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jeudi 20 juin 2019

La lutte contre la haine sur Internet : de Charybde en Scylla

 
 


 
Le député Laetitia Avia se pose en détentrice de la morale universelle en présentant à l’Assemblée nationale un texte visant à lutter contre la haine sur Internet.

Le texte est discutable sur la forme, comme sur le fond.

La haine, tout d’abord, n’est pas une notion juridique.
C’est une notion morale qu’il n’appartient pas au législateur d’apprécier, de définir ou de sanctionner. Tout un chacun ne vit pas la haine de la même façon.
Des propos n’auront pas le même impact sur chaque personne en particulier dans un contexte en particulier.
Autant de critères qui crient haut et fort au législateur que cette problématique ne trouvera pas de solution dans la loi.
Qui appréciera le caractère haineux d’un contenu ?
Les plates-formes, sous peine de sanction, vont ainsi se substituer au juge et devenir un organe juridictionnel ou l’illustration de l’arbitraire macroniste limitant la liberté d’expression.
La criminalité augmente, le terrorisme fait son trou, des gens vivent et meurent dans la rue, mais la priorité absolue est de lutter contre la grossophobie…
Il s’agira donc, pour les plates-formes, de supprimer ces contenus haineux sous 24 heures, sous peine de se voir sanctionner par une amende pouvant atteindre 4 % du chiffre d’affaires total mondial. Pourquoi un tel quantum ?
Quels critères, quelles justifications permettent de définir cette somme comme étant la peine strictement et évidemment nécessaire pour ce type d’infraction, comme l’impose l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) ?
La majorité ne ressent pas la nécessité de se justifier.
Et pourtant, cela serait bien nécessaire.
Le comportement répréhensible donnant lieu à la sanction financière n’est corrélé ni à un quelconque intérêt ou avantage économique dont l’opérateur peut bénéficier, ni à une perturbation du marché.
La mise en place du plafond de sanction de 4 % du chiffre d’affaires total mondial n’est aucunement rationnellement liée à l’infraction poursuivie.
En droit interne, le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 8 de la DDHC disposant que la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, a déjà censuré plusieurs dispositifs de sanctions financières dont le plafond était calculé en pourcentage du chiffre d’affaires dès lors qu’il n’y avait pas de lien rationnel entre le comportement prohibé et les modalités de calcul du plafond de l’amende envisagée, lequel se trouvait dès lors disproportionné.
C’est le sens de la décision n° 2013-679 du 4 décembre 2013.
Le montant de cette amende n’est justifié par aucun élément de calcul.
Cette proposition de loi est une initiative de droit interne et ne fait pas l’objet d’un mécanisme européen d’articulation de compétence ou d’harmonisation entre les diverses autorités nationales. Retenir un plafond de sanction ainsi calculé est de nature à affecter le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise dans les États membres, ce qui pose un réel problème en matière de droit de l’Union européenne.
Concernant le délai, les plates-formes sont toutes d’accord pour affirmer qu’un délai de 24 heures est excessivement cours : les contenus et les signalements sont nombreux, leur traitement demande du temps, surtout lorsque 80 % d’entre eux ne sont pas pertinents.
Prononcer une telle sanction en refusant d’allonger le délai risque de pousser les plates-formes à faire de l’excès de zèle et à supprimer arbitrairement des contenus tout à fait légitimes.

Ce dispositif est l’illustration d’une méconnaissance profonde des réalités et constitue une aberration juridique et économique.

Paul Châteauvert

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