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vendredi 13 décembre 2019

Philosophie de la grève

 
 
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Quand le regretté Pierre Bourdieu était intervenu en prenant la parole gare de Lyon lors des grèves de 1995, il avait parlé d’un "combat de civilisation".

Il avait raison; près d’un quart de siècle plus tard, c’est le même qui se joue ces temps-ci dans les rues.

Pour empêcher toute réflexion de ce type, on braque les projecteurs ailleurs: le problème ne relèverait donc pas d’un choix de civilisation mais d’une série de débats sur des questions concernant le point et l’âge pivot, la répartition et la capitalisation, les régimes spéciaux et le simulateur de retraite, un système universel et "l’âge d’équilibre" (!), le systémique et le paramétrique, autrement dit, d’une juxtaposition de négociations d’intendance technique.
On regarde la chose avec le plus petit bout possible de la lorgnette.

Voyons-là plus tôt du point de vue de Sirius: il s’agit clairement pour Emmanuel Macron de faire avancer le bulldozer libéral maastrichtien dont le but avoué consiste à supprimer la puissance des Etats de façon à atomiser la société pour obtenir des monades plus faciles à circonscrire et à endoctriner.
Il s’agit de tuer l’antique Citoyen éclairé de la République pour faire advenir le Consommateur abruti du grand marché planétaire.
Pour les tenants de cette nouvelle barbarie, il ne doit plus y avoir de Nation et de République, mais des individus séparés comme autant de spermatozoïdes cherchant l’union avec l’ovule au prix de la mort de tous les autres.
Cette prétendue réforme n’est jamais qu’une variation sur le thème néo-darwinien de la lutte pour l’existence et du droit à la survivance des mieux adaptés.
Macron se sert des retraites pour imposer cette société de sauvages qui s'entre-tuent dans laquelle chacun cherche à sauver sa peau avec sa petite capitalisation en tournant le dos à toute solidarité.


Pour ces néo-barbares libéraux, il faut isoler les individus, atomiser la société, fragmenter les communautés, empêcher les solidarités, abolir les aides et les entraides.
Ces gens-là retirent la Fraternité de la devise républicaine après avoir également soustrait l’Egalité devant le droit et la loi, on sait en effet qu’au tribunal il vaut mieux être puissant que misérable, en même temps qu’ils ne reconnaissent plus à la Liberté qu’une seule définition: permettre au plus fort de nuire au plus faible, au plus riche de détruire le plus pauvre, au plus puissant de mépriser le plus misérable, au plus gros poisson de manger les plus petits.

Ce qui est détruit, sous prétexte d’en finir avec l’inégalité des régimes spéciaux, c’est l’instauration d’une autre inégalité entre ceux qui auront les moyens de se payer une retraite privée et les autres. Cette logique avalise le processus de paupérisation qui est la clé de voûte du libéralisme maastrichtien.
On ne demande pas à ceux qui possèdent de faire des efforts mais aux plus modestes, sous prétexte que la richesse des riches ruissellera naturellement jusqu’aux pauvres, c’est la vieille théorie de la fable des abeilles de Mandeville: les vices privés des riches constituent les vertus publiques de la société!
Ce qui, en d’autres mots, donne: ne touchez pas aujourd’hui aux plus aisés, laissez-les s’enrichir, c’est pour le bien des pauvres plus tard…
Or, pour l’heure, les pauvres s’appauvrissent et les riches n’ont que faire de cette histoire de points, leurs capitaux sont déjà bien placés, leurs retraites se préparent dans les banques des paradis fiscaux, leurs avoirs rentables crachent leurs bénéfices chaque jour que Mammon fait.

Je ne suis pas jaloux de l’âge de départ à la retraite des quinquagénaires dans telle ou telle profession. J’estime au contraire qu’il faudrait repenser le travail et indexer des projets politiques dignes de ce nom sur cet objectif: travailler autrement et moins.
Les socialistes qui, aux dernières élections présidentielles, militaient pour un revenu universel (autant à François Pinault et Bernard Arnaud qu’à leurs femmes de ménage…) seraient bien inspirés, dans un pays où le chômage est si élevé, de proposer des alternatives avec un travail repensé de fond en comble.
Il n’est pas normal que les jeunes ne trouvent pas de travail, que les séniors soient évincés dix ans avant l’âge légal de la retraite et que soient entretenus dans l’allocation chômage une partie des forces vives de la nation, c’est un gâchis d’énergie et de talents, de forces et de compétences, de volontés et d’aptitudes.
Il faut un nouveau projet de société et non une nouvelle régression sociale sous prétexte de progressisme libéral.
C’est ce à quoi devrait aussi s’occuper la gauche qui se contente si souvent d’être contre sans jamais proposer quoi que ce soit de neuf, sinon voler les idées de la droite, depuis un demi-siècle.

Le travail n’est pas l’horizon indépassable d’une vie.
Que de Fillon à Cohn-Bendit en passant par Sarkozy et Hollande soit repris l’argument qu’une augmentation de la durée de vie oblige à une augmentation de la durée du temps de travail dans la vie constitue une aberration!
Cette augmentation de la durée de vie milite bien plutôt en faveur d’une pensée refondée du travail et d’une large place accordée à une retraite qui ne serait pas un dépotoir d’énergie.
La quantité de vie n’est un argument contre la qualité de vie que chez ceux qui, à droite comme à  gauche, préfèrent la quantité à la qualité, signe de nihilisme.
Vivre plus longtemps ne signifie pas vivre plus longtemps en bonne santé: car l’augmentation de la quantité de vie va souvent de pair avec la diminution d’une qualité de vie avec le temps.
Le travail est pensé depuis deux mille ans par le judéo-christianisme comme une punition consécutive au péché originel, il me semble que cet archétype mental qui a traversé les siècles a contaminé bien au-delà des chrétiens.

Ce que les manifestants défendent dans la rue c’est la civilisation construite par les gaullistes et les communistes après la Libération pour remettre la France debout en donnant de la dignité aux travailleurs.
Le programme du Conseil national de la résistance a été la colonne vertébrale politique des années d’après-guerre jusqu'au départ du général de Gaulle.
C’est ce que Macron veut détruire.

Qu’on y prenne garde, ce jeune banquier d’affaire a intitulé l’un de ses livres de campagne présidentielle "Révolution".
La chose avait beaucoup fait rire en son temps, mais on a eu tort.
Sa révolution n’avait rien à voir avec la Révolution française, c’est un clin d’oeil qui a égaré la plupart, car elle avait à voir avec autre chose: il s’agissait d’une révolution libérale dont l’objectif était de faire tomber la Bastille de l’Etat protecteur et d’abolir les privilèges syndicaux.
En regard de 1789, ce que propose Macron est rien moins qu’une contre-révolution.
Il ne souhaite pas restaurer un ordre ancien, mais installer durablement celui du marché planétaire.

Cette prétendue réforme (pourquoi ce mot et non un autre comme "destruction"?) présentée comme nécessaire (par qui et pour quoi?) vise à privatiser la retraite, c’est tout simple, car la privatisation est l’horizon politique absolu de Macron et de Maastricht.
Il fait le job de l’Etat maastrichtien qui, c’est un paradoxe, impose le libéralisme à marche forcée.

Voilà pourquoi, chacun sachant que le diable est dans les détails, l’indice qui trahit le crime est le fait que Jean-Paul Delevoye, a "oublié" de déclarer à la Haute Autorité pour la transparence (!) de la vie publique le fait qu’il était payé par une société privée.
Après avoir vaguement dit qu’il était bénévole, il promet de rembourser environ 270.000 euros.
Voilà donc un bénévole payé qui oublie de déclarer ses fonctions alors qu’il sait que le conflit d’intérêt se trouve constitué, la preuve: son "oubli"!
Il démissionne de ses fonctions privées mais rien de plus, rien d’autre.
On n’a pas entendu Macron sur ce sujet, personne ne trouve la chose anormale, le monsieur continue alors qu’il était donc lobbyiste pour le privé, à occuper un poste de haut commissaire du gouvernement pour faire aboutir un projet dont le but consiste à faire du secteur privé le grand bénéficiaire de cette désétatisation du régime des retraites.

Cet homme qui planche au Grand Orient affirmait il y a peu qu’il faudrait une arrivée massive de 50 millions d’immigrés en Europe pour régler le problème des retraites à venir.
En 2013, alors président du Conseil économique et social, ce monsieur avait jugé irrecevable une pétition de 700.000 signatures contre le mariage pour tous. 
"On est dans un moment très malsain de notre démocratie", disait Delevoye en affirmant il y a peu de façon obscène (car où sont les étoiles jaunes et les camps de la mort?) que les musulmans d’aujourd’hui étaient les juifs d’hier…
Où l’on voit que le Jean-Paul travaille bien au projet de civilisation des européistes qui sont le cheval de Troie du gouvernement capitaliste mondial.

Cet homme qui, avec un minimum de dignité, aurait dû démissionner après avoir été ainsi pris la main dans le sac, reste évidemment en place pour faire le travail.
Il rejoint la cohorte des nombreux séides de Macron qui ont touché au grisbi et sont actuellement en délicatesse avec la justice.
Hommes et femmes de sac et de corde, ils sont parfaits pour exécuter le travail qui leur a été confié: ravager la fraternité républicaine afin de faire triompher la loi de la jungle libérale.
C’est vraiment au saccage d’une civilisation que ces gens travaillent au profit du capital.
En effet, le citoyen Delevoye a raison: "On est dans un moment très malsain de notre démocratie"…

Michel Onfray

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