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mardi 29 mars 2022

Guerre d’Ukraine: Lundi 28 mars 2022 – Jour 33 – Fin de soirée


 


parEdouard Husson
29 mars 2022

Le Courrier des Stratèges publie quotidiennement un bilan de l’évolution de la Guerre d’Ukraine. Avec une double perspective, croisée: la guerre sur le terrain; et le conflit stratégique global que les Etats-Unis essaient d’organiser contre la Russie – en prenant le risque très clair d’une escalade entre puissances nucléaires. Nous sommes dans une "crise des missiles de Cuba" au ralenti. L'instinct de survie et l'intelligence l'emporteront-ils sur le potentiel d'auto-destruction de l'humanité?
 
 

La bataille d’Ukraine

Ce qui se joue en ce moment sur le terrain autour de Kiev est une illustration de la stratégie russe. La plupart des médias occidentaux annoncent – pour la n-ième fois – que, nous y sommes, l’armée russe commence son assaut sur Kiev. Et après cela on reprend des communiqués de l’armée ukrainienne qui expliquent que l’armée russe a été mise en échec ou même a dû reculer. 

En fait, comme nous l’avons expliqué il y a quelques jours, le but premier de l’armée russe n’est en aucun cas de se lancer dans la conquête de Kiev, qui serait très coûteuse en soldats russes et en civils ukrainiens. 

Depuis le début de l’offensive, l’objectif de l’armée russe a été (1) de fixer là où elles se trouvaient les forces de l’armée ukrainienne. (2) de détruire tout ce qui permettrait la mobilité des soldats ou le transport d’armes d’une région à l’autre. (3) de détruire les entrepôts d’armes et de munitions, les garages de véhicule, les postes d’artillerie et la DCA ennemie. (4) de détruire non seulement les aéroports mais l’aviation ennemie. 

Outre la concentration de troupes au ukrainiennes au Donbass, le reste des troupes ukrainiennes a été attiré par le regroupement des troupes russes, de longues semaines juste de l’autre côté de la frontière, en Biélorussie ou en Russie. 

La stratégie a marché au-delà de l’attente russe: 

  • en quelques jours, deux tiers de l’aviation et 90% des pistes d’aéroport avaient été détruits. 
  • nulle part les troupes ukrainiennes n’ont essayé d’échapper aux mouvements d’encerclement dont elles étaient l’objet. Au contraire, elles ont eu tendance à se réfugier dans les villes, en espérant que l’armée russe viendrait les en déloger au prix de nombreuses pertes civiles qui pourraient être l’objet d’une couverture médiatique intense. 
  • Mais l’armée russe n’est pas tombée dans le piège. Elle n’attaque les villes que dans des cas comme Marioupol, lorsque négociations et propositions de redditions ont échoué. Ailleurs, elle encercle les villes, bloque ou détruit des axes ferroviaires et contrôle les carrefours et les noeuds routiers.  

L’étau se resserre peu à peu. C’est ce qui se passe en ce moment dans la région de Kiev: la ville est encerclée de tous les côtés, sauf au sud. Et les troupes russes ont commencé à avancer dans cette direction: 

Les troupes russes tentent d’avancer vers le sud de la capitale, mais elles se heurtent à la résistance farouche des unités de l’AFU déployées dans la région et soutenues par des combattants étrangers. Compte tenu de l’intensité des activités militaires, les troupes russes ne sont pas pressées de percer la défense ukrainienne.

En d’autres termes, les forces militaires russes ne sont pas rejetées, mais continuent lentement à prendre la capitale en anneau.

Les affrontements les plus violents se poursuivent à Irpen, Buchа et Gostomel. Les troupes russes ont coupé l’autoroute E-40 et contournent Irpen sur le flanc ouest. Elles ont probablement pour objectif d’atteindre la ville de Vasilkov située au sud-ouest de Kiev. L’assaut de la ville n’est très probablement pas prévu. Il suffit de prendre les principaux échangeurs de transport dans la région de Vasilkov. Après l’assaut de Vasilkov, la tâche principale sera d’atteindre la ville d’Obukhov afin d’encercler Kiev. Néanmoins, la Russie ne se fixe pas comme tâche d’occuper Kiev et les villes autour de la capitale.

Dans le même temps, les troupes russes envoient des renforts militaires sur les lignes de front à l’est de la capitale, vers Brovary, où les affrontements se poursuivent. Les principales lignes de front se trouvent près des villages de Kalinovka, Skibin, Velikaya Dimerka. L’autoroute E-95 reste sous contrôle russe et les renforts sont envoyés depuis la direction nord-est.

Les troupes russes sont actives dans la direction de Krasilovka-Trebukhov, et tentent d’encercler la ville de Brovary depuis la direction sud-est le long de l’autoroute E-95. Elles ont pour objectif de se déplacer plus au sud vers Boryspil..

C’est là que l’armée ukrainienne affirme avoir repoussé victorieusement les forces russes et même reconquis du terrain. Il y a quelques jours, de semblables informations n’avaient pas été confirmées. En attendant de savoir, on soulignera  quatre points: 

  • dans la région de Kiev, il y a des combattants étrangers qui peuvent donner du fil à retordre aux troupes russes. 
  • la puissance de feu des troupes ukrainiennes demande un acheminement de renforts et des livraisons plus rapides de carburants. 
  • l’armée russe contrôle l’espace aérien. 
  • le mouvement des troupes russe aide à localiser des regroupements de troupes, des batteries d’artillerie  ou des stocks d’armes qui peuvent être alors la cible de tirs de missiles de précision. 

Il valait la peine de détailler ce jour ce qui se passe autour de Kiev. Mais le plus gros de la bataille d’Ukraine se déroule ailleurs

  • – Des cibles au sud de Nikolaev sont en cours de destruction.
    Les kiéviens accumulent des troupes au sud de Nikoalev, probablement pour lancer une contre-offensive sur les positions russes.
  • – Un certain nombre de cibles ont été attaquées au missile de croisière autour de Jitomir (ouest de Kiev)
  • Un dépôt pétrolier au nord-ouest de Rovno a été touché par un missile Kalibr.

+ La guerre ressemble toujours à une pièce de Shakespeare. Des moments de comique absurde rythment les épisodes de la tragédie. Aujourd’hui on a vu à Marioupol le général de division russe Mordvitchev que l’armée ukrainienne avait déclaré mort voici quelques jours.  

+ L’Europe de l’Ouest redoutait l’irruption des Cosaques au XIXè siècle. Désormais ce sont les Tchétchènes qui jouent ce rôle. Kadyrov est arrivé à Marioupol et c’est lui qui dirigerait les derniers combats contre le bataillon Azov. Là nous sommes dans la guerre atroce qu’ont voulue la composante fasciste de l’armée ukrainienne: les combats vont se dérouler maison par maison. Et les troupes de Kadirov ont l’ordre de “ne pas faire de prisonniers”. 

+ L’armée russe n’exclut pas un “deuxième Marioupol” à Slaviansk. Pour l’éviter ou le limiter autant que possible, une frappe de missiles russe y  a détruit vendredi 25 mars une usine d’embouteillage de “sodas” où s’étaient retranchées des troupes ukrainiennes. 

+ Après la détestable impression faite par les vidéos de tortures et d’humiliations de prisonniers russes, “Le commandement des forces armées ukrainiennes a interdit la diffusion sur le réseau d’enregistrements de tortures et d’exécutions de prisonniers de guerre et d’opposants au régime de Zelensky“, 

+ Une vidéo, ce soir, montre des hommes ukrainiens interrompant une messe orthodoxe russe à Smela près de  Tcherkassy et emmenant le pope de force hors de l’Eglise. 


Le front uni autour des Etats-Unis commence à se fissurer

La médiocrité de beaucoup de reportages et d’enquêtes ne doit pas empêché de voir les pépites: Anne-Laure Bonnel (désormais harcelée, ainsi que son équipe pour avoir parler du comportement des Ukrainiens au Donbass); Erik Tegner qui s’est rendu à Marioupol et dans la région; ou l’infatigable Dilyana Gaytandzhieva, auteur d’une enquête approfondie sur les livraisons d’armes venues de Bulgarie à l’Ukraine en 2020 et 2021. A lire absolument. 

+ Dans la dialectique entre le mot et la chose qui caractérise l’histoire humaine, les Occidentaux se sont, depuis trente ans, tellement payés de mot, qu’ils doivent subir aujourd’hui la “vengeance des choses”, le retour du réel. Mettez “principe de réalité” à la place de “Russes” ou Russie” ou “Poutine” dans beaucoup de déclarations occidentales, et vous serez surpris de voir ce qui est révélé: la panique de nos dirigeants devant le retour du réel. Le déni de réalité. Sergueï Lavrov comprend bien cela lorsqu’il déclare: “”Je ne voudrais pas voir de navette diplomatique de la part de nos collègues occidentaux, car ils ont déjà fait leur travail de navette en février 2014 en Ukraine et en février 2015 à Minsk. Maintenant, ils nous disent : ‘donnez une chance à la diplomatie’. Bien sûr, nous voulons donner une chance à la diplomatie, c’est pourquoi nous avons accepté de reprendre les discussions maintenant à Istanbul. Cependant, il existe une multitude d’exemples de la façon dont les réalisations diplomatiques ont été ruinées par nos collègues occidentaux. Nous ne pouvons plus leur faire confiance“. 

+ Le front uni américain en Europe se fissure-t-il? Il semble que les propos de Biden traitant Poutine de “boucher” et appelant à un renversement du président russe soient mal passés à Paris et Berlin. Et ceci d’autant plus que – nous l’expliquions hier –  les deux pays autrefois “moteurs” de l’Union Européenne acceptent mal que les Etats-Unis passent par-dessus leur tête pour s’appuyer sur la Pologne, la Turquie et Israël quand il s’agirait de trouver eune solution négociée au conflit. 

+ Même chose sur le front “indo-pacifique”. On lira cet intéressant commentaire du double événement des derniers jours: la visite du Ministre chinois des Affaires étrangères en Inde et le report sine die du sommet de l’ASEAN autour de Joe Biden. 

+ Les Occidentaux ont-ils déjà laissé tomber l’Ukraine? La Banque Centrale ukrainienne n’a plus de quoi financer l’armée. 

+ Cependant l’armée russe se méfie des provocations qui pourraient être mises en scène par les Occidentaux. Une fausse attaque chimique qui justifierait une frappe de l’OTAN. De nombreuses rumeurs circulent, en particulier concernant Nikolaïev.  Dans le genre bon gros scénario sensationnel, on a aussi la rumeur selon laquelle les Russes auraient chercher à empoisonner des membres de la délégation ukrainienne qui va négocier demain 29 mars en Turquie. 


Le 31 mars, le vaisseau spatial occidental rentre dans l'atmosphère....il va falloir payer le gaz en roubles...

 

+ J’avais manqué ce morceau d’anthologie, la déclaration du Ministre chrétien-démocrate de l’agriculture de Bade-Württemberg, Peter Hauk, qui souhaite que l’on cesse toute importation de gaz et de pétrole depuis la Russie: “On peut supporter 15 degrés en hiver avec un pull. Personne n’en meurt“. Regardez bien sa photo (ci-dessus). C’est le moment de citer Thierry Lhermitte dans notre film favori: “Une belle tête de vainqueur!”

+ De fait, les gouvernants européens refusent la demande formulée par le gouvernement russe de payer désormais les transactions énergétiques en roubles. devant ce refus, la Russie a précisé la date pour le basculement dans le nouveau système de paiement: le 31 mars

+ Le rouble se redresse face au dollar (voir le graphique en tête du présent article). 

+ Ruée sur les commerces d’alimentation en Grèce. La population fait des provisions en voyant revenir le spectre des pénuries de 2010-2014. Je propose une mission de parlementaires allemands – en particulier chrétiens-démocrates – pour apprendre des Grecs comment on traverse une crise provoquée par votre gouvernement et vos alliés occidentaux.  

+ Le gouvernement français veut nous priver de l’accès à l’information. Mais avec un VPN, on peut continuer à lire les médias sanctionnés. On apprend ainsi que l’Inde et la Russie devraient avoir installé la semaine du 3 avril un système de paiement direct entre rouble et roupie. En réalité, comme aide à comprendre le Times of India, les transactions en devises des deux pays ont commencé dès les sanctions de 2014 contre la Russie. Il s’agit de consolider et d’élargir le système.  

+ Les sanctions, c’est plus compliqué que ça n’en a l’air: “Le Japon ne pourra pas confisquer les réserves d’or et de devises de la Banque centrale de Russie en raison de l’absence de législation appropriée. C’est ce qu’a annoncé le ministre des Finances du pays, Shinichi Suzuki, rapporte l’agence TASS. Le ministre des Finances a expliqué qu’à ce jour, la législation japonaise, y compris la loi sur la Banque du Japon, ne comporte aucune disposition permettant de réquisitionner les réserves en devises des banques centrales étrangères, qui sont stockées au Japon. Auparavant, les autorités japonaises avaient annoncé l’interdiction d’exporter des produits de luxe vers la Fédération de Russie.

Pendant ce temps, les sénateurs américains, ainsi que la secrétaire au Trésor américaine Janet Yellen, ont annoncé leur intention de discuter d’un projet de loi impliquant le blocage des réserves d’or et de devises russes. Dans le même temps, la Banque de Russie a assuré que tout l’or des réserves d’or et de devises étrangères est stocké dans le pays“.

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