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vendredi 24 avril 2020

Gérard Bardy : « Le plus grave est le silence complice des journalistes sur la mortalité dans les EHPAD »



Le journaliste et écrivain Gérard Bardy, ancien rédacteur en chef à l’AFP, analyse la façon dont les médias français couvrent la crise du Covid-19 et partage son inquiétude sur l’avenir de cette profession en pleine mutation.

Comment analysez-vous la manière dont la presse française traite cette crise ?

Pour suivre les informations concernant le Covid-19 sur plusieurs grands médias étrangers, je peux dire, par comparaison, que la presse française ne devrait pas sortir grandie de cet épisode !
À de rares exceptions près, dont il faut saluer le courage, les journalistes font du suivisme, relayant en boucle les informations officielles sans oser poser la moindre question qui dérange.
Sur la suppression des stocks de masques sous Hollande/Touraine, sur la non-reconstitution de ces stocks et la non-préparation d’une stratégie de crise sanitaire sous Macron/Buzyn, sur l’absence de masques, de combinaisons, de gants, etc., dans de nombreux établissements hospitaliers et maisons de grand âge, plus de deux mois après le début de la crise… sur tout cela, c’est-à-dire ce qui préoccupe quotidiennement les Français, aucune enquête de fond dans les médias !
Chaque soir, le professeur Jérôme Salomon rabâche que le pays où la mortalité est la plus forte est les États-Unis.
Ce qui est faux, car si le nombre de morts est double, aux USA, la population y est cinq fois celle de la France.
Eh bien, les journalistes gobent et restent muets !
Le plus grave est, à mes yeux, le silence complice des journalistes sur la mortalité dans les EHPAD. Plus de la moitié des victimes. C’est terrible.
On a délibérément laissé mourir les très vieux dans la plus grande indifférence médiatique.

« N’ayez pas peur. L’information porte en elle quelque chose de révolutionnaire : la vérité ! » m’avait dit Jean Marin, l’historique patron de l’AFP, en me signant mon contrat d’embauche.
Mais c’était dans un autre siècle !

Dans son classement mondial de la liberté de la presse 2020, Reporters sans frontières estime que la pandémie du Covid-19 amplifie les crises qui pesaient déjà sur le . La profession est-elle en danger ?

Je me méfie beaucoup des classements.
Malade était le journalisme, malade il restera.
Ce n’est pas le Covid-19 qui l’a contaminé, mais la proximité, la promiscuité, avec la classe dirigeante : politique, économique, etc.
Ce n’est pas le Covid-19 qui a fait fuir les acheteurs de journaux mais le coût de la presse, de sa fabrication à sa distribution.
Même remarque sur le peu d’intérêt accordé au contenu des journaux.
La fameuse « pensée unique » a appauvri le jugement et la capacité de dire autant que la chute de la publicité a ruiné les entreprises de presse.
Alors, dire si le métier de journaliste est ou non en danger, c’est à la fois simple et compliqué.
Simple si l’on compare cette profession à ce qu’elle était, il y a encore vingt ou trente ans.
Tout était loin d’être parfait, mais les journaux avaient une identité et avançaient leurs pions à visage découvert.
Même si ça touchait le camp adverse, les journalistes avaient le temps et les moyens d’enquêter, de comprendre et de dire.
Il y avait des journalistes en nombre dans les rédactions et ces derniers avaient les moyens de travailler, sans craindre la précarité.
Cette forme de journalisme là est morte !
Traînent encore de doux moustachus qui « fouillent dans les poubelles » et sortent des scoops : c’est tout !
Avenir compliqué si le danger qui rôde sur toute une profession est augmenté par la défiance grandissante du public.
Toutes les études, depuis plus de vingt ans, démontrent que la cote de confiance des journalistes s’est effondrée (et ça continue) au même rythme que celle des hommes politiques.
Un parallèle infernal qui en dit long.
Nous l’avons vu de façon criante avec la crise des gilets jaunes où les journalistes n’ont rien compris pendant trois mois avant de se laisser manipuler par le gouvernement.
Ce point m’apparaît être le plus inquiétant.
On peut fabriquer un hebdo ou une chaîne d’info avec des capitaux, mais peu importe les milliards mis sur la table, on ne pourra pas, avant longtemps – et peut-être jamais –, restaurer la confiance brisée dont les journalistes ne peuvent pourtant pas se passer.

Le journalisme a beaucoup évolué, ces quinze dernières années… quitte à se mêler aux métiers de la communication. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’un bon journaliste ? 

Vaste programme, aurait dit de Gaulle !
Je crois qu’un journaliste est, avant tout, un médiateur entre ceux qui savent et ceux qui veulent savoir. Il lui revient de déjouer le piège des manipulations car celui qui sait cherche, ou peut chercher, à imposer sa vérité et celui qui veut savoir, et qui paie pour ça, attend et mérite une information non frelatée. Sincère.
C’est un qualificatif que je préfère à « objectif ».
J’ai eu la chance d’enseigner, quelque temps, le journalisme dans une école réputée dont les élèves étaient tous très diplômés et issus de bons milieux sociaux.
Je commençais toujours mon premier cours en disant : « Journaliste, c’est parler aux gens des problèmes des gens avec les maux des gens ! » Ça reste la base.
Les grands médias audiovisuels, avec leurs infinis débats qui donnent très souvent la parole aux mêmes, laissent l’impression de parler à des initiés, de pratiquer l’entre-soi.
Et puis, pour aider à restaurer un peu la crédibilité des journalistes, il y a aussi un problème à regarder en face : celui de la présence, à l’antenne, d’éditorialistes qui étaient déjà là sous de Gaulle !
Ces professionnels-là ont souvent affirmé, avec la même autorité, tout et son contraire.
C’est indécent de donner, depuis cinquante ans, l’impression de savoir tout sur tout.
À la place de ces dinosaures, une nouvelle génération – politiquement non militante – est nécessaire pour restaurer la confiance.
Le journaliste n’est pas une star.
Et ne doit pas le devenir.
Il est là pour interviewer des gens en vue mais pas pour jouer leur rôle, avec ou sans écharpe rouge ! C’est un métier passionnant mais qui demande beaucoup de modestie et de travail, ne serait-ce que pour vérifier ses sources.
Pour moi, une seule source n’est pas, déjà, une information.
C’est encore une rumeur.
 
Gérard Bardy

Entretien réalisé par Maud Protat-Koffler

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