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vendredi 1 avril 2022

Guerre d’Ukraine – Jeudi 31 mars 2022 – Jour 36 – fin de journée



 
parcourrier-strateges
1 avril 2022
 
Le Courrier des Stratèges publie quotidiennement un bilan de l’évolution de la Guerre d’Ukraine. Avec une double perspective, croisée: la guerre sur le terrain; et le conflit stratégique global que les Etats-Unis essaient d’organiser contre la Russie – en prenant le risque très clair d’une escalade entre puissances nucléaires. Nous sommes dans une "crise des missiles de Cuba" au ralenti. L'instinct de survie et l'intelligence l'emporteront-ils sur le potentiel d'auto-destruction de l'humanité? Après un mois de conflit, il apparaît (1) que la Russie a initié une véritable révolution militaire, fondée sur la supériorité (pour l'instant) absolue que lui donnent les armes hypersoniques; (2) que la plus grande partie de la planète ne veut pas entrer dans une confrontation avec la Russie orchestrée par les Etats-Unis; (3) que l'on assiste à la fin du système monétaire mondial fondé sur le dollar et à la naissance d'un nouveau système "poly-monétaire".
 

 

La bataille d’Ukraine

Pour qui fait une veille sérieuse sur internet et sur différents réseaux sociaux, un certain nombre de questions commencent à surgir, qui complexifient énormément (1) l’histoire des origines du conflit (2) la compréhension de la stratégie militaire russe. Le Courrier des stratèges reviendra plus longuement sur ce sujet dans les jours qui viennent. Nous indiquons ce soir les questions qu’il convient de se poser: 

– L’armée ukrainienne était-elle, le 24 février, en train de se déployer pour lancer une attaque, début mars, dans le Donbass? C’est ce que donne à penser le fait que le gros de l’armée ukrainienne se trouvait regroupée à proximité du Donbass quand l’offensive a éclaté. 

– Les dirigeants occidentaux pouvaient-ils ne pas être au courant de ce que préparaient les Ukrainiens? Emmanuel Macron ou Olaf Scholz auraient-ils donc joué un double jeu, en discutant avec Poutine pour le convaincre de négocier avec un pays dont ils auraient su pertinemment qu’il s’apprêtait à reprendre la guerre du Donbass? 

– Et même, allons plus loin: les conseillers militaires officieux de l’OTAN ont-ils  élaboré avec les Ukrainiens le plan d’une guerre qui devait amener la Russie à réagir et entrer dans le conflit? 

Non seulement, il faut savoir que de plus en plus de Russes informés se posent ces questions; mais dans la plus grande partie du monde, où l’on n’a pas soutenu les sanctions de l’Amérique du Nord et de la Russie, on ne serait pas étonné que la réponse fût positive à ces trois questions.  Pensons par exemple à la manière dont la diplomatie chinoise, tout en réclamant la paix, évoque, depuis le 24 février, en termes feutrés, des provocations exercées vis-à-vis de la Russie. 

On est loin d’avoir analysé sérieusement, pour l’instant, les origines immédiates du conflit. 

En ce qui concerne l’avancée des opérations: 

+ Hier 30 mars, l’armée russe a montré des images prouvant qu’elle a détruit complètement  un système ukrainien de lancement de missiles S-300 (10 lanceurs). 



+ Les frappes balistiques russes de précision ont aussi concerné des objectifs militaires dans les régions de Khmelnitsky, Kiev, Kharkov, Dniepropetrovsk, Nikolaïev,  

+ L’annonce d’une suspension des actions militaires russes dans la région de Kiev était-elle en partie une ruse de guerre pour voir dans quelle mesure les Ukrainiens jouaient le jeu des négociations? En tout cas, sur place, les troupes de Kiev ont pensé qu’elles pouvaient en profiter pour reprendre l’avantage. C’est pour cela, sans doute, que le Pentagone estime à 20% les forces russes s’étant vraiment retirées de cette partie du théâtre d’opérations. 

+ Des combats ont eu lieu autour de Kharkov sans qu’on puisse dire s’il s’agit plus que d’affrontements sporadiques. 

+ L’avancée sur Slaviansk, depuis Izyoum se poursuit. 

+ L’armée russe continue à consolider le contrôle de la région autour de Nikolaïev mais on peut penser qu’aucune nouvelle offensive ne sera lancée tant que la bataille principale, celle du Donbass, n’aura pas été livrée. 

+ La bataille ultime du Donbass se prépare mais, comme à chaque phase, le commandement russe laisse peu filtrer. 

+ Le passage au peigne fin de Marioupol continue pour débusquer les combattants du Bataillon Azov. Comme annoncé, les forces russes ne font pas de prisonniers. Les nombreux clichés et vidéos que l’on peut voir sur des comptes de réseaux sociaux fiables montrent non seulement de nombreuses destructions matérielles mais aussi les cadavres des fascistes de Marioupol qui n’ont pas voulu se rendre. Pour l’armée russe, il reste encore à conquérir complètement l’usine d’Azovstal, où sont réfugiés les irréductibles….On notera cependant que certains des chefs ont essayé à plusieurs reprises de s’enfuir par hélicoptère. Il y a deux jours les hélicoptères avaient été abattus avant d’arriver à Azovstal. Aujourd’hui, ce sont deux hélicoptères qui ont été abattus alors qu’ils venaient de repartir de Marioupol. Tous les occupants sauf trois personnes ont été tués sur le coup. 


Le conflit géopolitique global
 
 
 

+ L’Inde est le pays-clé quand on veut analyser l’échec de la politique américaine à mobiliser le reste du monde hors monde anglophone et Union Européenne. C’est, en nombre d’habitants, la plus grande démocratie du monde, un bloc qui pèse autant que la Chine démographiquement parlant. L’Inde est aujourd’hui la 5è puissance économique du monde. Elle représente aujourd’hui 7% du PIB mondial, contre seulement 3% en 1991. C’est un pays anglophone, historiquement un leader des non-alignés. Une puissance nucléaire. 

Or c’est ce pays qui a le lus clairement fait comprendre aux Etats-Unis qu’il ne rentrerait pas dans le cycle des sanctions. La visite de Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe, à New Delhi, où il sera reçu par le Premier ministre Modi,  revêt donc une importance particulière. 

+ Très instructive, la présentation des choses par le journal indien Economic Times

Face aux sanctions croissantes contre la Russie pour avoir lancé des opérations militaires en Ukraine, l’Inde, conformément à ses liens anciens et à ses relations amicales, permettra à Moscou d’investir et d’emprunter sur le marché intérieur.

La Russie a été frappée par de multiples sanctions suite à ses opérations militaires en Ukraine. Les pays du monde entier imposent de nouvelles sanctions contre la Russie.

Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada ont interdit à certaines banques russes l’accès à SWIFT, le réseau hautement sécurisé qui facilite les paiements entre 11 000 institutions financières dans 200 pays. Auparavant, l’Allemagne avait interrompu la certification du gazoduc “Nord Stream 2”, à la suite des actions de Moscou en Ukraine.

En dépit des sanctions, l’Inde a autorisé la Russie à investir dans des fonds d’emprunt d’entreprises indiennes qui pourraient aider Moscou.

Cela peut être considéré comme un geste de retour pour l’offre russe de vendre du pétrole à l’Inde avec un rabais énorme de 25 à 30 %. L’Inde, en manque d’énergie, a déjà commencé à profiter de cette facilité et à constituer des stocks tampons suffisants.

Tout aussi importante est la décision indienne, prise au plus haut niveau, d’autoriser la Russie à payer ces investissements par le biais d’un compte de la Reserve Bank of India qui existe depuis l’effondrement de l’Union soviétique il y a trente ans. Les fonds se sont accumulés dans l’attente du paiement des achats de défense effectués auprès de Moscou. Il y a donc un élément de réciprocité.

L’Inde tire les leçons de ses relations passées avec l’Iran, un autre ami frappé par les sanctions. Les importations de pétrole iranien ont été ramenées à zéro il y a quelques années après que les États-Unis ont rendu difficiles les transactions monétaires avec Téhéran.

Entre autres, la Russie sera autorisée à investir dans des titres de créance.

Selon certains rapports, les responsables du gouvernement russe ont demandé à leurs homologues indiens d’assouplir le cadre indien des emprunts commerciaux extérieurs (ECB), ce qui permettrait aux entités russes d’investir dans des obligations de sociétés indiennes et de payer ces investissements par le biais d’un compte auprès de la Reserve Bank of India (RBI).

Selon les médias, le compte de la RBI présente un solde cumulé de 2 000 milliards de roupies provenant de paiements en attente pour des achats de défense effectués auprès de la Russie.

Les “obligations Masala” sont des obligations libellées en roupies émises à l’étranger par des entreprises indiennes. Ce sont des instruments de dette qui aident les entreprises à lever des fonds en monnaie indienne auprès d’investisseurs étrangers. Les entités gouvernementales et privées peuvent émettre ces obligations.

L’arrangement proposé est une réponse aux pressions exercées au niveau économique, alors que les prix mondiaux du pétrole augmentent, leurs importations ayant un effet négatif en cascade sur l’économie indienne.

L’Inde s’est abstenue de participer aux votes des Nations unies sur la crise entre la Russie et l’Ukraine, appelant à la place à une “cessation immédiate de la violence”, et mettant l’accent sur le dialogue comme moyen de sortir du conflit”.

On se prend à rêver qu’un article aussi dépassionné et rationnel remplace “Inde” par “France”. Et “roupie” par….”franc”! 

+ Je lis sur ces étudiants russes qui ne sont plus persona grata dans des unités françaises, sur des banques qui refusent à des étudiants russes de leur ouvrir un compte. On me raconte l’histoire de cette étudiante française que son université a menacée d’exclusion si elle ne quittait pas son université en Russie pour revenir en France. La jeune femme n’a pas cédé.  

+ Les Etats-Unis ont classé les engrais comme des biens de première nécessité pour pouvoir les importer de Russie malgré les sanctions. 

+ Vladimir Poutine a signé le décret qui fait entrer en vigueur l’obligation, à partir du 1er avril, pour les “pays inamicaux”, d’avoir un compte dans une banque russe pour pouvoir continuer à acheter du gaz.  Les gouvernements français et allemands continuent à faire croire qu’ils paieront en euros; en fait ils déposeront leurs euros dans une banque russe, laquelle les changera en roubles pour Gazprom. Ce que la Russie voulait éviter, en premier lieu, c’était que les Européens suivent la recommandation américaine de déposer les euros sur un comte bloqué occidental….en attendant la fin de la guerre ou un traité de paix. Par ailleurs, le mécanisme trouvé permet aux Etats de l’UE de sauver la face. Mais en réalité, les Etats-membres de l’UE n’ont pas le choix – à moins de plonger leur population dans le froid l’hiver prochain, comme le recommandent certains politiques allemands. 

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