Pages

dimanche 10 octobre 2021

Mouchards, collabos, on a besoin de vos services


 


Ludovic Simbille 5 octobre 2021

Devenez « client mystère » pour surveiller les contrôles de passe sanitaire

Devenir « enquêteur mystère » chargé de vérifier si le passe sanitaire est bien contrôlé là où il est devenu obligatoire ? L’annonce est bien réelle mais l’organisme qui cherche à collecter cette information demeure difficile à identifier.

Vous sentez-vous l’âme d’un fin limier ? Rêvez-vous de vous « rendre dans des lieux où le passe sanitaire est obligatoire » tout en vous faisant passer « pour un client lambda » dans le but « d’observer si les contrôles sont bien effectués » ? En clair, voulez-vous contrôler les contrôleurs de passe sanitaire ? Alors, cette offre d’emploi récemment publiée par la mission locale du Pays d’Aix (Bouches-du-Rhône) est faite pour vous. N’hésitez plus : devenez « enquêteur-ice client-e mystère L.A.C », L.A.C signifiant « Lutte Anti-Covid ».

Pour la modique somme de 1333 euros brut par mois (pour 30 heures hebdomadaire), vous aurez l’honorable tâche de « vérifier que le passe sanitaire de chaque client soit bien contrôlé à l’entrée des établissements ». Incognito, vous surveillerez les enregistrements des QR-code et leurs bips désormais familiers, dans les bars, les musées, les parcs de loisirs, les centres commerciaux, les hôpitaux... Et même des centres de vaccination. Tous vos frais seront payés. Vous pourrez manger et visiter ces établissements à l’œil. Votre mission, si vous l’acceptez ? « Identifier les cibles » (sic), « réaliser une visite mystère », « collecter les résultats (photos, vidéos) » et « transmettre les résultats de l’enquête ». Bref, transformez-vous en vrai James Bond de la crise sanitaire...

On pourrait croire à un canular, à un « fake », en ces temps d’informations troubles autour de la pandémie. D’autant que l’embauche prévoit un contrat de douze mois, alors que le passe sanitaire est censé prendre fin le 15 novembre prochain, comme l’ont remarqué plusieurs internautes sur Facebook. Sauf que « toutes les annonces que l’on publie sont réelles », nous confirme un responsable la mission locale du Pays d’Aix.

« J’ai d’abord cru à une blague, glisse un conseiller d’une autre mission locale de la région. C’est la première fois qu’on reçoit une annonce de la part de cet employeur. » La mission locale n’a pas souhaité dévoiler l’identité de l’employeur « mystère ». Selon nos informations, cet emploi est proposé par CapRisk Asso, une association créée en février 2020 et basée à La Garde (Var). Spécialisée dans l’environnement, son activité sociale consisterait, d’après ses statuts, à organiser « des inspections et des vérifications sur des sites industriels » pour « sensibiliser les citoyens aux effets nocifs des polluants chimiques ». Difficile d’en savoir plus.

« Au moins le Covid crée de l’emploi même si ce n’est pas dans les hôpitaux »

Serait-elle la fondation d’entreprise rattachée à la société du même nom, CapRisk development, qui officie dans la gestion des risques environnementaux et dans l’amélioration sécurité au travail [1] ? Pourquoi chercherait-elle à collecter ce genre de données ? Contactée par téléphone, l’émettrice de l’annonce nous répond d’emblée : « Je ne vais pas pouvoir vous donner beaucoup de précisions. C’est très confidentiel, nous ne sommes que le mandataire de l’offre, nous répondons à une demande d’organismes. » Du secteur « privé », nous précise notre interlocutrice avant de nous interrompre sèchement lorsqu’on cherche à en savoir davantage : « Envoyez-moi votre demande par mail, j’aurai vos coordonnées ». La conversation n’ira pas plus loin. À ce jour, nous n’avons toujours pas eu de réponse à nos questions adressées par e-mail.

Le recours au client-mystère est une méthode en plein développement ces dernières années chez les enseignes désireuses d’améliorer leur qualité de service ou leur « relation client », de vérifier si leurs franchises adoptent leurs normes, voire de contrôler leurs salariés. Les entreprises spécialisées dans le recrutement de ces faux clients se partageraient un marché de plus 200 millions d’euros. Banque, tourisme, hôtellerie-restauration, santé, environnement, la pratique concerne divers secteurs. Et s’adapte désormais à la crise sanitaire.

« Au moins le Covid crée de l’emploi même si ce n’est pas dans les hôpitaux », ironise une employée de la mission locale. Décidément, le monde d’après est plein de promesses... Sans être nécessairement choqués par l’annonce, certains candidats « s’interrogent » tout de même sur son sens, admet un employé de mission locale. Petit détail : vous devez bien sûr être doté vous-même du fameux sésame.

Ludovic Simbille

Dessin : Rodho

bastamag 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.