Jacques Sapir
L’été 2018 aura été meurtrier pour la réputation d’Emmanuel Macron.
La combinaison de deux affaires, par ailleurs liées, l’affaire Benalla et l’affaire DisinfoLab, expose de manière crue non seulement les méthodes de la Présidence de la République et du parti qui est sont principal soutien, La République En Marche (LREM), mais surtout l’atmosphère et l’idéologie qui règnent dans les milieux proches du pouvoir.
Au-delà des conséquences judiciaires que ces deux affaires sont susceptibles d’avoir, au-delà des conséquences politiques qu’elles auront très vraisemblablement, se pose désormais la question institutionnelle : est-il possible de laisser « ces gens là » continuer à gouverner ?
Et, si aucune méthode ne peut donc les en empêcher, quel en sera le prix pour l’ensemble des français ?
Le « Benalla-Gate »
Reprenons depuis le début.
L’affaire Benalla ne se réduit pas aux agissements de ce triste personnage.
Il y a eu des à l’évidence des manquements graves d’un point de vue judiciaires, dont mon ami Régis de Castelnau à donné la liste non exhaustive[1].
Cette affaire met gravement en cause le directeur de cabinet de l’Elysée, qui gérait les hommes, mais aussi le Secrétaire général, M. Kohler, par ailleurs mis en cause dans deux procédures disjointes par l’association Anticor pour de multiples conflits d’intérêts et une possible affaire de corruption[2]. Dans toute République autre que Bananière, ces deux hommes auraient dû démissionner.
Il est patent qu’il n’en a rien été.
Benalla, certes mis en examen, a pu partir pour le Maroc ou, au dernières nouvelles, il coule des jours heureux…[3]
Mais, ce que l’on a appris, est qu’il y avait une véritable cellule autour d’Alexandre Benalla, pour s’occuper de manière privée, et en conflit quasi permanent avec les instances chargées légalement de la faire, de la sécurité du Président.
La présence de Benalla et de ses acolytes de l’Elysée au sein des forces polices lors de la manifestation du 1er mai est maintenant bien établie[4].
Il faut alors mettre cela en parallèle avec la décision, assez inouïe, d’Emmanuel Macron de prendre le contrôle de la lutte antiterroriste.
En créant cette semaine le Centre national de contre-terrorisme (CNCT), Emmanuel Macron en a transformé le coordinateur du renseignement, Pierre de Bousquet de Florian, en un véritable patron d'une équipe de 19 agents, chargée d'un pilotage stratégique[5].
On touche ici à la dimension institutionnelle du problème.
Emmanuel Macron cherche à constituer l’appareil de la Présidence en un centre de décision autonome, supérieur au gouvernement de la République.
Cela ne répond ni à la lettre ni à l’esprit de la Constitution, qui organise en réalité un système ou le Président est un garant mais pas un acteur direct.
D’ailleurs, l’irresponsabilité du Président en découle.
Par ailleurs, le comportement même d’Emmanuel Macron qui est allé se justifier le 24 juillet au soir devant les députés LREM[6], constitue une seconde entorse au moins aussi grave à sa fonction.
Nous avons donc, là, un véritable problème de respect de la Constitution posé par la Président de la République[7].
DisinfoLab ou l’équivalent de « l’affaire des fiches » ?
A l’affaire Benalla est venue s’ajouter l’affaire DisinfoLab.
Au départ, il y a la volonté de certains, téléguidés par l’Elysée ou non, de créer un contrefeu à l’affaire Benalla, en prétendant que l’émotion autour de cette dernière aurait été « gonflée » artificiellement par la « sphère russophile » ou de la « russosphère » sur Twitter[8].
Tout cela est parti de la présentation sur le blog ReputatioLab, tenu par M. Nicolas Vanderbiest, d’une première étude[9].
La méthode de cette étude, en particulier pour définir la soi-disant « sphère russophile » est extrêmement discutable[10].
On peut parler d’une reductio ad Putinem utilisé par certains pour tenter d’étouffer l’affaire Benalla. Mais, au fil de la polémique, la vérité s’est faite jour.
L’activité de cette « russosphère » n’est absolument pas la cause de l’émotion provoquée par l’affaire Benalla, ainsi que le démontre, lui très scientifiquement, Damien Liccia[11].
Une enquête ultérieure, menée par Olivier Berruyer, et validé – il convient de le noter – par Checknews[12], démontre que M. Vanderbliest et ses associés, réunis autour d’une drôle de galaxie qui mélange allègrement les genres de l’ONG pseudo-universitaire à l’agence de communication[13], se sont livrés par ailleurs à un fichage politique illégal[14].
On n’est pas loin de « l’affaire des fiches », ce scandale qui marqua le début du XXème siècle et qui fit tomber le ministère Combes[15].
Or, Monsieur Nicolas Vanderbliest fut l’homme qui a rédigé une bonne part de la très contestée « loi anti-Fake news » qui fut rejeté par le Sénat en juillet[16].
La boucle ici se referme.
Nous avons donc un militant proche d’Emmanuel Macron faisant un travail (bâclé) pour tenter d’accuser une soi-disant « russosphère » et mettre implicitement sur le dos de Poutine le scandale provoqué par l’affaire Benalla.
Ce même militant a clairement enfreint la loi et s’est livré à un fichage politique.
La CNIL s’en est émue et s’en est saisie.
Signalons que, diffamé par un communiqué de DisinfoLab, Olivier Berruyer a, lui-aussi, porté plainte.
A bien y regarder, les deux affaires Benalla et DisinfoLab sont des allégories du pouvoir macroniste. On peut y voir la vérité de la « start-up Nation », cette combinaison de jeunes incompétents auxquels on confie des pouvoirs discrétionnaires (Benalla) ou que l’on charge des besognes digne d’un cabinet noir (Vanderbliest et DisinfoLab).
On y retrouve, sous une forme exacerbée, tout ce qui transpire de ce pouvoir depuis un an.
On y retrouve le mépris pour les institutions et pratiques politiques existantes, le mépris pour la population mais aussi ses élus, le sentiment de toute-puissance qui semble avoir saisi Emmanuel Macron depuis son élection, ce qui le conduit lui où les personnes qui le représentent à mentir ou a dissimuler la vérité.
S’y ajoutent une vision parfaitement complotiste de la politique (c’est la faute aux russes), et les menaces, plus ou moins voilées, contre l’opposition.
Les français sont en train de vivre, avec ces deux affaires, le « dévoilement » de la réalité du pouvoir macroniste.
Mais, après une phase de sidération, les réactions seront très dépendantes des stratégies des diverses forces d’opposition.
Emmanuel Macron représente un danger pour la République à travers sa volonté de se constituer comme une force politique « en surplomb » par rapport tant à la société qu’aux institutions.
Si les oppositions acceptaient de faire front commun, la réalité du système Macron, ce système qui est en fait profondément minoritaire, ne tarderait pas à être révélée et bientôt paralysée.
Car, en dépit de toutes ces affaires et de l’opprobre qui grandit, il faut se souvenir que la force d’Emmanuel Macron repose encore et toujours sur la division de ses opposants.
[7] J’ai abordé cette question dans ma note publiée le 25 juillet sur Facebook, qui a été lue par près de 40 000 personnes. https://www.facebook.com/notes/jacques-sapir/les-trois-fautes-demmanuel-macron/1338889326240982/
[8] https://www.bfmtv.com/tech/l-affaire-benalla-amplifiee-par-un-gonflage-numerique-sur-twitter-1498400.html Voir aussi https://www.lopinion.fr/edition/politique/affaire-benalla-l-activisme-russosphere-twitter-intrigue-158352
[10] Je l’ai analysé dans ma note publiée le 7 aout sur Facebook, https://www.facebook.com/notes/jacques-sapir/la-reductio-ad-putinem-laffaire-benalla-et-le-crétinisme-journalistique/1353721151424466/
[15] Charlot P., « Péguy contre Jaurès : l'affaire des « fiches » et la « délation aux droits de l'homme » », Revue française d'histoire des idées politiques, no 17, 1er semestre 2003, p. 73-91. Les « fiches » en question concernaient les idées politiques et religieuses des officiers supérieurs, et étaient rédigées par le Grand Orient de France pour transmission au Ministère de la Guerre.
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