Pages

jeudi 22 octobre 2020

Coronavirus : « La France avait une solution prête pour gérer la crise mais elle a été ignorée », selon Philippe Douste-Blazy


Philippe Douste-Blazy.

Philippe Douste-Blazy. Photo DDM archives - MICHEL VIALA

Publié le

  L’ancien ministre de la Santé et ancien maire de Lourdes et Toulouse, Philippe Douste-Blazy, sort un livre préfacé par le professeur Didier Raoult qui revient sur la gestion de la crise du coronavirus en France : «Maladie française», sous titré «Pandémie: et pourtant tout avait été préparé». 

Il revient notamment sur son alerte lancée en 2005 face à la menace d’une pandémie virale et au plan qu’il avait mis en place à l'époque mais qui a été oublié.

Dans votre discours à l’Assemblée nationale en février 2005 vous décrivez presque ce qu’il s’est passé 15 ans plus tard avec le coronavirus et vous proposiez des solutions. Vous n’avez visiblement pas été entendu. Quel sentiment cela vous procure-t-il ?

C’est un énorme gâchis. Après l’épidémie de SRAS au début des années 2000 j’avais présenté le premier plan au monde de lutte contre une épidémie virale. Tout était prêt. C’était concret (l’arrêt des vols d’avions dans les zones touchées, la réquisition des industries textiles pour faire près d’un milliard de masques,…). La France avait donc une solution sous la main. Mais elle a été ignorée dès les années 2012-2013.

Pourquoi selon vous votre plan n’a-t-il pas été appliqué ?

Je n’ai pas clairement la réponse. Mais l’hyper-administration et l’hyper-centralisme du ministère de la Santé n’ont pas permis de prendre les décisions nécessaires pour casser les chaînes de contamination au début de l’épidémie. Via le conseil scientifique Covid-19, dans lequel siège pourtant des personnalités remarquables, il y a eu une décision de ne pas tester massivement que je ne m’explique pas.
Pourtant la France est un des pays au monde à avoir le plus d’appareils PCR pour dépister la maladie, mais les seuls référencés par le ministère étaient ceux des CHU. On ne peut donc pas massivement dépister avec une vingtaine ou trentaine d’appareils. On a donc été très en retard et c’est la raison pour laquelle on a eu une catastrophe sanitaire en particulier dans les Ehpad.

Ces dépistages auraient-ils vraiment changé les choses ?

Oui. En Allemagne, avec un dépistage massif, il y a eu près de quatre fois moins de morts qu’en France. Le seul endroit où on l’a fait en France c’était à Marseille. C’est ce qui explique qu’il n’y ait pas de surmortalité dans cette ville. Au-delà des débats sur les traitements, axés sur l’hydroxychloroquine, le vrai sujet c’est la prise en charge globale. Quand on voit les malades de manière précoce on peut les isoler et agir sur la première phase de la maladie qui est purement virale. Si vous donnez un antiviral à ce moment-là vous avez un effet très positif.
Au moment du confinement, j’avais plaidé pour qu’on envoie des équipes médicales mobiles chez les gens, comme en Allemagne ou en Autriche, pour leur demander de faire un test PCR avec résultat en 24 heures. On aurait donc isolé les malades positifs qui auraient pu être pris en charge le plus vite possible. Mais ça n’a jamais été fait ni pendant ni après le confinement.

Comment expliquez-vous les débats houleux qui ont eu lieu sur les traitements ?

Il y a eu des anomalies dans des études effectuées par des médecins qualifiés mais qui ont donné bizarrement leurs données à des entreprises informatiques statistiques qui ont publié de faux résultats. Tout ça sous les yeux de la population mondiale. La question est: qui a payé ces fausses études ? Il y a d’ailleurs des enquêtes judiciaires en cours aux Etats-Unis pour savoir pourquoi et comment de telles anomalies ont eu lieu.

Didier Raoult a écrit la préface de votre livre et vous l'avez défendu quand il était critiqué de toute part. Pourquoi ?

Une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est le fait que Didier Raoult est un des plus grands infectiologues à l'heure actuelle. Il y a ensuite eu une polémique sur ses études cliniques avec l'absence de cas témoins, ce qu'on appelle une étude randomisée en double aveugle. On voit aujourd'hui deux choses. Si vous donnez des antiviraux - comme cela a été fait avec l'hydroxychloroquine et l'azithromycine ou avec d'autres molécules - en tout début de la maladie, vous aurez des réponses positives comme on le voit dans énormément de pays dans le monde. Mais pour ça il faut faire des dépistages massifs sinon vous n'aurez pas les cas précoces. Ensuite vous avez une phase plus inflammatoire avec ce qu'on appelle des orages cytokiniques où, là, il faut plutôt des corticoïdes et des anti-inflammatoires. Les études de Didier Raoult, elles, ont eu lieu dans les phases précoces alors que d'autres ont eu lieu dans des phases plus tardives. Si vous ajoutez à ça des bagarres d'ego devant les Français, qui n'en revenaient pas de voir des scientifiques jeter au grand public leurs divergences, l'image n'a pas été bonne.

Croyez-vous à l'arrivée prochaine d'un vaccin contre le Covid-19 ?

Tous les chercheurs s'entendent pour dire qu'il n'y aura pas de vaccin avant un ou deux ans. Attention à ceux qui disent qu'ils ont le vaccin. Car entre les intérêts politiques des chefs d'Etat et les intérêts économiques des grands laboratoires qui multiplient pas quatre ou par cinq leur valorisation boursière au moment où ils le disent, il faut se méfier. En plus, on ne connaît pas encore très bien cette maladie et si les malades ont une immunité transitoire ou définitive.

Quels conseils donneriez-vous au Français ?

Il faut surtout respecter les gestes barrières, la distanciation sociale et mettre le masque. C'est fondamental. Je dirais aussi aux personnes les plus âgées et les plus à risque de faire très attention.

Quelles conséquences peut-on déjà tirer de cette épidémie?

Il faut que les 195 pays des Nations Unies donnent au directeur général de l’OMS les pouvoirs contraignants pour obliger un chef d’Etat à avoir des stocks de masques et à dépister massivement et rapidement. Il faut que tous les pays du monde soient logés à la même enseigne et que les plans pandémie soient effectifs et efficaces.
En France, si le système hospitalier a bien fonctionné pendant l'épidémie, il manque clairement de lits en réanimation et des personnels formés pour ces services. On doit réfléchir à pouvoir mettre en place des hôpitaux en l'espace de 15 jours, par exemple, avec des lits de réanimation.
Il faut une cellule qui comporte le ministère de la Santé mais aussi de l'Intérieur et de la Défense avec un véritable chef d'Etat major et une organisation quasi militaire dans laquelle il y aurait des médecins de très grande qualité en infectiologie. Car, sans vouloir polémiquer, on a vu que l'épidémie avait été très bien gérée dans certains endroits et très mal dans d'autres.

Sébastien Marcelle 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.