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lundi 24 juin 2019

Erdogan, le début de la fin?

 
 
 
Le président Erdogan (à gauche) et le nouveau maire de la ville, Ekrem Imamoglu (à droite) accompagnés de leur femme lors du vote, dimanche à Istanbul. AFP / AFP
 
Le candidat de l’opposition a gagné l’élection dans la ville où le président turc a bâti son pouvoir.
Recep Tayyip Erdogan avait prévenu ses partisans en août 2017.

 «Si nous calons à Istanbul, nous trébucherons en Turquie. Mais si nous tenons fermement Istanbul, alors aucune force ne pourra nous détruire, ni en Turquie, ni dans le monde.»
Il est encore beaucoup trop tôt pour prédire l’avenir politique du chef de l’État, au pouvoir depuis 17  ans, mais ses craintes se sont confirmées: dimanche soir, son Parti de la justice et du développement (AKP) a «calé» à Istanbul.

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L'ancien premier ministre Binali Yildirim, candidat de l’AKP à la Mairie de la plus grande ville turque, a échoué face à l’opposant Ekrem Imamoglu, que peu de Stambouliotes connaissaient il y a six mois.
Selon des résultats non officiels, alors que la quasi-totalité des bulletins avaient été dépouillés dimanche, ce dernier l’emportait avec 54 % des suffrages, contre 45,1 % pour son rival.
«C’est une nouvelle page, un nouveau début pour Istanbul, a lancé Ekrem Imamoglu à l’annonce des résultats. Toute la Turquie a gagné et bientôt, croyez-moi, tout le monde le ressentira», a promis l’opposant, dans un message aux électeurs du parti au pouvoir et à son candidat, Binali Yildirim, qui venait de le féliciter depuis le siège stambouliote de l’AKP.
Recep Tayyip Erdogan lui a emboîté le pas, saluant laconiquement «la manifestation de la volonté nationale».
Pour le parti du président, la défaite est d’autant plus dure que c’est la deuxième en deux mois.
Lors d’un premier vote, le 31 mars, Ekrem Imamoglu avait dominé le scrutin de 13.729  voix dans une mégapole de 10,5 millions d’électeurs.
Arguant d’irrégularités, Recep Tayyip Erdogan avait pesé de tout son poids pour obtenir un nouveau vote, qu’il comptait bien gagner.
Ce fut une erreur tactique, peut-être la plus lourde de sa carrière politique.
Non seulement l’AKP a perdu, mais l’écart s’est considérablement creusé entre les deux  scrutins. Ekrem Imamoglu triomphe, cette fois-ci, avec plus de 770.000  voix d’avance.
Le taux de participation (84 %) est resté inchangé.
Le pouvoir a échoué à mobiliser ses électeurs, notamment ceux de la classe moyenne qui votaient AKP, moins par idéologie que par intérêt économique, et qui ont vu leur pouvoir d’achat chuter ces dernières années.
De son côté, Ekrem Imamoglu a bénéficié du retrait de quelques petits candidats de la gauche et du centre, et du sentiment d’injustice qu’avait suscité - bien au-delà des rangs de l’opposition - l’invalidation de sa première victoire.
L’homme politique de 49 ans, membre du Parti républicain du peuple (CHP) et maire depuis cinq ans d’un arrondissement d’Istanbul, a dérouté tous les stratèges du parti au pouvoir en imposant un style auquel Recep Tayyip Erdogan n’était pas habitué.

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Le chef de l’État turc est un boxeur de la politique, dopé aux polémiques, à la provocation et au coup d’éclat permanent.
Ceux qui ont essayé de monter sur son ring pour livrer un combat frontal s’y sont cassé les dents. Muharrem Ince, principal rival d’Erdogan à la présidentielle de juin 2018, était tombé dans le piège, avant de sombrer dans l’oubli.
Ekrem Imamoglu, au contraire, a évité comme il l’a pu d’entrer dans ces querelles, se forgeant une image d’homme combatif mais calme.
L’opposition, qui promet depuis des années de redonner aux Turcs un peu de sérénité, l’a fait pour la première fois avec un candidat… serein.
Il fallait y penser.

Dynamique anti-AKP

Mais l’attitude n’explique pas tout.
Jamais Ekrem Imamoglu n’aurait remporté cette victoire sans l’alliance scellée entre sa formation sociale-démocrate et les nationalistes du Bon Parti (Iyi).
Et jamais cette alliance ne l’aurait emporté sans l’appui des prokurdes du Parti démocratique des peuples (HDP), qui ne présentait pas de candidat et avait appelé à voter Imamoglu.
Quelques jours avant le scrutin, le pouvoir avait pourtant joué son va-tout pour convaincre les Kurdes: Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dans un message avait appelé les électeurs du HDP à s’abstenir dimanche.
La plupart ne l’ont pas écouté.
Ekrem Imamoglu a donc bénéficié d’une dynamique anti-AKP.
Il doit sa conquête d’Istanbul au renfort d’électeurs qui ont au moins autant voté pour lui qu’ils ont voté contre Recep Tayyip Erdogan et son régime hyperprésidentiel.
Un régime aussi puissant politiquement qu’il semble impuissant à régler les problèmes économiques dont souffrent la plupart des Turcs.
Cette union d’intérêt des anti-Erdogan autour d’un visage crédible, c’est l’équation gagnante que recherchait l’opposition depuis presque 20 ans.
Et que beaucoup rêvent déjà d’appliquer à toute la Turquie.

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Anne Andlauer

lefigaro

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