samedi 15 juin 2019
"Entre les chiffres affichés par Pôle emploi et la réalité, il y a un gouffre."
Dans son portefeuille (le nombre de demandeurs d’emploi dont il a la charge) il y a officiellement jusqu’à 350 personnes.
Mais dans les faits, il peut y en avoir jusqu’à 700.
Et certains de ses collègues en gèrent plus d’un millier.
Pourquoi un tel écart ?
Les autres catégories (C, D et E) - qui regroupent ceux qui travaillent davantage, qui sont en formation ou en arrêt maladie - n’apparaissent nulle part, du moins publiquement.
Selon les données de plusieurs agences dans différentes régions que nous avons pu consulter, c’est un fait : en ajoutant la case "hors portefeuille", on peut facilement passer du simple au double.
Pôle emploi explique que ces personnes n’ont pas besoin des mêmes services ni du même accompagnement que les autres, et qu’il est donc logique de les classer hors portefeuille.
"Ces gens-là existent et ils peuvent parfaitement nous solliciter, remarque cependant Dominique. Ils peuvent demander un rendez-vous pour faire le point sur leur formation et la suite à y donner. Ils peuvent aussi nous envoyer des mails qui viennent s’ajouter à tous les autres."
C’est anxiogène parce que nous sommes tenus de traiter les mails reçus dans les 72 heures. Et on a en beaucoup !" Dominique, conseiller Pôle emploi.
Un chiffre en hausse de 43 % sur un an, selon un rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF).
Cette dématérialisation des services était censée faire gagner du temps aux agents car les demandeurs d’emploi se déplacent moins en agence.
À condition bien sûr que le conseiller ait le temps de répondre aux mails, or ce n’est visiblement pas toujours le cas.
Laure*, qui est inscrite à Pôle emploi, en a fait l’expérience.
Elle est inscrite en catégorie C (elle est donc en activité réduite).
Elle a tenté à deux reprises de contacter son conseiller.
En vain. "Je lui ai écrit deux fois en l’espace de deux ou trois mois dont une fois pour lui demander un rendez-vous mais il n’a pas donné suite. Je comprends que je ne suis pas prioritaire mais à quoi bon nous donner un contact si on n’a pas de réponse ?" s’interroge-t-elle.
Jusqu’à 1 000 dossiers "fantômes"
Un manager d’une agence Pôle emploi affirme que des demandeurs d’emploi n’apparaîtraient nulle part.
"Un certain nombre de gens ne sont pas immédiatement affectées à un portefeuille, explique-t-il. Parce qu’ils viennent de s’inscrire ou qu’ils se sont réinscrits après une courte période de travail. Ils se retrouvent alors dans une sorte de sas d’attente. En moyenne, j’ai 300 personnes en attente d’affectation dans mon agence. Mais parfois, il y a des pics dans l’attente de l’embauche d’un CDD."
En ce moment, j’ai presque 1 000 personnes en attente !" Un manager de Pôle emploi
Nous avons interrogé la direction générale de Pôle emploi sur ces pratiques pointées par le manager. La réponse est catégorique : "Pôle emploi ne manage pas ses agences par la taille de ses portefeuilles (...) En aucun cas la taille des portefeuilles ne constitue un indicateur de performance."
Des portefeuilles "poubelles"
Plusieurs sources au sein de Pôle emploi estiment cependant que ces portefeuilles suivis sont devenus une "poubelle" dans laquelle on place aussi des chômeurs de longue durée. L’objectif serait de faire baisser la taille moyenne des portefeuilles dits “renforcés”.
L’enjeu est politique.
Il s’agit de démontrer que Pôle emploi se donne les moyens d’aider ceux qui en ont vraiment besoin. Dans leur rapport, l’IGAS et l’IGF font le même constat.
Les portefeuilles suivis deviennent une "variable d’ajustement" :
"En cas de saturation des portefeuilles d’accompagnement plus intense, les demandeurs d’emploi sont vraisemblablement orientés vers un accompagnement qui l’est moins."
Interrogée sur ce point, la direction de Pôle emploi répond que "la priorité est au contraire d’augmenter le nombre de personnes en accompagnement renforcé (...) tout en préservant la qualité d’accompagnement".
Des agences moins favorisées...
À nombre d’inscrits quasi équivalent, l’agence de Roubaix Les Prés (Nord) a ainsi des portefeuilles suivis deux fois plus étoffés que celle de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), commune pourtant plus prospère.
Le député souligne que les agents ne sont pas responsables et qu’ils ne peuvent pas faire un accompagnement digne de ce nom parce qu’ils n’en ont pas les moyens.
Il rappelle "qu’après une première baisse en 2018, le projet de loi de finances 2019 prévoit une nouvelle diminution des effectifs de 800 équivalents temps plein".
Le ministère du Travail justifie ces réductions de postes par un début de baisse du chômage et la dématérialisation des services qui permet de gagner du temps sur certaines tâches.
À partir du mois de juillet 2019, de nouveaux entrants devraient arriver aux guichets de Pôle emploi. Un décret ouvrant des droits – sous conditions - aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires devrait en effet être publié. La réforme devrait toutefois dans le même temps durcir les règles d’entrée. Au moins 230 000 personnes pourraient donc être exclues du système d’indemnisation.
*Les prénoms ont été modifiés
► VIDÉO | Les dossiers fantômes des agents de Pôle emploi :
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