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mercredi 11 septembre 2024

[ENTRETIEN] « Michel Barnier risque de vieillir d’un an chaque mois ! »


entretien écrit Le Gallou

Ancien député européen et fondateur du think tank Polémia, Jean-Yves Le Gallou nous livre son analyse politique concernant la nomination de Michel Barnier à la tête du gouvernement.

 

Georges Michel. Le 4 septembre, à la veille de la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre, vous avez publié, sur X, une petite synthèse « RH » du personnage : « Très empathique, homme de compromis et diplomate, conscient (au moins verbalement) des vrais problèmes, bon profil pour une Assemblée sans majorité. » 

 Confirmez-vous, au vu de votre expérience politique et des rencontres que vous avez pu avoir avec lui par le passé, que Michel Barnier est, aujourd’hui, « le bon homme à la bonne place » ?

Jean-Yves Le Gallou. Oui, Au regard de la situation actuelle - quasi inextricable -, Michel Barnier a le bon profil : il est empathique, il n’est pas sectaire, il a le goût et l’expérience du compromis. Ce n’est pas un idéologue mais il a l’intelligence des situations. Et il aime réussir dans ce qu’il entreprend, des Jeux olympiques d’Albertville à la négociation du Brexit.

 

G. M. Selon vous, qui sort vainqueur de ces presque deux mois d’attente avant la nomination d’un nouveau Premier ministre ?

J.-Y. L. G. Sans doute le RN, qui a réussi à éliminer Xavier Bertrand. Celui-ci paye son hostilité rabique au RN et à la droite. « Il vaut mieux être avec les communistes qu'avec les identitaires », aime-t-il à dire. Il a fait toute sa carrière en surjouant le côté « républicain ». Eh bien, cela ne marche pas à tous les coups. À bon entendeur, salut ! A contrario, Michel Barnier conservateur, démocrate-chrétien qui se dit gaulliste, n’a jamais tenu de propos blessants à l’égard du FN. Il a le respect de l’adversaire.

 

G. M. Vous avez réagi aux déclarations peu amènes du député RN Jean-Philippe Tanguy à l’égard du nouveau Premier ministre qui, selon vous, reproche à Michel Barnier « de vieux votes conservateurs de bon sens ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

J.-Y. L. G. Comme beaucoup d’hommes de droite de sa génération, Michel Barnier s’est opposé aux lois sociétales de la gauche, tel le remboursement de l’avortement ou l’abaissement de la minorité sexuelle de 18 à 15 ans pour les garçons. Précisons les choses : Barnier ne s’est pas opposé à la dépénalisation de l’homosexualité, qui est dépénalisée depuis 1792… Il s’est juste opposé à la possibilité, pour de vieux homosexuels, de séduire des jeunes garçons de 15 à 18 ans. Tout cela a suscité l’indignation et l’hostilité de Jean-Philippe Tanguy, authentique progressiste qui partage les valeurs de la gauche sur tous ces points. Tanguy, c’est d’ailleurs le représentant officiel du RN sur les médias de service public - France Info, France Inter – où il donne souvent raison aux journalistes de gauche (ou d’extrême gauche), quitte à tirer contre son camp.

G. M. Le RN ne votera probablement pas la censure à l’occasion du discours de politique générale de Michel Barnier, confortant ainsi sa position de « faiseur de rois ». L’épreuve de vérité pour le RN ne risque-t-elle pas d’être le vote du prochain budget ?

J.-Y. L. G. Vous avez raison. Barnier va sauter la première haie, celle du discours de politique générale. Ce sera plus difficile pour la deuxième haie : la haie budgétaire. La sagesse serait de sabrer dans les dépenses nuisibles, ce que va étudier Polémia lors de son Xe Forum de la dissidence, le 16 novembre prochain. Mais hélas, il sera plus facile d’obtenir un consensus parlementaire avec un cocktail de petites économies, de gestes « généreux » et surtout d’impôts supplémentaires, comme le réclame déjà Pierre Moscovici, le patron socialiste de la Cour des comptes. Une fois de plus, le consensus risque de se faire sur le dos ses contribuables.

 

G. M. Ce « feu vert du RN » n’est-il pas un tournant dans l'histoire du RN et de la politique française depuis les années 1970 ?

J.-Y. L. G. Il faut nuancer ce propos. Au plan national, le FN/RN n’a jamais été en position d’arbitre, même s’il ne s’est pas opposé systématiquement au gouvernement Chirac de 1986 à 1988. Mais c’est vrai, que l’exécutif soit sous la menace de censure du RN, c’est nouveau au plan national. Mais cela a existé dans une dizaine de régions de 1986 à 2004. Avec quels résultats ? Des élus mieux respectés, beaucoup mieux respectés ; des concessions (hélas souvent symboliques) ; de rares dépenses nuisibles sabrées. Il faut bien comprendre une chose : pour un homme du système, la moindre concession au FN/RN, même sur des sujets périphériques, coûte très cher en termes médiatiques, voire en termes judiciaires, comme Charles Millon en a fait les frais en Rhône-Alpes après son entente avec Bruno Gollnisch, en 1998. Barnier va être placé sous une triple surveillance : celle des médias, celles du Président, celle de la minorité parlementaire de l’extrême centre. À ce rythme-là, il risque de vieillir d’un an chaque mois !

 

G. M. Pensez-vous M. Barnier capable de prendre à bras-le-corps la question de l'immigration, comme il le souhaitait en 2021, lors de la primaire de la droite et du centre ?

J.-Y. L. G. Il y a trois manières d’aborder la question de l’immigration :

- Par le haut, par une réforme constitutionnelle, pour échapper à la dictature des juges. C’est ce qu’avait proposé Barnier en 2021 lors de la primaire LR, où il avait milité pour un moratoire de cinq ans sur l’immigration. Parfait, mais impossible dans le contexte actuel de cohabitation.

- Par l’esbrouffe, par des lois bavardes, qui ne changent rien à rien car le Conseil constitutionnel les vide de tout contenu réel, comme on l’a encore vu pour la dernière loi Darmanin. Pas sûr, d’ailleurs, que les « grandes consciences » de l’extrême centre soient prêtes à recommencer.

- Par le concret, c’est-à-dire par les décisions réglementaires : rien n’oblige à accorder un milliard de subventions aux associations immigrationnistes ; rien n’oblige non plus à délivrer 350.000 titres de séjour ; même à horizon législatif inchangé, on devrait pouvoir diviser ce nombre par deux : suppression des régularisations, fermeture des entrées pour le travail, diminution drastique des visas étudiants. On peut aussi restreindre les accès à la nationalité et augmenter le nombre d’expulsions. Et puis procéder à la fermeture administrative des sociétés qui fondent leur fonctionnement sur le travail clandestin. Comme certains restaurants ou les grandes plates-formes de livraison.

Il y a donc des mesures possibles. Barnier les prendra-t-il et trouvera-t-il le ministre de l’Intérieur idoine pour le faire ? Pas sûr…

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