Vers l’insurrection dans les banlieues ? Confidences de policiers et éducateurs des territoires perdus du confinement
Tirs de mortiers, émeutes,
trafics... Depuis le début de la ‘‘guerre sanitaire’’, la délinquance
gangrène quelques bataillons des quartiers dits-populaires.
Sous les feux croisés de l’ordre et de l’apaisement, certains agents de l’Etat craignent un scénario proche des événements de 2005.
Educateurs spécialisés et policiers décrivent le climat dans les ‘‘quartiers’’.
Sous les feux croisés de l’ordre et de l’apaisement, certains agents de l’Etat craignent un scénario proche des événements de 2005.
Educateurs spécialisés et policiers décrivent le climat dans les ‘‘quartiers’’.
Un siècle et demi plus tard, les mots du célèbre écrivain résonnent encore avec une acuité particulière dans tout l’Hexagone.
Depuis maintenant deux ans, les manifestations des Gilets jaunes et les grèves contre la réforme des retraites ont assurément signé le retour définitif de la violence politique.
Jusqu'alors, les banlieues étaient les grandes absentes de ce ré-ensauvagement de la rue.
Aujourd’hui, alors que la France s’embourbe dans le confinement, la poudrière des “quartiers” pourraient bel et bien exploser...
C’est en tout cas une éventualité qui semble effrayer les autorités.
Le 26 mars dans Marianne, l’ancien préfet et spécialiste des banlieues Michel Aubouin délivrait un témoignage glaçant : « Quand on connaît la situation de ces territoires, il paraît évident que le confinement les met particulièrement en tension et que l’on peut redouter une explosion ».
En conséquence, la semaine dernière, les patrouilles de police dans les banlieues ont reçu comme consigne d’agir avec « discernement ».
Certes, le contenu de cet ordre peut de prime abord laisser songeur.
Pourtant, le message est clair : craignant des débordements sans précédent, les autorités s’en remettent à l’adage du président Jacques Chirac, « il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu ».
Entre maintien de l’ordre public et politique d’apaisement
Avec cette stratégie d’apaisement, l’éternel problème des banlieues continue de se poser chez les forces de l’ordre.
Un gardien de la paix actuellement en région parisienne témoigne : « Les collègues sont constamment tiraillés entre le boulot et la consigne de ne pas envenimer les choses. C’est de la politique », explique-t-il.
« Ces quartiers-là ont tendance à être plus violents, on a l’habitude d’être en confrontation permanente. Avec le confinement, le rejet habituel de l’Etat est décuplé par les problèmes de commerce parallèle. Cependant, les tirs de mortiers ne sont pas seulement dus au coronavirus... Si ça n’avait pas été le confinement, ils l’auraient fait pour autre chose ! », s’exclame le jeune agent, visiblement agacé.
Interrogé sur la possibilité d’émeutes d’envergure dans les banlieues, le policier est loin d’exclure cette possibilité : « J’espère que nous n’en arriverons pas là. Il faudrait un confinement plus strict et plus court. Si la situation s’éternise, je crains non seulement des tensions dans les banlieues, mais surtout un ras-le-bol général... ».
Il poursuit : « Je ne sais pas ce qui pourrait être efficace. Nous avons affaire à des jeunes de 13 à 25 ans qui pensent vivre dans un clip de rap. Ils se prennent pour des gangsters. Quand on les interpelle, ils ressortent 4 heures après ou ne sont jamais condamnés. C’est un problème structurel et de mentalité, que la police, les médiateurs ou les professeurs seuls ne pourront jamais régler », conclut-il.
Selon ce gardien de la paix, le sentiment d’impuissance face à la situation des banlieues est aujourd’hui couplé à un agacement face au deux poids deux mesures.
Récemment, une jeune policière de 23 ans a été victime d’une agression grave dans une cité de Beauvais.
Alors qu’elle s’apprêtait à contrôler une dizaine d’individus, la jeune femme a reçu une brique en pleine tête.
La gardienne de la paix a été ramenée quelques instants plus tard à l’hôpital, dans un état critique. « Ça a été relayé 5 minutes dans les médias. Par contre, les affaires de violences policières en banlieue qui datent d’il y a 10 ans, on en entend encore parler ».
Concernés par le manque de matériel de protection sanitaire et la violence aux quotidien, les policiers ont déjà manifesté leur mécontentement à travers leurs syndicats.
Dans un communiqué, Unsa police alerte Christophe Castaner : « Le ministère de l’Intérieur doit en sa qualité d’employeur protéger ses agents. Ça tourne en rond, rien n’avance ! C’est scandaleux ! Pas de protection implique [qu’il n’y aura] pas de contrôle, pas de verbalisation, pas d’accueil dans les services ».
Après les appels au calme de l’Etat envers ses forces de l’ordre et les menaces d’utilisation du droit de retrait de ces dernières, la situation parait plus hasardeuse que jamais dans les banlieues.
Des éducateurs spécialisés abandonnés par leur hiérarchie
Dans ces moments d’impasse politique, les éducateurs spécialisés sont systématiquement en première ligne pour apaiser les tensions qui agitent les « territoires perdus de la République ».
A l’inverse du gardien de la paix S., éducatrice de région parisienne, ne s’inquiète pas quant aux craintes d’émeutes en banlieue : « Pour le moment, je n’ai rien vu d’anormal ou de changé ».
Néanmoins, son quotidien n’en demeure pas moins difficile : « Nous connaissons certes des moments formidables, mais nous sommes surtout habitués à vivre avec l’échec et la frustration. Il y a un véritable sentiment d’impuissance chez nous aussi », explique-t-elle sur un ton maussade.
«Vous savez, ça n’est pas toujours facile de se réveiller tous les jours pour aller se faire insulter. Il arrive souvent qu’on aille au travail à reculons. »
Depuis le début du confinement, la tâche déjà laborieuse des éducateurs semble être devenue plus rude encore.
Dans son foyer dédié aux mineurs délinquants, l’éducatrice et son équipe sont confrontés chaque jour à des problématiques liées aux nouvelles mesures sanitaires.
A l’instar de beaucoup de Français sommés d’outrepasser le confinement, le personnel des foyers n’est en aucun cas équipé en gel, masques ou respirateurs.
D’après S., cette situation expose les éducateurs à de très hauts risques de contagion, notamment au contact d’enfants peu respectueux du confinement.
Parmi les quatre mineurs présents dans l’établissement, seul un a pu être renvoyé chez ses parents. Pour les autres, cette option s’est avérée impossible : « Il y a beaucoup de “gamins” qui n’ont pas ou simplement plus de familles ».
Dans le foyer, des « gosses » ont été recueillis après avoir été écartés de leur cercle familial, jugé « violent ou insalubre ».
Dans d’autres cas, la prétendue absence de famille prend ses racines dans des problèmes plus politiques.
Comme en témoigne l’exemple de H., Somalien arrivé il y a peu en France, certains sont placés en foyer grâce à de véritables mascarades juridiques.
La jeune recrue du foyer explique : « H. est reconnu mineur, même s’il est sûrement plus vieux que moi... Ce genre de cas arrive assez fréquemment. Les juges font en sorte qu’ils soient mineurs sur le plan administratif pour leur donner plus de temps pour s’insérer ».
En réalité, sa famille est restée en Somalie et ce dernier ne bénéficie pas d’autre logement que le foyer.
« On en a un autre qui a fugué pour aller dealer aux alentours du foyer. Celui-là a été placé en famille d’accueil depuis un moment... trop violent. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grave problème : sa famille ne veut plus le reprendre. Ils ont peur qu’il soit contaminé. »Non contents d’héberger les “jeunes” en pleine pandémie, les éducateurs peinent également à leur faire respecter le confinement.
« Lorsqu’on est éduc’, il faut faire avec l’environnement des “gamins”, leur culture... », raconte l'un d'eux.
« Cela prend un temps considérable de les faire se réinsérer, de régler leurs problèmes de cannabis, d’alcool, ou de substances plus dangereuses encore. Par exemple, il y a cette drogue, le Rivotril, qu’ils appellent “dame courage”, car elles les poussent à braver leur peur lors des vols ou autres exactions. En plus de tout cela, il faut aussi faire face à leur “appel de la rue” ».
Pour beaucoup, cet appel de la rue se traduit souvent en appel du business.
Fréquemment en contact avec des dealers dans son foyer, S. témoigne : « La mère du “gamin” qu’on a renvoyé chez ses parents nous a contacté toute la semaine dernière. Malgré les interdictions, son fils n’a pas arrêté de fuguer. Selon nos informations, il sortirait pour aller “vendre” autour de chez lui. » déplore-t-elle, défaite.
« On en a un autre qui a fugué pour aller dealer aux alentours du foyer. Celui-là a été placé en famille d’accueil depuis un moment... trop violent. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grave problème : sa famille ne veut plus le reprendre. Ils ont peur qu’il soit contaminé. On ne sait vraiment pas ce qu’on va faire... ».
Si S. n’est pas particulièrement inquiète quant à la possibilité d’une insurrection, elle affiche volontiers son désespoir.
« L’Etat n’a plus aucune autorité dans les quartiers. C’est comme ça depuis le début » soupire-t-elle, dépitée.
A entendre son témoignage, un maillon supplémentaire semble être sur le point de se briser dans la fonction publique.
Actuellement en arrêt de travail, cette dernière est « à bout ».
Selon ses dires, « la hiérarchie est absente et les chefs de service ne sont pas formés. Tout le monde veut partir. C’est la première fois que je me demande si je veux changer de travail ».
valeursactuelles
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.