Pauvres soldats. Pas de bol, les gars. Vous ne comptez pas.
Le 8 juin, c’est la journée nationale d’hommage aux morts pour la France en Indochine.
Elle a été instituée par le décret du 26 mai 2005.
Et on n’a pas prévenu Emmanuel Macron ! C’est malin, personne ne lui dit rien.
À l’heure où j’écris ces lignes, son dernier tweet évoque sa conférence de presse du 7 juin avec le Premier ministre du Danemark : « Le pari réussi du Danemark est aussi notre défi. Libérer les énergies et protéger chacun et chacune. »
Pour les morts en Indochine, on repassera.
Le défi énergétique du Danemark a quand même autrement plus de gueule et, en plus, concerne au premier chef les Français.
Pauvres soldats.
Pas de bol, les gars.
Vous ne comptez pas.
Quand les pertes militaires françaises en Indochine sont évaluées à plus de 47.000 soldats.
De quoi éteindre la tour Eiffel jusqu’à la prochaine présidentielle.
Mais il est écrit que la France ne vous aime pas.
Les pères de ceux qui nous gouvernent depuis des années appelaient votre combat « la sale guerre », traitaient les courageux gamins que vous étiez d’assassins, et certains, parmi les plus virulents, avaient exigé que la collecte publique de sang ne soit pas destinée à vos blessés.
Pauvres soldats, il est vrai que moi-même je ne vous connaîtrais pas, ou si peu, si l’on ne m’avait fait découvrir, adolescente, Jean-Pax Méfret – le Johnny des réacs et des conservateurs de 7 à 77 ans (je dis ça pour être sympa avec les journalistes des Inrocks ou de Libé qui doivent se cogner la prochaine enquête sur « l’enfer de la fachoshère » ; ils sont toujours, les biquets, si mal renseignés…).
L’Indochine – mes profs d’histoire n’ayant jamais vu l’intérêt de s’y attarder -, je n’en avais entendu parler que par L’Amant, de Marguerite Duras, en cours de français, et ce refrain qu’entonnait, toujours à contretemps, un militaire de ma famille à la fin des dîners arrosés : « Marie-Dominique que foutais-tu à Saïgon ? », question dont je n’ai toujours pas la réponse, car il n’allait jamais plus loin.
C’était bien la France, pourtant, qui vous avait envoyés vous y faire tuer… et pire encore, car certains de vos camarades – qui le sait ? – n’ont jamais été retrouvés.
Et c’était bien la France, aussi, qui tolérait que vous vous fassiez, pour ce sacrifice consenti, insulter. Puisque la mode est à exiger de notre pays repentance, si l’on faisait un concours, vous ne devriez pas être trop mal classés dans le Top 50 des outragés, des entubés, des oubliés.
Mais ce n’est pas trop votre style.
Ni même celui de vos descendants ou de ceux qui se reconnaissent, par le goût de votre métier, une filiation spirituelle.
Loin de râler ou de revendiquer, ils s’engagent.
Partent en OPEX.
Prêts à mourir, comme vous, loin de leur famille, pour la France qu’ils aiment, comme vous encore, envers et contre tout.
Même si celle-ci ne leur en est pas tellement reconnaissante.
Même si celle-ci sabre leur budget.
Même si elle a les yeux de Chimène pour d’autres jeunes qu’eux.
Pauvres soldats, vous méritiez pourtant bien, en ce 8 juin, un tweet du président de la République.
Au moins autant que la politique énergétique danoise.
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