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lundi 25 novembre 2013

Téléphone, Internet: l'État pourra bientôt tout espionner.

Par Jean-Marc Leclerc
Mis à jour le 25/11/2013 à 21:25
Publié le 25/11/2013 à 20:11 
Un centre de données Facebook, à Luleå (Suède).
Un centre de données Facebook, à Luleå (Suède). Crédits photo : JONATHAN NACKSTRAND/AFP

Le gouvernement va faire voter une extension considérable des possibilités de capter les données numériques personnelles. Inquiets, les grands acteurs du Web s'inquiètent de l'inaction de la Cnil et réclament un moratoire.

La France vire-t-elle à la société orwellienne?
 En pleine affaire Snowden, du nom de cette taupe qui a révélé comment l'Amérique espionne le monde au nom de l'antiterrorisme, le gouvernement s'apprête à faire voter un projet de loi de programmation militaire dont certaines dispositions étendent les possibilités de capter les données numériques de dizaines de milliers de personnes par an. Il s'agit de savoir qui ces potentiels «ennemis d'État» appellent et qui les joint, ou même de les localiser en temps réel à travers leurs téléphones, leurs ordinateurs.
 En dehors de toute action judiciaire.

 
Cette mission ne mobilisera plus seulement les forces de l'ordre, mais désormais toute la «communauté du renseignement», de l'Intérieur à la Défense, en passant par Bercy. Et pour des motifs bien plus larges que le risque terroriste stricto sensu.
Le texte a déjà été examiné au Sénat en octobre, dans une quasi-indifférence.
Il doit revenir ce mardi, pour deux jours à l'Assemblée.
 Mais cette fois, les grands acteurs d'Internet voient rouge.
 De Google, à Microsoft, en passant par Facebook, Skype, Dailymotion, Deezer ou AOL, ceux regroupés au sein de l'Association des services Internet communautaires (@sic), créée en 2007 pour promouvoir le «nouvel Internet» des réseaux sociaux, partent en guerre contre les articles de la loi portant sur les «accès administratifs aux données de connexion» et la lutte contre les «cybermenaces».
 
 Le président de l'@sic, Giuseppe de Martino, par ailleurs secrétaire général de Dailymotion, réclame un «moratoire» sur ces aspects du texte et s'étonne de «l'inaction de la Commission de l'informatique et des libertés (Cnil)».
Selon lui, en matière de surveillance des services d'État, à l'égard de tous les utilisateurs, sociétés ou simples particuliers, «le projet de loi de programmation militaire veut étendre les régimes d'exceptions et ainsi offrir aux agents du ministère du Budget un accès en temps réels aux données Internet. Ce n'est pas normal!», dit-il.
 
Ce ne sont pas les écoutes administratives (le contenu des communications) qui posent problème, même si le projet les concerne. Sur amendement du président PS de la commission des lois, par exemple, Tracfin, l'organisme de Bercy qui lutte contre la fraude fiscale, pourrait se voir attribuer le pouvoir de réclamer des écoutes.

Ce qui inquiète, c'est la surveillance du contenant. En clair: la surveillance de tout ce que conservent et traitent les opérateurs d'Internet et de téléphonie pour établir leur facture au client, «y compris les données techniques relatives à l'identification des numéros d'abonnement», mais aussi «à la localisation des équipements terminaux utilisés», sans parler bien sûr de «la liste des numéros appelés et appelant, la durée et la date des communications», les fameuses «fadettes» (factures détaillées).
 
Bref, les traces des appels, des SMS, des mails.

Cette surveillance se pratique depuis 2006 (45.000 demandes par an) dans le cadre de la loi antiterroriste.
 Sous le contrôle d'une «personnalité qualifiée» placée auprès du ministre de l'Intérieur. Beauvau ordonne même à ce titre la géolocalisation en temps réel, mais dans ce cas, sans véritable base légale.
 En contravention totale avec une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme de 2010 qui impose une «loi particulièrement précise».
 
La justice en sait quelque chose, puisque les parquets viennent de se voir interdire tout moyen de géolocalisation dans leurs enquêtes par la Cour de cassation, celle-ci considérant que seul le juge d'instruction peut les autoriser.
 
Les grands acteurs d'Internet aimeraient donc des éclaircissements.
Ce qui les choque au fond?
 D'abord, que l'on autorise l'accès aux informations privées de connexion pour des motifs plus large que le seul risque terroriste.
 «En visant génériquement la prévention de la criminalité, ce régime d'exception s'appliquera à toutes les infractions», s'inquiète le patron de l'@sic.
 
Ensuite, dit-il, «que l'on étende l'accès aux données à des services autres que ceux de l'Intérieur, sans même passer par un juge.»
 À l'entendre, même les agents de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI), rattachés à Matignon, pourront «s'adresser aux fournisseurs d'accès à l'Internet pour obtenir l'identification de toute adresse IP».
 
Les promoteurs de ce texte font valoir que des garanties seront accordées au citoyen, comme la nomination, d'une «personnalité qualifiée» auprès du premier ministre pour contrôler les demandes des services des ministères.
 «La commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité administrative indépendante, encadrera le recueil de données de connexion et de géolocalisation, assure Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense.»
 
Un préfet s'étonne de cette polémique naissante: «Quand l'affaire Merah éclate, on dit que la police n'a pas su prévoir. Et maintenant, on reproche aux services de vouloir anticiper.»
 
Reste à trouver le bon équilibre.

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