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samedi 29 août 2015

L’OTAN cherche à contourner la règle du consensus

25 aout, 2015
Articles d’actualité
Hajnalka Vincze


Американские, латвийские, литовские и британские военные во время совместных учений


Le jour s'approche-t-il où l’Amérique pourra, de son seul fait, entraîner l’ensemble de l’OTAN dans une guerre ?

La question n’est hélas pas aussi surréelle qu’elle n’y paraît.
A la réunion ministérielle de l’Alliance, fin juin, le SACEUR (commandant suprême) « a reçu l’autorité d’alerter, de mobiliser et de préparer les troupes » de son propre chef, en attendant le feu vert du Conseil pour le déploiement sur le terrain.
 Mais soyons réalistes : les troupes déjà sur le tarmac, les avions prêts à décoller, les tambours battants – difficile d'imaginer comment un Etat membre réticent oserait, à ce stade, monter au créneau pour arrêter la machine de guerre de l’Alliance.

Une décision à usage interne

L'ambition qui se trouve derrière ce transfert d'autorité vers le commandant suprême, toujours américain, ne date pas d’hier.
 On se souvient lorsqu’en octobre 2011, le SACEUR de l’époque, l’amiral James Stavridis, annonça dans un tweet qu’il allait recommander aux 28 ambassadeurs de l’OTAN d’en finir avec les opérations de combat en Libye.
Le malaise fut palpable et certains s’étaient offusqués d'avoir ainsi été publiquement mis devant le fait accompli par les Etats-Unis.
 Or avec le recul, et à la lumière de la décision de juin, ce « faux pas » de l’amiral ressemble plutôt à un ballon d’essai.
Entre-temps, la crise russo-ukrainienne aidant, on est passé à la vitesse supérieure quant au contenu des pouvoirs à transférer au commandant US de l’Alliance.
 Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement d’une décision pour terminer une guerre mais carrément pour la déclencher.

Il ne s’agit pas non plus de faire une simple recommandation aux ambassadeurs, mais de pouvoir initier une série d’actes susceptibles de les mettre le dos au mur.
Afin de bien prendre la mesure de cette décision, il convient de faire une ou deux précisions.
 Premièrement, le SACEUR n’est pas seulement le commandant suprême de l’Alliance atlantique : il est aussi et avant tout le commandant d’EUCOM, autrement dit le patron des quelques 70 000 militaires américains stationnés en Europe.

 Il est nommé par le président américain, et confirmé par le Sénat US –les représentants des 27 autres Etats membres de l’Alliance n’ont donc qu’à acquiescer de la tête.

Tout au long de son mandat OTAN, le SACEUR dépend directement du Département de la Défense et son commandant en chef se trouve à la Maison Blanche.
Deuxièmement, les décisions sur la préparation, la mise en alerte et la mobilisation des troupes sont tout sauf anodines.
Dans une atmosphère de tension, elles risquent fort d’être perçues comme une provocation.
Et de générer ainsi elles-mêmes la situation de crise à laquelle elles auraient été, soi-disant, censées répondre.
D’autant plus que les nouveaux pouvoirs confiés au SACEUR s’étendent jusqu’à la toute dernière limite.
 Lorsqu’il estime qu’une crise se profile à l’horizon, il a désormais l’autorité, d'après les détails que nous fournit le magazine interne de l'US Army, d’« envoyer les troupes jusque sur le tarmac le plus proche pour qu’ils y attendent l’ordre ultime pour le décollage » de leurs avions.
 
Troisièmement, ce transfert de pouvoir inédit au SACEUR tombe à un moment où, sur une question stratégique de la plus haute importance, à savoir l’attitude vis-à-vis de la Russie, une position commune des Etats membres est tout sauf acquise.
Dans ces circonstances, la décision vise surtout à faire taire les éventuels récalcitrants.
 Quel meilleur moyen pour leur forcer la main que de les entraîner dans un mouvement de mobilisation sans avoir à attendre qu’ils acquiescent (ou qu’ils protestent).

Précédents irakiens et autres

En amont de cette décision, on trouve une série d’initiatives américaines (ou d’inspiration US) qui traduisent l’exaspération des Etats-Unis devant les efforts et astuces qu’ils doivent déployer pour mobiliser l’Alliance qu’ils dirigent.

 De temps à autre, ils n’hésitent pas à faire savoir combien la règle du consensus les agace.
 Certes, tous les alliés sont censés être égaux et souverains, et cela doit se refléter dans la manière dont leurs décisions se prennent.
D’où la fameuse règle.
Cela dit, la recherche du consensus entre en conflit non seulement avec la puissance relative, mais aussi et surtout avec les usages et les habitudes de l’Amérique.
Quant à la conduite même d’une guerre, la solution US est bien huilée et toute prête : il s’agit, depuis belle lurette, de la mise en place de commandements parallèles.
 Un commandement OTAN, dirigé et massivement dominé par les Etats-Unis, et un autre, tout-Américain, à usage exclusif.
Par conséquent, sur chaque théâtre d’opérations OTAN, il existe deux chaînes de commandements.
Ce n'est pas un hasard si Hubert Védrine (ministre des Affaires étrangères au moment de l’intervention au Kosovo) a tenu à préciser que « sur toutes les cibles OTAN proprement dites, nous avons eu notre mot à dire ».
 Sous-entendu : il y avait aussi d’autres cibles.
Des cibles réservées aux seules forces américaines, tout comme une partie des couloirs et des plans de vol.

 Le SACEUR se trouve donc, par la force des choses, en position de maître du jeu, puisqu’il est le seul à avoir une vue d’ensemble, et à commander sur les deux tableaux.
 
Il n’en reste pas moins que cet arrangement, fort commode pour les Etats-Unis, laisse en suspens la décision sur le déclenchement même d’un conflit.

L’idéal, du point de vue de l’Amérique, serait évidemment qu’elle puisse en décider seule et que les alliés la suivent.

 Sauf que la guerre en Irak a bel et bien démontré que ce ne serait pas forcément automatique.*
 Sans surprise, les membres du Congrès ont sauté sur l’occasion pour exiger un recadrage des alliés.
 Un amendement adopté au Sénat a sommé le président US de placer la révision de la règle du consensus en tête de l’agenda de l’Alliance.
Y compris des discussions sur des méthodes qui assureraient plus de flexibilité au SACEUR dans la planification des opérations, avant le feu vert du Conseil de l’Atlantique du Nord, et « simplifieraient » donc le processus de prise de décision.
 
En 2010, le Groupe d’experts présidé par l’ancienne Secrétaire d’Etat Madeleine Albright est revenu à la charge.
 Certes, leur rapport préconisait de « préserver la règle du consensus pour les décisions les plus importantes », mais affirmait en même temps que « L’Alliance devrait envisager de déléguer préalablement certains pouvoirs au secrétaire général ou aux chefs militaires de l’OTAN ».
 Soi-disant pour être en mesure de répondre de manière plus efficace à des situations d’urgence.
Un an après, la question du consensus et/ou de la « simplification » du processus de décision est revenue sur le devant de la scène, lorsque l’Allemagne, la France et la Turquie ont hésité un moment avant d’accepter que l’OTAN soit en charge de la campagne libyenne.

Stratégies obliques

En réalité, chacun sait que le consensus devra être formellement maintenu comme règle, ne serait-ce que parce que les Etats-Unis restent, eux-mêmes, attachés au pouvoir de veto américain.
 Certes, le scénario d'une éventuelle mise en minorité des USA est du domaine de la fiction, au vu de l'écrasant poids de Washington, mais l'évocation d'une telle hypothèse a suffi à refroidir les ardeurs du Congrès.
Comme l’a rappelé le Secrétaire d’Etat Colin Powell en réponse aux initiatives des parlementaires US, « les procédures actuelles de prise de décision marchent bien et servent les intérêts américains… aucun Etat membre de l’OTAN, y compris les Etats-Unis, n’accepterait de permettre que l’Alliance prenne des décisions en matière d’engagement militaire sans son accord ».
 
D’autant que d’autres moyens existent pour marginaliser ceux qui ne suivraient pas mécaniquement l’Amérique.
 Au premier chef la procédure du silence, qui y est pour beaucoup dans l’apparente unité de l’Alliance.
 Les décisions, en général proposées par le plus puissant des Etats membres, sont acceptées à moins qu’un pays ne s’y oppose explicitement, en brisant le silence.
Notamment par l’envoi formel d’une lettre d’objection au secrétaire général de l’OTAN.
 Rien de mieux pour encourager l’alignement.

Ainsi, à la veille de l’intervention au Kosovo, il aurait été politiquement impossible pour le gouvernement grec, avec son opinion publique à 95% contre l’usage de la force militaire, de voter en faveur de la guerre.

Néanmoins, grâce à la procédure du silence, il pouvait acquiescer en douce, sans faire trop de vagues, tout en obtenant de pouvoir rester en dehors des opérations de combat.
Toujours est-il que dans le cas irakien le mécanisme a montré ses limites.
Il aura donc fallu, pour les plus atlantistes, réfléchir en des termes plus radicaux pour assurer, en cas de crise, la prééminence des Etats-Unis.
 D’où cette idée d’un transfert d’autorité pur et simple aux instances militaires, dirigées par le SACEUR, un général américain.
 Un rapport récent de l’Assemblée parlementaire de l’Alliance a noté, justement, que dans la foulée de la crise en Ukraine c’est le SACEUR lui-même qui « a proposé de pouvoir autoriser la préparation et le positionnement des forces avant de recevoir l’autorisation du CAN ».
 
Sauf que cette mesure nommée « Alerte, Préparation et Déploiement » a soulevé quelques réticences, tellement avec un SACEUR en droit d’envoyer des troupes sur le terrain, la mainmise américaine aurait été plus que flagrante.

 Le CAN « a clairement déclaré, conformément aux traditions constitutionnelles des pays membres, que la décision de procéder à tout mouvement de forces demeurera une décision politique. »
 L’exécution du plan se fera donc par étapes, la première (l’autorité déléguée au SACEUR pour mettre en alerte, organiser et positionner les forces jusque sur le tarmac) ayant été la décision prise en juin.
En attendant, de pied ferme, le sommet de Varsovie l’année prochaine.
Entre-temps, d’autres leviers sont actionnés en simultané, toujours dans le même ordre d’idées.
Et ce afin de permettre à l’ensemble de l’Alliance atlantique d’être entraînée dans un mouvement initié et/ou encouragé par les Etats-Unis.
 Pour cela, il faudrait d’une part contourner le pouvoir de blocage des Etats récalcitrants, de l’autre permettre au reste de s’engager de manière plus discrète.
Que ce soit par le rôle accru des forces spéciales et des drones, le recours au partage des moyens, ou à l’extension du financement en commun, le but du jeu est le même.

 Il s’agit d’enfermer les Etats membres dans un carcan militaro-financier, dans lequel l’embrigadement se fait presque par automatisme, et la responsabilité des gouvernements individuels s’efface derrière la feuille de vigne de l’Alliance atlantique.
 
*Pour rappel, le 12 février 2003, la France, la Belgique et l’Allemagne se sont opposées à l’initiative US/OTAN pour préparer la défense de la Turquie, contre d’éventuelles attaques venues d’Irak.
Les trois pays ont refusé d’entrer ainsi « dans une logique de guerre » alors même que les inspections de l’ONU se poursuivaient.
Un affront « inexcusable », selon le secrétaire d’Etat Colin Powell, « une honte » et « une erreur horrible » pour le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, et entraînant une « crise de crédibilité » de l’Alliance, d’après l’ambassadeur américain à l’OTAN.
Toutefois, la solution de rechange a été vite trouvée (en quatre jours exactement), en transférant la décision au Comité des plans de défense, où ne siégeait pas, à l’époque, la France.

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