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dimanche 8 mai 2022

Investiture d’Emmanuel Macron : le sacre du printemps


 

 Arnaud Florac 7 mai 2022

Tout cela n'a finalement duré qu'une heure. 

Arrivée sobre du chef de l'Etat, sur un concerto de Haendel joué par l'orchestre de chambre de la garde républicaine. « Le roi ! », manque de crier l'aboyeur. 

On se découvrirait presque, sur le passage faussement humble du vainqueur. Il y a des triomphateurs de la Haine comme il y eut jadis des héros de Rocroy. Proclamation des résultats par Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel : trop confiant en sa propre mémoire, le brillant normalien que fut jadis Fabius s'emmêle les pinceaux dans la récitation par coeur du nombre de suffrages. Ce n'est pas bien grave, c'est d'ailleurs le seul bémol d'une cérémonie par ailleurs parfaite. Le général Puga, grand chancelier de la Légion d'honneur, remet - à nouveau - le collier de grand-maître de l'Ordre à Emmanuel Macron.

Disons-le honnêtement : la chorégraphie est exceptionnellement réglée. Pas de fioritures, pas de misérabilisme non plus. Chacun est exactement dans son rôle : Fabius, solennel sans affectation, fait preuve de la nécessaire gravitas qui sied à sa fonction. Sapé comme un prince du sang, carré de soie diplomatique dans la poche de sa veste. Puga, aussi décoré que Salan autrefois, est un vieux héros qui a eu la patience (et probablement la grande intelligence) de servir la France sous plusieurs présidents un peu médiocres (Sarkozy puis Hollande). Chacun incarne précisément ce que représente sa fonction.

Et puis, finalement, il prend la parole. 9 minutes 40, à peu près. Il y a un peu de tout dans son discours, pour plaire au maximum, ce qui a toujours été son unique objectif. Emmanuel Macron rappelle que les Français ont fait « le choix d'un projet clair », ce qui, effectivement, méritait un rappel, parce que ce n'est pas exactement ce qu'il semblait. Marine Le Pen, Eric Zemmour, sans les citer ? « Sirènes d'idéologies dont nous pensions avoir quitté les rives » au XXe siècle. Quelques tartines de mots, dans une prose pleine d'esbroufe et d'emphase. « Qu'une boussole, servir » ; « léguer une planète plus vivable, et une France plus vivante et plus forte ». On est passés de Louis XVI au Front Populaire, puis à De Gaulle, puis à Greta Thunberg. Chapeau l'artiste.

Le véritable génie de cette journée, c'est le chef du protocole de l'Elysée. Honnêtement, c'est du beau boulot. Après le discours, il y avait une prise d'armes dans les jardins, avec des unités qui ont perdu des soldats au service de la France. Murmures pleins de compassion, à peine audibles (mais assez tout de même pour que les micros les captent), « je m'incline devant vos drapeaux », etc. Poignées de main avec les chefs d'état-major, qui se disent prêts à servir (le contraire serait étonnant).

Emmanuel Macron n'a finalement rien dit, ou si peu, dans ce discours. Une seule part de vérité lui a comme échappé : « c'est un peuple nouveau (...) qui a élu un président nouveau ». Un peuple nouveau, c'est en grande partie grâce à lui : l' sous  sous son quinquennat a continué, et ce n'est pas fini. Un président nouveau, ce n'est pas tout à fait faux : les crises qui se sont accumulées l'ont peut-être fait évoluer à la marge, mais pas changer. Se frotter à des choses abrasives et en sortir renouvelé : cela s'appelle une mue. Mais sous la nouvelle peau, c'est toujours le même serpent. Les serpents ne transpirent pas. Macron non plus : c'est un écrivain qui, admiratif, le constata en 2017. Macron est atteint du paradoxe du coquet : il serait capable de descendre de vélo pour se regarder pédaler. Pas étonnant qu'il se regarde avec amour, et se considère lui-même comme nouveau. Mais nous, sommes-nous si naïfs ?

Il s'agissait en 2017 de penser printemps, vous vous souvenez ? Ce printemps a finalement eu son sacre en 2022, un sacre léger, rythmé par la musique du Grand Siècle, bref et brillant, où chaque chose est à sa place. Le dieu du printemps, chez les Romains, était Vertumne, celui qui séduisit la nymphe Pomone en changeant tout le temps d'aspect, et en manipulant son opinion via une audacieuse campagne de communication. C'est exactement ce que nous avons eu. Il n'est pas certain que cela suffise.

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