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dimanche 26 mai 2024

[Point de vue] Pour en finir avec les droits de succession…


notaire

 

Éric Ciotti et François-Xavier Bellamy viennent de signer, dans FigaroVox, une tribune sur la question de l’impôt sur les successions et les donations.

Et ils n’y vont pas de main-morte : « Nous voulons la mort de l’impôt sur la mort », lancent-ils dans le titre. 

Nous sommes en pleine campagne pour les élections européennes et l’on peut se demander pourquoi cette tribune tombe maintenant alors que la tête de liste des LR ne cesse de dire, à juste titre, qu’il faut ramener la campagne sur les enjeux européens. Les droits de succession ne sont pas une compétence (pas encore, en tout cas !) européenne, mais on comprendra aisément que tout est bon pour tenter de ramener vers soi un électorat de droite sensible à ce sujet et tenté, par ailleurs, d’aller voir en face, notamment du côté de Reconquête ou du RN.

Un régime quasi confiscatoire remettant en cause le droit de propriété

Il n’empêche que Ciotti et Bellamy mettent sur la table une question essentielle, existentielle, voire philosophique. Du reste, c’est ce qu’écrivent les deux parlementaires en qualifiant cet impôt sur les successions et les donations de « philosophiquement inacceptable ». On devine qui a été la plume… Effectivement, « au terme d’une vie d’imposition, un patrimoine – imposé et taxé à chaque étape de sa constitution – se retrouve de nouveau frappé par la fiscalité du simple fait de sa transmission », rappellent-ils. Aussi proposent-ils d’alléger cette fiscalité confiscatoire en l’alignant sur le mieux-disant en Europe (cela doit être le fil rouge pour se raccrocher à la campagne européenne !) : en Italie, par exemple, l’abattement est fixé à un million d’euros et le taux d’imposition n’est que de 4 %, alors qu’en France, l’abattement est de cent mille euros et que le taux peut monter à 45 % ! Des droits de succession qui pèsent 0,6 % de notre PIB, contre 0,2 % en Allemagne. On est bien dans un régime quasi confiscatoire qui remet en cause, l’air de rien, le droit de propriété consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Notons, tout de même, que si la proposition de Ciotti et Bellamy est très intéressante (restera à en évaluer le coût pour les finances publiques), elle est relativement incohérente, à bien y réfléchir : un impôt « philosophiquement inacceptable » devrait tout bonnement être supprimé et non pas allégé ! Philosophiquement parlant…

Des Français majoritairement favorables à la baisse des droits de succession

Mais, comme toujours, tout est une question de mesure et, au fond, il n’est pas philosophiquement inacceptable qu’un impôt minimum soit perçu par la collectivité, en charge du bien commun, à l’occasion d’une succession. Cela a d’ailleurs toujours existé. On ne va pas faire, ici, l’histoire de la féodalité mais l’on pourrait évoquer le paiement des droits de relief pour la transmission des terres nobles ou encore le droit de mainmorte qui permettait au seigneur de s’approprier les biens du serf mort sans héritier (un droit qui existait encore de façon résiduelle à la fin du XVIIIe siècle en Franche-Comté). La Révolution établit, en 1791, un impôt sur les successions de… 1 % sur les biens immobiliers. Mais parallèlement, elle faisait de la propriété un droit sacré, comme on l’a dit plus haut. Cette imposition monta jusqu’à 40 % à l’issue de la Grande Guerre, les finances publiques étant exsangues, pour faire le yo-yo, ensuite, jusqu’à ce taux confiscatoire d’aujourd’hui. Il se trouve que ce caractère confiscatoire est rejeté par une immense majorité des Français : 87 % de nos concitoyens, selon une enquête du CREDOC [Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, NDLR] pour France Stratégie, souhaitent une baisse des droits de succession alors même que seulement 20 % des héritages sont taxés. D’où, peut-être, la relative retenue de la Macronie à aller plus loin dans la taxation des successions, comme le suggérait l’une des têtes pensantes programmatiques de Macron, Jean Pisani-Ferry. Macron était même allé jusqu’à promettre, dans sa campagne de 2022, un allégement de ces droits de succession. Ayant, sans doute, découvert la réalité des finances au lendemain de sa réélection, la promesse est passée à la trappe…

En tout cas, que révèle cette sensibilité des Français à la question de la fiscalité successorale ? Il faut, sans doute, la relier à l’attachement viscéral de ces mêmes Français à la propriété. On se souvient de ce film de Pierre Granier-Deferre, La Horse, sorti en 1970. Jean Gabin y campait un gros cultivateur (on disait encore comme ça, à l’époque), patriarche et maître absolu sur ses terres. Impliqué dans une affaire criminelle, Gabin doit décliner sa profession au juge. « Propriétaire », lance-t-il. « C’est pas une profession », rétorque le magistrat. « Pour moi, si », réplique, cinglant, Gabin. Certes, c’était il y a un demi-siècle. C’est-à-dire hier, aux yeux de l’Histoire. Les Français « de souche » d’aujourd’hui, qui pour la majorité ont des racines paysannes, ont sans doute hérité cette aspiration légitime, quasi atavique, à être seigneur chez eux, à transmettre ce chez eux, aussi modeste soit-il, tel qu'ils l'ont reçu, constitué, voire amélioré, et donc non diminué sous le rabot fiscal. Tout ça est évidemment aux antipodes de la société liquide que Macron appelle de ses vœux…

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