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dimanche 16 juillet 2023

[Point de vue] Quand Libé enquête sur Franck Ferrand…


 

Arnaud Florac 15 juillet 2023

C'est curieux, chez les gens de gauche, ce besoin de faire des listes. 

C'est curieux, chez les gens tolérants, ce besoin de juger, et chez les défenseurs de la démocratie, cette rage d'exclure. 

Voyez Libé, par exemple. Les journalistes de ce quotidien indispensable à l'équilibre du journalisme voulaient faire un portrait de Franck Ferrand, commentateur du Tour de France et habitué des émissions historiques. Il n'a pas voulu, puis pas pu les rencontrer, ni à Paris, ni à Clermont-Ferrand - c'est d'ailleurs l'occasion pour l'illustre inconnu Quentin Girard, « correspondant sur le Tour », de caler un petit passage cuistre (mais assez bien tourné) sur le film Ma nuit chez Maud, qui se passe à Clermont, puisque évidemment, il n'y a que le lectorat de Libé qui regarde encore Rohmer. On est en famille.

Franck Ferrand n'est pas disponible ? C'est pas grave, on le jugera par contumace. Le journaliste commence tranquille : Ferrand aurait pu n'être qu'un Stéphane Bern ou un Lorànt Deutsch, c'est-à-dire « ces personnalités mondaines fascinées par les grands hommes qui racontent de belles histoires sur un pays royaliste et chrétien. Agaçant pour les historiens professionnels mais, malheureusement, commun. » (Ici, le journaliste de Libé et son lecteur soupirent en roulant des yeux : « Pfff… agaçant mais malheureusement commun ».) Ça aurait suffi à le faire condamner, bien sûr, mais attendez la suite : Franck Ferrand écrit dans Valeurs actuelles, passe sur CNews et s'entendrait bien avec Zemmour. De plus (mais y a-t-il besoin de pendre un homme que l'on vient d'éventrer ?), il n'aime pas les écolos, dirige un établissement scénographique à La Défense (qui ne respecte pas les canons du programme de l'Éducation nationale) et s'intéresse à des récits discordants (sur Alésia, par exemple), qui sont peut-être vrais, peut-être faux, et dont il ne cherche pas à convaincre les bonnes gens. Pour un euro de plus, ajoutons la suprême infamie : il est anti-passe et anti-vaccin, ce qui n'a pourtant pas provoqué sa mort au moment de la terrible pandémie.

Une remarque sur le fond, peut-être ? On y vient : jugé « pourtant habile, moitié conteur, moitié comédien » par le journaliste de Libé lui-même, Franck Ferrand est également défendu par son prédécesseur sur le Tour de France, l'ancien directeur du Monde Éric Fottorino (classé à gauche) : « Je sais les critiques qui lui sont faites et je n’ai pas envie de les endosser. C’est dur de rentrer dans cette danse-là, c’est un faux rythme, il faut calmer la voix et susciter l’intérêt. Il a un savoir profond et classique. Il est plus pointu que moi. » Et pour Christophe Hondelatte, le roi du fait divers, « c’est un formidable conteur à la Alain Decaux qui a une visée grand public. Ce n’est pas un historien mais un vulgarisateur, ce n’est pas la même chose […] Franck ne fait pas de l’Histoire, il raconte des histoires sur l’Histoire. C’est normal qu’il y ait des pertes. Les reproches que lui font les historiens, pour moi, ce n’est pas un problème. Des juges d’instruction peuvent très bien me reprocher de vulgariser les choses, c’est normal on ne fait pas le même métier. » Aïe ! Une fois passée la salve de ragots de concierge, le journal d'investigation peine à trouver des arguments. Ferrand est un vulgarisateur, il aime la France et il en parle d'une manière romancée. Ses prédécesseurs s'appellent Bainville ou Lavisse - horresco referens, bien sûr.

C'est alors que se révèle ce qui est peut-être le fond de l'article, sa véritable motivation : faire peur au patron de Franck Ferrand (« Ça ne vous dérange pas de faire travailler sur le service public quelqu'un qui bosse pour l'extrême droite ? ») et plus généralement à ceux qui remettraient en cause le magistère de Libé et de la gauche pensante. Car, loin d'être ce qu'ils pensent être (sympas, cultivés, indépendants), les journalistes de Libération sont les iconoclastes de poche, les bouffons du roi d'un monde parisien désormais refermé sur lui-même. En quelque sorte, les chiens de chasse d'un équipage bourgeois qui se croit chez lui dans les forêts de la France périphérique. De temps à autre, pour rire, leur maître les détache pour qu'ils aillent mordre un ou deux mollets de fascistes - mais les vieux chiens de chasse, pourtant créancés pour ne prendre que des « réacs », ont désormais l'odorat gâté ; et puis leur ventre traîne par terre, leur vue baisse et ils ont du mal à suivre une voie.

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