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mardi 26 juillet 2022

Des paysans ou des Canadairs, il faudra choisir ! [par Jean-Paul Pelras]




Et nous voilà, assis dans le vide, à respirer la chaleur sirupeuse qui descend des garrigues et vient mourir dans cette lumière pulvérulente, portée par le vent marin, qui inonde déjà la proue des jardins.
 
Au village, on charge les sacs de soufre à l’arrière des fourgonnettes, les hommes reviendront vers midi, ils passeront un peu de vinaigre sur leurs paupières pour atténuer le feu que laisse la poudre jaune au fond des yeux. Ils s’installeront ensuite dans la fraicheur de la cuisine qui donne sur la rue.

La suie tombe des cheminées, les mains de la grand-mère sentent l’ail, la tomate et le savon de Marseille, les légumes sont posés sur le marbre de l’évier. Nous sommes au cœur des années 70-80, quelque part dans le Midi de la France, en Roussillon, où le soleil tambourine.
Ici, la vigne pousse au milieu des vergers, les premières laitues sont parfois plantées entre les ceps et ils n’ont pas fini de récolter la sucrine d’un côté qu’ils sèment déjà les navets de l’autre. Pas un mètre carré ne se perd, le coup de rotavator gagne sur le chemin. À la nuit tombée, les tours d’eau en aval du canal se négocient parfois à coups de bêche ou à coups de poings. Les camions, les remorques, les fourgons qui partent au marché à 4 heures du matin sont chargés, jusqu’au sommet des ridelles, de pèches, d’abricots, de tomates, de melons, d’aubergines, de haricots… Les villages comptent des dizaines de commerçants, les ouvriers logent où ils peuvent, il y a du travail pour tout le monde et les saisonniers reviennent d’une année sur l’autre.

C’était il y a 40 ans, ce n’est rien 40 ans. Les chemins étaient entretenus, les fossés étaient curés, les ruisseaux et les rivières débarrassés des embâcles, les agriculteurs, les artisans, les commerçants étaient pompiers volontaires et laissaient leurs récoltes, leurs chantiers, leurs affaires quand, au clocher de l’église, le tocsin retentissait.
La friche n’existait pas car la terre faisait vivre les gens d’ici, tous les gens d’ici. Les écologistes non plus n’existaient pas, à part dans le discours de quelques “hippies” qui repartaient avant les premiers froids.

Et puis, le rouleau compresseur des importations déloyales a traversé les Pyrénées, a usurpé nos marchés, a bénéficié de la bénédiction des politiciens et, en moins de deux décennies, a vidé nos vignes, nos vergers, nos jardins.
Le fenouil sauvage, l’ambroisie, le chénopode, le lierre, l’ortie, le séneçon, l’herbe des pampas, le coquelicot, le pourpier, le roseau, le genêt, et, entre autres plantes invasives, l’acacia ont colonisé les terres arables, les chemins se sont refermés, les agriculteurs sont devenus employés municipaux ou ont trouvé du travail en ville, les commerçants ont plié boutique, les artisans ont fermé leurs ateliers, les vieux ne sortent plus leurs chaises le soir venu pour prendre le frais.

Et partout, partout la friche avance, qui entoure les lotissements, héberge le gibier, le rat, le serpent, le frigo abandonné, le petit trafic de drogue à la nuit tombée, l’allumette qui finira par tout emporter.
40 ans, ce n’est pas grand-chose 40 ans. Mais cela suffit pour sacrifier un territoire avec, de surcroît, des environnementalistes qui, pour le préserver, prônent son ensauvagement, la protection de quelques orchidées et l’interdiction, sur plusieurs hectares, de travailler les terres où l’une d’elle a été repérée.
Parce qu’ils sont venus un matin avec leurs voitures, leurs longues vues, leurs herbiers, leurs éprouvettes, leurs carnets, traquer le scarabée disparu et le lézard ocellé, l’économie doit désormais s’incliner face au dogme de ceux qui préfèrent aux parcelles cultivées les étendues enherbées.

40 ans, ce n’est pas grand-chose 40 ans, avec la quasi disparition des produits phytosanitaires qui protégeaient les cultures des maladies et des ravageurs, l’interdiction de nettoyer les rivières, celle de désherber avec des produits qui laissaient les chemins propres et, de facto, nous gardaient des incendies, celle de recueillir l’eau dans des retenues pour irriguer les productions et combattre le feu.
40 ans et nous en sommes là à redouter chaque jour ce désastre qui défigure les campagnes et chasse les populations. Oui, nous en sommes là à compter sur des avions pour contenir les flammes et à faire prendre tous les risques aux pompiers pour éteindre les brasiers.

En Gironde comme ailleurs, spontanément, les agriculteurs sont venus prêter main forte, avec leurs tracteurs, leurs citernes, leur bon sens, leur énergie, leur volonté. Alors, évidemment, il ne faudrait pas poser cette question qui va encore soulever le tollé et l’indignation. Mais, parce que je peux vous parler, sans que les coutures ne se voient, de ce qu’étaient nos campagnes voilà encore 40 ans, je me demande aujourd’hui où étaient, ces derniers temps, les responsables écologistes au moment de combattre les incendies. Ces responsables qui, depuis Paris ou Bruxelles, depuis leurs bureaux climatisés et quelques plateaux télévisés, décident, sans savoir ce qu’il en coûte de sauver un pays quand les hommes sont partis et qu’il se met à brûler !

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