en paradoxes. Tenez, parlons repas, par exemple.
La tendance, chez les gens soucieux de leur bonne santé, est de pratiquer le jeûne fractionné.
Cela consiste à demeurer seize heures sans rien manger de solide. Au choix, on saute le petit déjeuner ou le repas du soir. Il paraît que c’est bon pour lutter contre le mauvais cholestérol, pour avoir le corps svelte et l’esprit clair. On en trouve même beaucoup, chez les jeunes femmes particulièrement, qui, de surcroît, se font vomir le peu qu’elles avalent et pèsent chaque gramme de cette nourriture qui les obsède.
En face, je veux dire grosso modo à l’autre bout de l’échelle sociale, on trouve des gens qui sautent des repas par nécessité et, eux, ne s’en trouvent pas bien du tout.
C’est un premier paradoxe ; j’aborderai le second plus loin.
Comme les marrons et les feuilles mortes reviennent à l’automne, les chiffres du « baromètre de la pauvreté » établis par Ispos pour le Secours populaire. Chaque année plus dramatiques, ils nous apprennent, cette fois, que « 14 % des Français sautent certains repas et 25 % se restreignent sur la quantité de ce qu’ils mangent. Chez les plus précaires, ceux dont le revenu mensuel net du foyer s’élève à moins de 1.200 euros, les pourcentages atteignent respectivement 38 % et 46 %. »
Le Parisien est allé enquêter dans un libre-service solidaire qui aide 450 foyers, chaque semaine.
On y rencontre « des mères célibataires sans travail, des chômeurs en fin de droits ou des retraités aux modestes pensions. Souvent des gens isolés qui ne peuvent pas être dépannés par leurs familles dès que le frigo sonne creux. » Le constat est sinistre : « Des centaines de milliers de citoyens aux faibles ressources ne peuvent quotidiennement manger à leur faim, condamnés à rester le ventre vide ou à s’alimenter avec des produits bradés mais de très mauvaise qualité. »Les demandes d’aide alimentaire ont explosé durant le confinement : pas d’école, donc pas de cantine (parfois gratuite) et, donc, des enfants affamés. L’arrêt forcé de l’économie a plongé des milliers de gens – notamment ceux dont l’emploi n’était pas déclaré – dans la misère noire. En août dernier, on recensait une hausse d’environ 30 % des familles inscrites à l’aide alimentaire, en région parisienne. Ce sont bien souvent les petites mains du ménage chez les particuliers, celles qui prennent le métro aux aurores pour aller passer la serpillière dans les « open space » de La Défense ; ce sont les grouillots des cuisines de milliers de restaurants qui ne rouvriront pas, les nounous d’enfants qui ne sont plus à garder, puisque papa-maman « télétravaillent »…
Reste une question, et c’est le second paradoxe : où passe donc ce « pognon de dingue » – Emmanuel Macron dixit – que le gouvernement distribue à gogo depuis la crise des gilets jaunes ? Où sont-ils, ces milliards lâchés dans la nature ? Pour qui, pour quoi ?
J’ai mauvais esprit, une fois encore, mais je regarde et je constate : toutes les photos et reportages consacrés à ce sujet de la faim, de la misère, du « mal-logement », comme on dit aujourd’hui, nous présentent une écrasante majorité de gens issus de l’immigration. Beaucoup de femmes seules avec leurs enfants dont les pères ont disparu de la circulation…
Qu’il s’agisse de délinquance, de chômage, de misère… la France, encore et toujours, refuse les statistiques ethniques. Elles seraient pourtant peut-être utiles, et pas seulement pour pratiquer le « testing » à l’entrée des boîtes de nuit (quand elles rouvriront).
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