Étienne Gernelle, du Point, appelle cela « Macron ou la tentation de la Pravda », et fait part de son inquiétude.
De fait, les projets qu’Emmanuel Macron forme pour « améliorer » les médias et qu’il a confiés candidement la semaine dernière dans son bureau à une poignée de journalistes laissent songeur : « Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’État doit financer. (…) Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part là, la vérification de l’information, il y ait une forme de subvention publique assumée (…) ».
Selon Étienne Gernelle, ce n’est rien d’autre qu’appeler de ses vœux une « nationalisation partielle de la presse ».
La logique est limpide : puisque l’information est le « bien public », les médias procèdent du service public, pardi.
Au même titre qu’un hôpital.
On vous remettra gentiment dans l’axe vos pensées tordues, vos raisonnements de travers, comme l’on réduit une fracture.
Sur le coup c’est un peu douloureux, puis on oublie : le service d’orthodoxie ?
En haut à droite, à côté de l’orthopédie.
Et si vous ne voulez pas vous alimenter on vous mettra sous perfusion.
Pour votre bien, bien sûr.
Comme si l’information, un peu comme les codes nucléaires, était propriété exclusive de l’État, qui la déléguerait avec componction à des journalistes de confiance dûment choisis.
Comme si, par nature imparfaite, impossible à appeler vérité – car il faudrait être un démiurge omniscient et ayant don d’ubiquité pour en avoir une vision complète et sans biais – elle n’était pas, au contraire, la somme de plusieurs forces opposées.
Comme si elle ne s’érigeait pas, cathédrale jamais achevée, grâce à des contreforts se faisant face et dont les poussées s’annulent, qui tous réunis s’appellent la pluralité de la presse.
D’autant que soyons clairs : cette nationalisation partielle existe de fait déjà.
Via les chaînes de télévision publiques.
Via « le système des aides à la presse », dont Wikipedia nous dit qu’il a été mis en place pour « tenter de favoriser un certain pluralisme du paysage médiatique, donnant ses chances aux nouveaux titres et un choix réel aux lecteurs ».
Comme disait mon grand-père, mieux vaut entendre ça qu’être sourd.
La vérité est que le « pluralisme », les « nouveaux titres », et le « choix réel », c’est très gentil, merci, mais le Français va désormais les chercher tout seul comme un grand, notamment dans les médias alternatifs relayés par les réseaux sociaux, qui n’existent que par le succès qu’ils rencontrent et par la ténacité d’une petite équipe n’ayant jamais compté sur l’État pour vivre : si l’on rapporte la fréquentation à la taille de la rédaction, ces attelages ressemblent à un porte-avion sur un vélo.
Et c’est mille fois plus sain.
Car c’est ainsi, ma brave dame, que fonctionnent toutes les entreprises : par la loi de l’offre et de la demande.
Pourquoi les journalistes seraient-ils mieux lotis que les autres Français ?
Pourquoi la loi du marché ne leur serait pas imposée ?
Lorsque le charron n’a plus eu de roue à rafistoler il a plié boutique.
Lorsque le maréchal-ferrant a perdu ses clients, il s’est reconverti, comme la détaillante de gaines et de corsets : soit elle se mettait au soutien-gorge et bas nylon, soit elle disparaissait.
Mais la presse papier, elle, pourrait continuer à exposer ses vieux rossignols, ses idées sentencieuses usées jusqu’à la corde qui ne convainquent plus personne, ses experts démonétisés, sans se préoccuper de savoir si elle va les fourguer, puisque la manne de l’État est là pour payer… avec ce que la Cour des comptes appelait pudiquement en février 2018, « une transparence insuffisante ».
Dans le Grand débat, on peut tout proposer n’est-ce pas ?
Alors si l’on supprimait cette indéfendable dépense publique – 1,2 milliards environ – pour la reverser par exemple… aux EHPAD ?
Et ce ne serait que justice car c’est cette génération qui était abonnée à cette presse-là.
Gabrielle Cluzel
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