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mardi 20 décembre 2022

[Point de vue ] Contre-offensive russe : Kiev sonne l’alarme



Frédéric Lassez 19 décembre 2022 

Depuis le début du conflit et du fait de sa dépendance totale à l’aide occidentale, Volodymyr Zelensky se livre en continu à un périlleux numéro d’équilibriste. 

D’un côté, annoncer des victoires certaines à venir et une armée russe en déroute afin de s’assurer le maintien de l’aide internationale et, de l’autre, évoquer des difficultés et une armée russe menaçante afin de justifier les demandes d’accroissement de cette aide.

La presse occidentale n’est pas en reste et navigue, elle aussi, au milieu de ces contradictions, tirant des bords triomphalistes puis alarmistes au gré des déclarations des dirigeants de Kiev et de leurs soutiens de l’OTAN. Bien difficile, alors, pour le lecteur, surtout français, de s’y retrouver et de comprendre quoi que ce soit à l’évolution du conflit.

La semaine dernière, alors que l’hebdomadaire Marianne s’interrogeait pour savoir si l’ avait la « meilleure armée du monde » et que le général Yakovleff critiquait « l’aspect rigide et moutonnier de l’armée russe », une tout autre musique se faisait entendre dans la presse anglo-saxonne. La mélodie assez disgracieuse des sirènes d’alarme provenait notamment du magazine anglais The Economist qui ouvrait ses colonnes, le 15 décembre dernier, à Volodymyr Zelensky ainsi qu’au commandant des forces armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny. Le ton se voulait grave : « La Russie masse des hommes et des armes pour une nouvelle offensive. Dès janvier, mais plus probablement au printemps, elle pourrait lancer une grande attaque depuis le Donbass à l'est, depuis le sud ou encore depuis la Biélorussie. » L’armée russe pourrait même tenter une nouvelle fois de prendre Kiev. Le général Zaloujny s'inquiétait : « Les Russes préparent environ 200.000 nouveaux soldats. » The Economist en tirait la conclusion attendue : « L'approvisionnement en armes doit augmenter, et vite. »

Dans cette perspective, on comprend beaucoup mieux les déclarations, en novembre dernier, du général Mark Milley, le chef d’état-major de l’armée américaine, qui incitait Kiev à « saisir le moment » pour négocier car la victoire de l’armée ukrainienne lui paraissait tout simplement hors de portée.

On peut supposer que Milley avait en tête, à ce moment-là, la montée en puissance de l’armée russe et la perspective d’une offensive majeure à venir, préparée par la destruction régulière et méthodique des infrastructures civiles et militaires ukrainiennes.

Il semble bien, en effet, que l’état-major russe, sous la conduite du général Sourovikine, ait appris de ses erreurs et fait le choix, cette fois-ci, de reprendre les choses dans l’ordre en commençant par des bombardements massifs, comme les Occidentaux l’avaient fait en Serbie ou en Irak. Stratégie théorisée par les Américains sous le nom de « choc et effroi » (en anglais shock and awe) qui vise à paralyser l’adversaire et anéantir sa volonté de combattre.

Concernant les opérations terrestres, certains analystes militaires observent que les Russes ont désormais parfaitement compris où se situait le talon d’Achille de leur adversaire, le fameux « centre de gravité » clausewitzien à partir duquel tout le dispositif militaire ukrainien est susceptible de s’effondrer. Dans une série d’articles parus en novembre dernier sur le site américain 19FortyFive, spécialisé dans les questions de défense, l’ancien lieutenant-colonel Daniel L. Davis insistait sur le fait que la plus grande menace pour la capacité de l'Ukraine à faire la guerre reposait sur le risque d’interruption de ses voies d'approvisionnement depuis ses frontières occidentales, et particulièrement la Pologne. Sans ces corridors, il constatait qu'« il serait presque impossible pour Kiev de soutenir des opérations de guerre pendant plus de quelques semaines ».

On comprend alors l’inquiétude qu’inspire le regain d’activité militaire en Biélorussie. La perspective d’une attaque russe à partir du sud-est du pays pourrait en effet compromettre l’approvisionnement en armes des Occidentaux. On notera que Vladimir Poutine s’est déplacé lui-même à Minsk, le 19 décembre, pour rencontrer le président biélorusse Alexandre Loukachenko qui avait déjà annoncé, le 10 octobre dernier, la création d'un groupement militaire avec la Russie.

Les signes de la tempête à venir s’accumulent. Ni Washington ni Kiev n’ont suivi les conseils du général Milley de négocier tant qu’il en était encore temps. S’il fallait alors faire un pronostic concernant cette probable contre-offensive, que ce soient les Ukrainiens ou les Russes qui l’emportent, dans tous les cas, c’est l’Europe qui perd.

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