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mercredi 23 novembre 2022

La France pourrait-elle tenir en cas de guerre ?


Arnaud Florac 22 novembre 2022

Il est toujours intéressant de lire ou d'écouter les interviews du général de Villiers. 

D'abord, ce n'est pas un « bidasse », tel que le commun des journalistes se le représente. 

Pierre de Villiers n'est ni prognathe, ni chauve, ni imposant, ni simpliste. Sa courtoisie, sa modération et - osons le gros mot - son humanisme sont autant de points à porter à son crédit. L'ancien CEMA [chef d'état-major des armées, NDLR], qui possède par ailleurs une connaissance très pointue des dossiers en cours, sans doute alimentée par des amitiés au sein de l'institution, vient justement de s'exprimer dans Le Figaro. On lui demande évidemment son avis sur les capacités de l'armée française, à la lumière de la en Ukraine. Son constat, qui n'est pourtant pas nouveau, est honnête et a le mérite d'être argumenté.

En un mot, dans le cadre d'une de haute intensité, c'est-à-dire d'une guerre comme le XXe siècle en a connu, à la différence de nos OPEX des trente dernières années, la France, malgré la puissance de ses équipements et le professionnalisme de ses soldats, ne tiendrait pas dans la durée. Ce n'est pas une question de qualité, c'est une question de masse, une question purement arithmétique, pourrait-on presque dire, si l'on suit les propos de Pierre de Villiers. Pourtant, l'effort de défense de la France est important : 43 milliards en 2023, soit trois milliards supplémentaires par rapport à 2022.  L'Allemagne, elle, de son côté, remonte singulièrement en puissance, notamment avec le vote l'été dernier d'un fonds spécial de 100 milliards sur plusieurs années pour rééquiper la Bundeswehr. Une Allemagne qui se tourne à la fois vers l'Est et vers les États-Unis, et semble dédaigner désormais l' et son fameux « couple franco-allemand ». Nos gouvernements successifs, dans le rôle de la névrosée érotomane de ce couple inexistant, se sont raconté des histoires. L'Union européenne permettrait-elle alors, sous la forme d'une initiative commune, de pallier ces faiblesses dramatiques ? Pas davantage, dit l'ancien CEMA, qui constate que les initiatives européennes sont bien moins efficaces, en matière de défense, que les coopérations bilatérales, qui sont par ailleurs beaucoup plus faciles à mettre en place que les usines à gaz à 27 pays.

Le général de Villiers relève deux angles morts particulièrement graves : d'abord, nous avons radicalement sous-estimé, tout en nous payant de mots, le retour de l'agressivité géopolitique et des États-puissances. Derrière les éléments de langage (« usage décomplexé de la force », etc.), il s'agit de remettre des moyens. Cela, c'est le lot commun de la plupart des États occidentaux, car la France n'est pas la seule à avoir voulu « tirer les dividendes de la paix ». L'autre point est plus grave encore, car il ne concerne, à vrai dire, que la France : depuis des décennies, nous gagnons toutes nos guerres et nous perdons toutes nos paix. Vous me direz que c'est également le cas des Américains depuis le Vietnam. Toutefois - mais le général n'entre pas dans de tels détails -, il me semble que les Américains, constants dans leur bellicisme (qui est le ciment de leur nation, et ce, depuis le génocide des Amérindiens), ne sont pas soumis à un programme aussi mouvant que le nôtre. En France, l'exécutif et le Parlement changent un peu moins souvent mais donnent, l'un et l'autre, des coups de barre désordonnés. L'intérêt de la nation ? Un détail. Le véritable enjeu, Pierre de Villiers, cette fois, le dit explicitement, est la réélection, ce qui n'est pas à mettre au crédit d'une classe politique par ailleurs tellement défaillante.

Conclusion de ce constat : non seulement notre modèle d'organisation ne fonctionne pas, mais les instances supranationales, comme l'ONU, sont également obsolètes. L'OTAN, qu' déclarait, avec son habituelle prescience et son sens de la nuance bien connu, en état de mort cérébrale, a repris du poil de la bête. Toutefois, cette résurrection miraculeuse fait plus de mal que de bien, puisqu'elle polarise les peuples d'Europe en les replaçant sous le joug américain. Si l'on ajoute à cela la question migratoire et, dit le général, celle du réchauffement climatique, on se dirige vers un monde « sous tension et sous pression, dans lequel il faut penser l'impensable ».

Si les propos du général de Villiers sont justes et vont droit au but, ils ne sont malheureusement pas assortis de conclusions politiques précises. Comment s'affranchir de l'électoralisme ? Comment convaincre les dirigeants de penser au long terme plutôt qu'à la gamelle, aux intérêts supérieurs de l'État plutôt qu'à la soumission transatlantique ? Pierre de Villiers ne le dit pas ; ce n'est d'ailleurs pas son rôle. Du moins son constat sans appel, qui est également celui du général Thierry Burkhard, l'actuel CEMA, nous invite-t-il, collectivement, à nous tenir prêts en tant que société. Et, si nous faisons confiance à nos soldats, il n'est pas interdit, parallèlement, de faire une vertigineuse expérience de pensée : en cas de « mobilisation générale », comme en Russie ou en Ukraine, combien de citoyens ordinaires seraient présents sous les drapeaux ?

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