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lundi 16 janvier 2023

A Lützerath, les banques françaises font le choix du charbon contre le climat 


 

13 janv. 2023

L’entreprise allemande RWE, financée à hauteur de centaines de millions d’euros par les banques françaises, s’apprête à raser le village de Lützerath pour étendre une mine de charbon géante. 

Selon une étude scientifique inédite, la pollution émise par les centrales à charbon de l’énergéticien est responsable de la mort prématurée de plus de 36 000 personnes en Europe.

En remplissant sa tasse d’un café tiède, Ronni Zepplin lance un regard en direction de l’à-pic qui la sépare de Garzweiler, l’une des plus vastes mines de charbon à ciel ouvert d’Europe. Comme une centaine d’autres personnes, la jeune femme de 27 ans s’est installée il y a deux ans à Lützerath, le village désaffecté qui surplombe cette mine située dans le Bassin rhénan, l’épicentre du charbon allemand. Objectif : empêcher la destruction du village et l’extension du site d’où sont extraits 25 millions de tonnes de charbon chaque année. « Depuis ma naissance, il y a eu une longue succession de COP mais rien n’a changé, témoigne Ronni. Ici, on se confronte directement à la destruction que génèrent nos modes de vie. » Outre-Rhin, le charbon représentait près du tiers de la production d’énergie au premier trimestre 2022.

 

 

Ronni Zepplin, 27 ans, milite contre l’extension de la mine de charbon de Garzweiler, propriété de l’entreprise allemande RWE. © Mathias Zwick pour Disclose.

Depuis quelques jours, tous les regards sont tournés vers le petit village de Lützerath, où le démantèlement de la ZAD (zone à défendre) a débuté. En contrebas, d’énormes excavatrices lacèrent le sol à la recherche du précieux lignite. Inlassablement, de jour comme de nuit, ces machines déversent des milliers de m3 de charbon sur un tapis roulant relié à un terminal ferroviaire. De là, des wagons s’en vont alimenter les fours des quatre centrales à charbon des environs. Certaines unités de production de ces centrales ont été réactivées récemment afin de pallier la pénurie de gaz russe liée à la guerre en Ukraine et la baisse de la production nucléaire française. Ces installations, exploitées par le géant allemand de l’énergie RWE, sont les « tueuses du climat numéro 1 » dans le pays, dénonce l’organisation écologiste Bund.

 

 

Le charbon de Garzweiler alimente notamment la centrale de RWE à Niederaussem, située à Bergheim, en Allemagne. ©Mathias Zwick pour Disclose.

« Le charbon de Lützerath est indispensable pour faire fonctionner les [centrales] de lignite à haute intensité en période de crise énergétique », assure RWE, contactée par Disclose. Sûre d’elle, l’entreprise s’appuie sur un contexte favorable, marqué par l’annonce du vice-chancelier et ministre fédéral de l’économie et du climat, Robert Habeck, l’été dernier, d’un recours renforcé aux centrales à charbon pour cause de crise énergétique. Pourtant, un consortium de chercheur•euses allemand•es a calculé qu’il n’était pas nécessaire d’exploiter le charbon situé sous Lützerath pour assurer la sécurité énergétique du pays.

RWE, un géant du charbon financé par des banques françaises

Fondée à la fin du 19ème siècle pour fournir en électricité la ville d’Essen, à quelques dizaines de kilomètres de la ZAD, RWE est devenue le troisième fournisseur allemand d’énergie, et une multinationale présente dans plus de vingt pays. Si elle se présente volontiers comme « verte » et rappelle son objectif de « neutralité carbone » d’ici 2040, l’entreprise aux 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, qui était encore jusque récemment l’un des plus gros émetteurs de CO2 d’Europe, reste avant tout un producteur de charbon. Pas moins de 8 000 employé•es assurent le fonctionnement de ses mines et ses centrales, qui représentent toujours près d’un tiers de la production d’énergie du groupe en 2021, devant le gaz, les renouvelables et le nucléaire. 


 

En Allemagne, les mines de charbon continuent de s’étendre malgré l’arrêt de l’utilisation du charbon prévu par le gouvernement en 2030. ©Mathias Zwick pour Disclose.

Ses émissions de gaz à effet de serre sont telles que certains partenaires ont décidé de ne plus la soutenir. C’est notamment le cas de l’assureur Axa. En revanche, l’énergéticien peut toujours compter sur l’appui de banques internationales pour financer ses activités climaticides. À commencer par de grandes banques françaises : le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, le groupe BPCE (Banque Populaire, Caisse d’Epargne et Natixis), ainsi que la Société Générale et la banque BNP Paribas.

800 millions d’euros de prêts

Le Crédit Agricole, qui détient 760 millions d’euros d’actions de la compagnie, était le deuxième actionnaire de RWE derrière le géant de la finance américaine BlackRock, fin 2021, d’après Urgewald, une ONG spécialisée dans l’analyse des entreprises charbonnières. À ses côtés se trouvent BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Mutuel et le groupe BPCE. Ensemble, ces banques détiennent plus de 900 millions d’euros en actions de RWE, soit près de 10% du total des actions, selon l’analyse d’Urgewald.

La Société Générale et BNP Paribas ne détiennent pas seulement des actions. Entre 2019 et 2021, ces deux banques ont mis à disposition de la multinationale la somme de 800 millions d’euros sous forme de prêts ou de souscriptions. Un montant qui représente 7 % des 10 milliards d’euros obtenus par la multinationale à l’époque, selon Urgewald. D’après l’organisation, la BNP Paribas et la Société Générale lui ont également accordé pour 340 millions d’euros de prêts et souscriptions dits « verts ». Censés financer des projets liés aux énergies renouvelables, ces fonds représentent plus de 15 % du budget destiné à ce type d’investissements, toujours selon l’ONG allemande. Or, d’après Katrin Ganswindt, spécialiste des questions financières chez Urgewald, « cet argent peut atterrir dans le pot commun de l’entreprise ». En clair, les banques prêteuses ne peuvent garantir que leur argent ne sera pas utilisé pour financer le charbon. 


  

La mine à ciel ouvert de Hambach, le 30 novembre 2022. ©Mathias Zwick pour Disclose.

Pourtant, ces banquiers ne cessent de communiquer sur leur sortie des énergies fossiles. En 2020, la BNP Paribas a annoncé qu’elle exigeait une sortie du charbon d’ici à 2030 des entreprises financées. L’établissement aurait d’ores et déjà exclu « environ la moitié de [ses] clients du secteur de la production d’électricité » fin 2021, assure-t-il auprès de Disclose. Une exclusion qui ne concerne pas RWE, qui promet désormais une sortie du secteur en… 2030.

La Société Générale dit viser un « retrait de l’industrie du charbon en 2030 dans les pays de l’Union européenne et de l’OCDE, et en 2040 dans le reste du monde ». Sans pour autant exiger de plan de sortie détaillé de la part des entreprises financées. Le Crédit Agricole s’est engagé dès 2019 « à ne plus travailler avec les entreprises développant ou projetant de développer de nouvelles capacités charbon thermique ». Contacté, le deuxième actionnaire de RWE déclare que son « exposition au charbon thermique n’est plus que résiduelle ». Début 2022, l’ONG Reclaim Finance révélait que la banque n’avait pas respecté ses engagements en finançant des entreprises engagées dans le développement de nouvelles activités liées au charbon.

En Europe, 36 000 morts prématurées liées au charbon allemand

Les centrales à charbon de RWE ne nuisent pas seulement au climat. D’après des données exclusives transmises à Disclose par le NewClimate Institute, un think tank allemand, les particules fines rejetées par ses centrales à charbon ont causé la mort prématurée de 22 000 personnes en Allemagne depuis leur mise en circulation. Selon la modélisation des chercheur•euses allemand•es, en élargissant le champ d’analyse à tous les pays affectés par la pollution des centrales à charbon de RWE, dont les particules peuvent voyager sur des milliers de kilomètres, les chiffres passent à 36 600 morts prématurées. Pour obtenir ces résultats, l’organisation basée à Cologne a développé un modèle scientifique permettant de convertir les émissions des centrales à charbon en nombre de morts prématurées, c’est-à-dire les morts dues à des maladies contractées à la suite de l’exposition aux polluants émis par les installations de RWE.

Interrogée sur les chiffres accablants du NewClimate Institute, RWE se contente de renvoyer à la réglementation en vigueur : « Les centrales à charbon de RWE ont respecté et respectent les valeurs limites d’émissions fixées par l’UE et les autorités nationales. Ces seuils sont déterminés afin de protéger la santé de la population et des employés des centrales. »

« Faire monter la pression d’en bas »

Sophie, une étudiante de 21 ans qui vit dans le village militant de Lützerath depuis bientôt deux mois, sait qu’elle s’attaque à un adversaire de taille. Après s’être engagée dans Fridays for Future, un mouvement initié par l’activiste Greta Thunberg, la jeune femme qui s’est « radicalisée », selon ses termes, se prépare, comme sa camarade Ronni Zepplin, à l’affrontement final. Si leur horizon est l’évacuation de la ZAD, les activistes savent que l’argent est le nerf de leur guerre contre le charbon et pour la protection du climat. « J’ai encore un compte en banque, et je connais la responsabilité qui va avec », dit Sophie, qui admire les camarades qui n’en ont plus ou en partagent un. « Aller voir les banques en les priant de changer ne servirait à rien, il faut faire monter la pression d’en bas », complète Ronni. 

 

Des opposants au projet d’extension de la mine de RWE devant la cabane qu’ils occupent à Lützerath, le 1er décembre 2022. ©Mathias Zwick pour Disclose.

À travers toute l’Allemagne, neuf villages sont actuellement menacés par RWE et l’industrie du charbon, d’après le décompte de l’alliance écologiste Alle Dörfer bleiben (Tous les villages restent). C’est le cas de Manheim, et son église en briques rouges, située à un jet de pierre d’une autre mine exploitée dans l’ouest allemand par RWE : Hambach. A elle seule, cette mine génère 3 % des particules fines de type PM10 de tout le secteur énergétique européen. L’entreprise aimerait raser Manheim pour extraire le gisement de gravier qui s’y trouve, et l’utiliser pour stabiliser les flancs des villages qui resteront debout une fois la mine fermée. Mais un agriculteur ne l’entend pas de cette oreille.

 

  

 Le village de Manheim a été vidé de la quasi-totalité de ses résidents. Quelques rares habitants, comme Heinrich Portz, agriculteur, résistent et refusent de vendre leur propriété à RWE. ©Mathias Zwick pour Disclose

« Mon frère travaille chez RWE depuis qu’il a 15 ans. Quand je lui parle de ma situation, il me dit que je suis cinglé », s’amuse Heinrich Portz, attablé dans sa cuisine. Malgré sa solitude – ils ne sont plus que six foyers à tenir bon dans la commune, selon Portz -, l’agriculteur compte bien tenir et faire valoir ses droits face à la société aux 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En cause : l’indemnisation trop faible à son goût que lui propose le géant de l’énergie. Offrant un tour de son village fantôme, Portz feint l’indifférence : « Je me suis habitué à tout ça », dit-il, montrant la maison récemment condamnée de ses voisins.

 

 

La destruction de Manheim a engendré la construction d’un nouveau village à quelques kilomètres : Manheim-neu, avec son église flambant neuve en béton. ©Mathias Zwick pour Disclose.

Pendant que le vieux Manheim se meurt dans l’indifférence, le nouveau se porte bien. Conçue sur plan et sortie de terre pour reloger les habitants du village condamné, la nouvelle commune proprette a au moins conservé sa maire, Loni Lamberts, membre du parti conservateur CDU. D’après l’édile, 80% des habitants de Manheim sont venus s’installer dans Manheim-Neu (Manheim-Nouveau). Infrastructures, crèche, caserne de pompiers, espaces verts : RWE a ouvert grand son chéquier pour financer le nouveau village. Interrogé, le géant du charbon jure qu’il n’a pas « comptabilisé les coûts de la relocalisation ». Pour RWE, le charbon n’a pas de prix.

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