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vendredi 29 avril 2022

Le Kremlin coupe le gaz aux Polonais et aux Bulgares



 

 
 Philippe Charlez 28 avril 2022


En décidant de couper le gaz à la Pologne et à la Bulgarie, tous deux réfractaires au paiement en roubles exigé par la Russie, Vladimir Poutine a donc envoyé un premier « missile virtuel » à l’Union européenne.

En mettant pour la première fois à exécution le chantage gazier, le maître du Kremlin entend rester à court terme maître des horloges. 

Bien au-delà du support du rouble, Poutine cherche surtout à fracturer le camp européen dont il connaît les divisions sur la question cruciale du gaz et de son potentiel embargo.

Bien qu’écartant toute transaction directe en roubles, les vingt-sept ont accepté implicitement le diktat de Poutine en autorisant les compagnies distributrices (Engie en France) à ouvrir des comptes en roubles auprès de Gazprombank, ce dernier transformant les euros en monnaie russe avant de les verser à Gazprom. Refusant de se soumettre aux nouvelles règles imposées par le Kremlin, les distributeurs polonais et bulgares ont été logiquement sanctionnés. Ils semblent assumer la situation, affirmant qu’ils s’y étaient préparés de longue date : rempli à hauteur de 76 % (contre 32 % pour l'ensemble de l'Union européenne), le stock polonais serait ainsi pratiquement capable de passer l’hiver 2022.

L’Europe peut-elle pour autant gérer cette situation à la fois sur le plan de l’approvisionnement et de la distribution ?

La Pologne (20 milliards de mètres cubes par an) et la Bulgarie (3 milliards) ne comptent que pour 6 % de la consommation des 27 (400 milliards de mètres cubes annuels). Une partie significative de ce déficit pourrait être compensée par du GNL importé notamment des États-Unis (15 milliards de mètres cubes promis par Joe Biden), d’autant que la dispose, sur la mer Baltique (Poméranie occidentale) d’un terminal méthanier capable de regazéifier 7,5 milliards de mètres cubes par an et qu’un nouveau pipeline la reliant à la Norvège sera mis en service à l’automne prochain. Au niveau de la distribution, et compte tenu de la fermeture du gazoduc Yamal qui approvisionnait la Pologne, certains flux peuvent aisément être inversés pour approvisionner les deux pays privés de gaz russe. À court terme, la solidarité européenne pourra donc assez aisément gérer cette situation inédite.

Mais le maître du Kremlin va-t-il s’en arrêter là ? On peut en douter. Dans l'immédiat, Poutine reste le maître du jeu. Il sait que les productions mondiales sont pratiquement incompressibles et que les presque 160 milliards de mètres cubes importés de Russie par l’Union européenne ne pourront être remplacés en totalité. Après avoir fermé le Yamal, il pourrait, à la prochaine « incartade européenne », décider de fermer le Nord Stream pour étrangler l’économie allemande. Aussi, le courage des Polonais et des Bulgares devrait rester sans suite. Dix compagnies gazières européennes ont d’ores et déjà ouvert des comptes en roubles chez Gazprombank pour assurer leur approvisionnement.

À court terme, ces intimidations ne rassurent pas les marchés et continuent de faire monter le prix du gaz. Le TTF de Rotterdam s’est ainsi enchéri de 15 % depuis le début de la semaine et se négociait autour de 110 euros. D’autant que la monnaie européenne continue de se déprécier par rapport au dollar (on est presque arrivé à la parité), ce qui renchérit mécaniquement le prix des hydrocarbures alignés sur le dollar. Tous les indicateurs économiques sont donc au rouge pour les Européens.

Pour se rassurer, certains considèrent que la stratégie poutinienne est suicidaire et qu’à moyen terme, il devrait la payer très cher. Le marché européen du gaz ne représente-t-il pas, pour lui, la poule aux œufs d’or ? Pas si sûr. D’ci cinq ans, le pipeline Altaï permettant au gaz russe de massivement transiter vers la Chine devrait être terminé. La Russie pourra alors se tourner vers le gigantesque marché chinois et ignorer des Européens qui auront tout perdu dans l’aventure.

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