Cette décision ne fait que mettre la France en conformité avec le principe de « non-discrimination » édicté par l’Union européenne, lequel stipule que les États membres n’ont pas le droit de réserver le bénéfice de prestations démographiques spécifiques à leurs seuls nationaux. Cette décision s’applique donc à tous, y compris aux enfants de pères polygames – statut matrimonial en principe interdit sur notre sol –, les autres ayant le loisir de bénéficier de la procédure de regroupement familial.
Au moment où le gouvernement envisage de réduire les allocations des familles françaises en fonction des revenus, cette mesure devrait déclencher un véritable tollé.
Pourtant, force est de constater que seul le Front national a pour l’instant réagi.
Peut-être est-ce parce que nos chers compatriotes ne voient là qu’une tracasserie administrative parmi d’autres ? Éclairons les donc par un exemple concret et examinons, sous cet angle, le cas de Monsieur et Madame Cissé.
Il s’agit d’une vieille histoire qui remonte à 2004 et avait, en son temps, réussi à offusquer Libération. C’est dire.
La cinquantaine bien tapée, Monsieur Cissé avait à l’époque laissé ses deux premières épouses et leurs sept enfants au pays pour venir soigner son sida chez nous. Enfin, s’il n’était pas venu exclusivement pour cela, c’est en tout cas à ce titre – porteur du HIV – qu’il avait obtenu de la France un permis de séjour. Et de soins gratuits donc.
Néanmoins, M. Cissé vivait toujours « entre le Cameroun et la France ». Et peut-être, qui sait, lui payait-on les billets d’avion pour retourner au pays embrasser ses chers enfants.
C’est ainsi qu’il ramena un jour du pays des ancêtres une troisième épouse. Une jeunette de 16 ans qui devait lui faire, elle aussi, de beaux enfants maintenant que ses aînées étaient fatiguées et moins enclines au goulou-goulou sous le baobab. Monsieur Cissé la rapporta clandestinement dans ses bagages et l’installa tout aussi clandestinement dans le galetas surpeuplé d’un foyer Sonacotra. Mais voilà, la jeune gazelle ne parvenait pas à faire ce à quoi on la destinait : être mère. Alors Monsieur Cissé et sa douce s’en furent, bras dessus boubou dessous, jusqu’au plus proche cabinet… d’Aide médicale à la procréation.
Le futur père n’avait qu’un titre provisoire de séjour ? Pas grave. Avec un enfant français, il aurait un titre définitif. Il avait le sida ? Pas grave, on sait aujourd’hui purifier le sperme pour éviter tout risque de contamination. Il était polygame ? Aucune importance : déclarée mère célibataire, sa troisième épouse serait prise en charge et toucherait des allocs en conséquence. La jeunette était sans papiers ? Tant mieux, elle avait ainsi droit à l’Aide médicale d’Etat. Alors ? Alors, il ne restait qu’à statuer sur le bien fondé de la demande de Monsieur et Madame Cissé.
Incapables malgré tout de trancher cet épineux cas de conscience, les médecins s’en furent saisir le Centre d’éthique clinique de l’Hôpital Cochin. C’est une instance créée en 2002 « afin de dépassionner les conflits éthiques ». Composée de « soignants, non soignants, psychologues, philosophes, sociologues, juristes, théologiens et autres représentants de la société civile », elle propose « une aide et un accompagnement à la décision médicale ».
On devine la suite.
En sa grande conscience éthique, le Centre de l’hôpital Cochin trancha : Mme Cissé fut médicalement mise enceinte. Comme l’écrivait alors Libé dans un style épuré qui force l’admiration : le « couple de précaires » a obtenu sa « fécondation assistée ». Et nous, trois bouches de plus à nourrir et une facture, avant la naissance de ce petit Français, de 10.000 euros environ si tout s’est bien passé.
Aujourd’hui, le petit Cissé éprouvette doit avoir 9 ans. On peut imaginer que sa maman a demandé une suite. Imaginer aussi que ses frères et sœurs camerounais ont rejoint leur papa dans notre beau pays. Et s’ils ne l’ont pas encore fait, ils auront désormais, grâce à la Cour de cassation et à l’UE, tout loisir de le faire. Et de demander alors des allocs, une bourse, la CMU, l’aide au logement…
Je vais me répéter : bien que fauchée, la France est généreuse. Très généreuse.
Marie Delarue, le 18 mai 2013
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