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vendredi 24 novembre 2023

Mine de lithium dans l’Allier : le rapport qui dévoile une bombe toxique


 

Il y a un an, le gouvernement a annoncé l’ouverture, dans l’Allier, de la plus grande mine de lithium d’Europe. 

D’après un rapport inédit dévoilé par Disclose et Investigate Europe, le secteur, fortement contaminé à l’arsenic et au plomb, présente « un risque significatif pour l’environnement et la santé humaine ». Une véritable bombe à retardement passée sous silence par les autorités.

Roger Konaté est très fier de son système de pompage « fait maison ». D’un geste de la main, il désigne un tuyau qui, dans un imbroglio rafistolé, plonge dans le sol de son atelier pour rejoindre la source voisine. Pratique : de l’eau à volonté pour boire, se laver, arroser, abreuver sa chienne et ses chats. Il y a 10 ans, après la faillite de sa société de sécurité, le Marseillais de 56 ans a racheté « la maison, le ruisseau, le terrain pour 10 000 euros ! » Un bon plan trouvé sur le site de petites annonces, Viva street.

L’ancien patron fait la visite de son petit paradis avec le ravissement de ceux qui ont tout rénové de leurs mains. Autour de l’homme d’un mètre quatre-vingt-dix, des arbres, le bruit de l’eau et une végétation qui couvre des vestiges de l’ancien site minier du Mazet. Pendant plusieurs décennies, c’est ici, sur la commune d’Échassières, à la frontière de l’Allier et du Puy-de-Dôme, entre Montluçon et Clermont Ferrand, que les mineurs concassaient et nettoyaient le minerais, après l’avoir déterré. À la faveur d’une baisse du cours du minerai, le site du Mazeta fermé en 1962, rejoignant les quelque 3 000 autres anciens sites miniers français. Une fois les galeries bouchées, les propriétaires sont partis, laissant les clefs à l’État. Sans que l’un ou l’autre n’ait pris la peine de dépolluer les lieux.


La fièvre du lithium

Il y a un an, la petite commune de 400 habitant·es a fait la Une de la presse locale et nationale. Le 24 octobre 2022, Imerys, le géant français de l’extraction de minerais, a annoncé la future ouverture, sur son site de Beauvoir, de la plus grande mine de lithium d’Europe. Un métal très recherché avec l’explosion de la consommation de batteries. Ce projet titanesque est baptisé Emili pour « Exploitation de Mica Lithinifère par Imerys ». L’extraction du lithium, prévue pour 2028, devrait permettre la création de 1 000 emplois directs et indirects, selon l’entreprise, et fournir 700 000 batteries aux futures voitures électriques 100 % Made in France. Le jour même de l’annonce par l’industriel, le gouvernement lui a emboîté le pas, présentant Emili comme le premier jalon de sa politique de transition vers les énergies renouvelables. Emili, soutenu financièrement par l’État, sera une mine « exemplaire sur le plan environnemental et climatique », dixit le ministre de l’économie Bruno Le Maire. « Le lithium sera extrait de manière responsable », promet la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. 

Ce jour d’octobre 2022, et jusqu’à aujourd’hui, un élément est resté hors des radars : l’extrême pollution du secteur où se trouve le permis d’exploration attribué à Imerys. À cet endroit, à cause de l’activité minière passée, les sols et les eaux sont contaminés à l’arsenic et au plomb, jusqu’à plus de dix fois les seuils de risque. C’est ce que révèle un rapport alarmant déterré par Disclose et Investigate Europe (IE). Emili repose donc sur une bombe toxique.  


Une concentration en arsenic sept fois supérieure au seuil

Ce rapport inédit a été rédigé en 2018 par Geoderis, le bureau d’expertise public spécialisé dans l’après-mine. D’après ses conclusions, le secteur où Imerys explore actuellement les sous-sols est classé « E », le plus haut niveau de pollution minière du pays. Pourtant, trois ans après la publication du rapport, en 2021, le permis d’exploration délivré à Imerys a été renouvelé… sans encombre. À la manœuvre : Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée à l’industrie. Contacté, le ministère de la transition énergétique, qu’elle dirige aujourd’hui, n’a pas souhaité répondre à nos questions.


 
 
Dans le bourg d’Échassières, les habitant·es que nous avons interrogé·es assurent n’avoir jamais été informé·es des pollutions aux métaux lourds. Ni par la préfecture de l’Allier, ni par le maire, Frédéric Dalaigre, qui a salué l’annonce du projet dans la presse mais refuse de répondre aux questions de Disclose et IE. Le secteur est pourtant « susceptible de présenter un risque très significatif pour la santé humaine et l’environnement », souligne le rapport de Geoderis.
 
 
 
 
 
Personne ne m’a jamais dit que mon terrain était pollué, témoigne Roger Konaté. Il y a bien un agent qui est venu faire des prélèvements il y a quelques années, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles ensuite ». Pourtant, Geoderis a considéré que son terrain était fortement contaminé aux métaux lourds tels que le tungstène, le lithium, le plomb, le zinc, le cuivre et l’arsenic.

D’après les auteurs du rapport, citant le résultat d’un prélèvement effectué par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)*, la concentration en arsenic chez Roger Konaté serait de 190mg/kg. Soit plus de sept fois le seuil de risque prévu par la Haute autorité de santé (HAS). Au-delà des limites fixées, l’institution recommande « aux médecins de prescrire un dépistage ». Outre le cancer de la peau, « l’exposition prolongée » à l’arsenic peut « provoquer des cancers de la vessie et des poumons », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

 

Roger Konaté 

Roger Konaté dans sa propriété située dans la commune d’Échassières. Photo : Axelle de Russé pour Disclose

Pour le plomb, les taux de contamination sur la propriété de Roger Konaté, ont été estimés deux fois supérieurs « aux valeurs d’alertes proposées par le Haut conseil de la santé publique ». Les experts de Geoderis recommandent, là-aussi, un dépistage. De fait, « le plomb a des effets délétères à long terme chez l’adulte, notamment l’augmentation du risque d’hypertension artérielle, de problèmes cardiovasculaires et de lésions rénales », constate l’OMS. 

« La préfecture ne nous a jamais demandé d’avertir la population »

Le maire de Nades (Allier)

Un peu plus loin, à Nades, un hameau de 150 habitant·es, les experts se sont notamment arrêtés sur une propriété avec jardin, piscine et balançoire où vivaient deux enfants âgés, à l’époque, de 8 et 10 ans. Selon les recommandations de Geoderis, leurs parents auraient dû être alertés immédiatement afin de mettre en place une série de mesures sanitaires, comme le lavage soigné des mains des enfants. Pour cause : ces derniers constituent la catégorie de la population la plus sensible à l’exposition aux métaux lourds. Contactée par différents moyens, la famille C. n’a pas retourné nos demandes d’entretien. Mais le maire de Nades, Henri-Claude Buvat, joint par téléphone, a été très clair : « Nous avons été prévenus des pollutions, mais la préfecture ne nous a jamais demandé d’avertir la population ». Pourtant, une source interne à la préfecture explique que les services de l’État devaient alerter les mairies sur la gravité des éléments recueillis, de sorte que celles-ci préviennent leurs administrés. Un défaut d’information qui pourrait donner lieu au dépôt par d’éventuelles victimes d’une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. « De toute façon, personne ne vit là », expédie le cabinet de la préfète, Pascale Trimbach. Les quelque 2 000 habitants d’Echassières, de Nades et des villages limitrophes apprécieront.

Notre enquête nous a conduit au musée Wolframines, qui relate l’histoire du bassin minier. « Le monde fascinant des minéraux », peut-on lire au-dessus de la porte d’entrée, franchie chaque année par des centaines d’enfants en sortie scolaire.

 

 

Photo : Axelle de Russé pour Disclose

Ce 29 septembre, ils sont plusieurs dizaines à trifouiller dans un monticule de roche blanche de kaolin issue de la carrière voisine, appartenant à Imerys. Après l’atelier pratique, c’est la pause sandwich sur l’aire de pique-nique attenante au musée. Un terrain « impacté » à l’arsenic, au tungstène et au lithium, souligne le rapport de Geoderis. Alors que les experts ont recommandé que soit spécifiée la présence d’un ancien site minier sur place, rien n’a été fait. Il n’est pas non plus indiqué, comme le préconise le rapport, la nécessité du lavage des mains des enfants. « Ça ne se bouscule pas énormément dans ce musée », ose la préfecture de l’Allier pour justifier cette absence d’information. La nouvelle campagne d’exploration d’Imerys prévoit treize forages à proximité du musée.


Dérogations successives

Que se passera-t-il si Imerys creuse dans une terre déjà polluée ? Quid des nappes phréatiques ? Cette question, Nora et Coralie (prénoms d’emprunt), militantes de Stop Mine 03 et Préservons la forêt des Colettes, deux associations locales qui se battent contre l’ouverture de la mine de lithium, se la posent depuis un an. Sans en connaître la réponse.

Nous avons soumis la carte des pollutions à Laure Laffont, ingénieure géochimiste de l’université de Toulouse. « Certains points à haute teneur en arsenic et quelques-uns de plomb se situent sur le périmètre d’exploration de la mine de lithium, relève la spécialiste des métaux lourds. Il ne faut pas que ces sols soient en contact avec les eaux souterraines ou qu’ils soient remobilisés ». Comprendre, de nouveaux forages risqueraient de disséminer un peu plus les métaux déjà présents dans les sols. Pour éviter la contamination des eaux, Laure Laffont précise que « les galeries doivent être faites de sorte à ce que l’écoulement des eaux souterraines ne change pas ». L’autre risque d’exposition aux métaux toxiques pourrait venir des airs « avec toutes les particules émises lors du forage », selon Clément Evrard, directeur de recherche au CNRS, également consulté par Disclose.

Interrogé sur ce point, Imerys assure avoir pris en compte « toutes les zones identifiées dans le rapport Geoderis ». Selon l’entreprise, « l’exploitation » étant située à « une profondeur d’au moins 50 mètres de la surface et isolée dans un bloc de granit compact (…) la terre ne va pas être remuée ». Elle ajoute que des « études environnementales sont en cours et leurs conclusions seront rendues publiques lors du dépôt du dossier de demande d’autorisation »

Il était temps. Depuis 2021, l’entreprise échappe à toute enquête indépendante. Avant toute campagne de forage, la réglementation impose en effet la réalisation d’une étude pour évaluer l’impact du projet. Mais à trois reprises, en 2021, 2022 et 2023, Imerys en a été dispensée par la préfecture et son service chargé de l’environnement : la DREAL. Certes, l’entreprise a réalisé son propre rapport, mais celui-ci, publié en janvier 2023, n’a pas pris en compte les pollutions pré-existantes. Les experts missionnés par Imerys laissent même entendre que les forages n’auront aucun impact sur les eaux souterraines : « Aucun périmètre de protection des eaux n’est concerné par le périmètre du [projet d’Imerys]. Actuellement, les eaux sont donc principalement destinées à l’arrosage et servent à abreuver les troupeaux ».Des bêtes potentiellement contaminées, elles aussi, tout comme des jardins potagers. Le secteur comprend en effet plusieurs dizaines d’élevages de bovins essentiellement destinés à la vente et l’auto-consommation. Des animaux qui doivent absolument éviter certains pâturages, dont les experts de Geoderis ont recommandé de condamner l’accès il y a six ans déjà.


Cette enquête a été réalisée par Investigate Europe, un collectif de journalistes indépendant·es qui collabore avec des médias européens.

Enquête : Leila Miñano
Édition : Mathias Destal et Ariane Lavrilleux

*Les prélèvements effectués chez Roger Konaté proviennent d’une étude réalisée par BRGM. Ils n’ont pas fait l’objet d’une géolocalisation précise comme pour ceux de Geoderis

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