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mercredi 20 avril 2022

Lettre à quelques artistes non essentiels [par Jean-Paul Pelras]

 


19 avril 2022 E-site66agri

Mesdames, messieurs,

 

c’est à Audrey, épouse de marin pêcheur rompue aux réalités de l’existence, que j’ai emprunté ce titre, bien évidemment inspiré de cette période pendant laquelle votre profession était devenue un produit secondaire, une distraction dont nous pouvions soi-disant nous passer. 

Certains d’entre vous avaient signé des pétitions, des manifestes, des tribunes pour dénoncer le manque de considération dont vous fûtes victimes pendant ces deux années de privations culturelles et de confinement imposés, rappelons-le, par Emmanuel Macron et son gouvernement.

Et vous revoilà, pas rancuniers, de retour pour soutenir celui qui, selon vous, vous empêchait d’exercer votre art, votre métier. Vous vous appelez Arditi, Canet, Robin, Attal, Jugnot, Binoche, Lellouche, Berling, Gainsbourg, Birkin, Taglioni, Roumanoff, Nagui, Berry, Cluzet, Gayet, Berléand, Solo, Lucchini… Et vous êtes plus de 500 à avoir signé une tribune “sans illusions, sans hésitations et sans trembler” pour faire barrage à la candidate du Rassemblement National. Quelques jours auparavant, une cinquantaine de sportifs parmi lesquels Noah, Fontenoy, Le Cam, Matuidi, Papin, Perec ou encore Parker avaient exprimé leurs désaccords avec Marine Le Pen en appelant à voter pour le président sortant.
Laissons de côté le choix qui appartient à chacun et sur lequel, justement à ce propos, je ne me prononcerai pas. Et abordons la méthode qui consiste à revendiquer une différence, celle qui se dresse entre les “célèbres” et les anonymes. Comme si les premiers étaient autorisés à influencer les seconds. Comme si les seconds n’étaient pas suffisamment qualifiés pour exprimer leurs propres opinions. Un concept dont vous êtes coutumiers, qui revient régulièrement dès qu’il s’agit de dénoncer l’injustice, la misère ou, depuis vos confortables situations, les menaces qui pèsent sur les civilisations, le climat et les ours polaires.


Vous êtes moins nombreux, en revanche, à dénoncer les aberrations écologiques et les drames humains suscités par la construction des stades au Qatar où va se dérouler la prochaine Coupe du monde de football. Le Qatar, ce pays qui exécute les homosexuels, pratique la charia et prive les femmes de nombreuses libertés. Ces stades où vous irez peut-être poser votre cul sur le dernier souffle des ouvriers asiatiques ou népalais, non loin de ces contrées où un journaliste est sorti d’un consulat, découpé en morceaux dans une valise diplomatique.

Vous dénoncez “le programme de la xénophobie et du repli sur soi qui a fait alliance avec des puissances totalitaires et bellicistes”. Vous avez peut-être raison. Mais, à ce compte-là, vous devez aussi citer ceux qui, pour des raisons géopolitiques évidentes, ont serré dans les 5 dernières années et auparavant, la main de dictateurs prêts à opprimer leurs propres peuples en encourageant la haine, la répression et la peur. Regardez qui est en train de renégocier avec l’Iran, pays où l’avocate Nasrin Sotoudeh fut condamnée à recevoir 148 coups de fouets et à être emprisonnée 10 ans pour avoir défendu la liberté d’expression. Oui, regardez et vous serez surpris de voir que les dirigeants soi-disant vertueux ou leurs représentants sont peut-être en train d’échanger du pétrole contre du nucléaire. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, en quelque sorte, loin, bien loin des priorités de la “jet set”, de ses millions, de ses tapis rouges, de ses caprices, de ces vedettes qui ont, de toute évidence, une approche très sélective des dangers qui menacent notre planète. Enfants gâtés d’un système qui confond bien souvent spectacle et politique politicienne, votre suffisance à l’égard de ceux qui vous regardent, vous écoutent, vous lisent et vous applaudissent, est devenue insupportable lorsque que vous passez de sympathiques troubadours subventionnés à pathétiques prescripteurs d’opinions calibrées.

Contrairement à ce que vous pensez, vous n’êtes pas “plus importants” que l’artisan, le commerçant, l’agriculteur, l’infirmière, l’instituteur, le garagiste, le maçon, le militaire ou le boulanger. Pas plus importants que celles et ceux qui permettent de nous nourrir, de nous soigner, de nous instruire, de nous défendre ou de nous abriter. Ou comment celles et ceux qui se croient essentiels, à trop vouloir nous infantiliser, finissent par ne plus nous faire rêver.

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