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samedi 1 juillet 2017

Lille: «Je ne sors dans la rue que quand j’y suis obligée»

Le 01/07/2017
 

Échanges de points de vue sur la place des hommes et des femmes dans l’espace public, hier place Caulier.  photo pierre le masson

Échanges de points de vue sur la place des hommes et des femmes dans l’espace public, hier place Caulier. photo pierre le masson

Par Emmanuel Crapet |

Après le Faubourg-de-Béthune et Lille-Sud, l’association Paroles d’habitants partageait, ce vendredi, à Fives, le sentiment de ces femmes qui ne sont pas toujours les bienvenues dans l’espace public. Des témoignages édifiants.

«  Jamais je ne me balade. Je ne sors que pour aller chercher les enfants à l’école et faire les courses.  »

 Une phrase qu’on voudrait voir sortir d’un autre temps, d’une autre civilisation, d’une autre ville. Mais ce sont les mots d’une jeune mère de famille, croisée vendredi matin, place Caulier à Lille, dans le quartier de Fives.

 «  Simplement marcher sur le trottoir peut devenir une épreuve  », dit-elle encore, faisant référence à ces terrasses de bistrots et de salons de thé qui débordent tout le long de la rue Pierre-Legrand.

« C’était pas triste »
                                 
Ce vendredi, l’association Paroles d’habitants a fait la restitution de ses marches exploratoires fivoises.
Sur le principe de ce qui s’est déjà fait à Lille-Sud et au Faubourg-de-Béthune, des femmes ont marché et ont ensuite partagé leurs impressions.
 Elles ont marché (en mars) à des moments différents de la journée, dans des endroits différents du quartier.
Un matin du côté de la rue du Long-Pot et du centre social Roger-Salengro.
Un après-midi autour de la place Caulier.
Entre les rues Lannoy et Pierre-Legrand en soirée et même jusqu’en début de nuit.
 «  C’était pas triste  », avoue une des marcheuses.

«  Oh oui, vraiment pas triste  », renchérit une autre.
Et pourtant, elles ont osé.
Oser aller engager la conversation avec ces hommes qui tuent le temps devant les salons de thé.

– «  Pourquoi il n’y a jamais de femmes ?  »
– «  Les femmes sont à la maison avec les enfants.  »

Les échanges n’iront pas plus loin.
Catherine, du Petit-Maroc, avance son explication : «  En fait, eux (les hommes), ils sont chez eux dans la rue et nous (les femmes), on ne doit faire que passer.  »
Dominique compte aussi parmi ces marcheuses.
 Elle dénonce l’absence de propreté et les trafics de drogue, square Lardemer ou place Degeyter.

«  Les jeunes nous demandent en rigolant pour combien on en veut. Pourtant le commissariat n’est pas loin. Vous savez, moi le soir, je n’aurais jamais traversé le square des Mères toute seule.  »

 Les autorités (au sens large du terme) à qui vont être remises les synthèses reprenant tout ce que ces femmes ont courageusement dénoncé ne pourront plus dire qu’elles ne savaient pas.

Le calendrier
                                                      
2014 : mise en place d’un comité interministériel des villes et d’un plan contre les violences faites aux femmes. Lille en fait partie.
2015 : Anne Mikolajczak, adjointe déléguée aux droits des femmes, se saisit du dossier.
Avec l’association Paroles d’habitants, les premières marches exploratoires sont organisées à Lille-Sud et au Faubourg-de-Béthune.
2017 : première marche fivoise le 8 mars dans le secteur du Long-Pot.
Marche de restitution ce vendredi 30 juin.
 
La main sur la rue ou les pieds dans le plat?

Évidemment, elles ne pouvaient pas savoir qu’elles marcheraient pour le droit des femmes le jour où s’est éteinte Simone Veil, celle qui a tant fait pour la liberté des femmes.
À l’heure où Fives en général et sa rue Pierre-Legrand en particulier ressemblaient encore à peu près à un quartier normal, des femmes ont battu le pavé.
 Pas pour le droit à l’IVG.
 Simplement pour être acceptées dans l’espace public.

Dans cette ville où l’on balance du vivre ensemble comme on jette des stylos Bic et des casquettes Cochonou sur la Caravane du Tour de France, il y a encore des endroits où les hommes ont toute la main sur la rue.

 Faudra-t-il attendre longtemps pour qu’on mette les pieds dans le plat ?

Comme souvent, la balle est dans le camp de ceux qui décident et pas dans celui de ceux qui vivent les difficultés.

Emmanuel CRAPET

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