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vendredi 29 décembre 2017

Avec les sans-abri, « naufragés » du bois de Vincennes



 

Ce vendredi, dans le bois de Vincennes (XIIe). De nombreux sans-abri passent l’hiver dehors, dans leurs abris de fortune. Des maraudes de l’association Emmaüs tentent de leur venir en aide. LP/Lucas Barioulet

Benoit Hasse| 29 décembre 2017
 
Ils ont posé leur tente en bordure de la ville, loin des administrations et des services sociaux. Rencontre avec ces sans-abri qui dorment chaque soir dans le bois de Vincennes.
 
Le sol boueux et gorgé d’humidité et le vent renforcent l’impression de froid.
En ce début de matinée de vendredi dans le bois de Vincennes (XIIe), la température dépasse à peine le zéro.
Soit 2 ou 3° de moins que dans Paris intra-muros !
C’est pourtant là que Cyril, Tony… et plusieurs dizaines d’autres sans-abri ont fini par poser leur tente.
En bordure de la ville, loin des administrations et des services sociaux.
« Mais ici, ils ont un semblant d’autonomie qu’ils n’auraient pas en centre d’hébergement d’urgence », explique Houda Benlaïba, chef de service d’Emmaüs-solidarité qui organise cinq maraudes hebdomadaires dans le bois.
« Ils ont tous des histoires différentes mais un point commun : ils sont arrivés là après un parcours d’errance dans la ville et la perte de tout espoir d’obtenir un hébergement adapté à leur situation. » Les personnes rencontrées lors de la maraude le confirment.
Témoignages.
 
« Aucune proposition depuis 2010. » Cyril, 46 ans.
 
Pas besoin d’aller bien loin du local Emmaüs (presque en face du prestigieux château de Vincennes) pour trouver le premier « habitant » du bois.
Cyril, cuisinier en recherche d’emploi, sort de la tente-bulle qu’il pose tous les soirs (et replie tous les matins) au pied d’une résidence vincennoise.
« Je dors ici depuis 4 ans », raconte le quadragénaire en situation d’errance depuis plus de 15 ans.


« Avant, j’étais à Châtelet, avec 3 autres sans-abri.
Quand ils sont partis j’ai décidé de venir ici pour être tranquille », explique-t-il en reconnaissant que l’éloignement pose de nombreux problèmes.
« 45 minutes de métro pour aller se doucher à l’autre bout de Paris, 45 minutes pour aller manger dans un autre endroit. Toute ma vie, c’est ça. Des allers-retours dans Paris. On n’a pas le temps de se poser, de réfléchir à des projets… », résume le SDF qui dispose pourtant de petits revenus (le RSA et quelques missions dans des restaurants).
« Mais pour tenir dans un boulot, il faut avoir un vrai logement », conclut Cyril, pessimiste sur ses chances d’obtenir un hébergement pérenne.
« Je suis inscrit au SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation) de Paris depuis 2010. A ce jour, je n’ai reçu aucune proposition. »





« Dans le bois, on est tout le temps fatigué. » Tony, 44 ans.
 
Un « accident de la vie », une « séparation difficile », un départ à Paris pour tenter de trouver du boulot… et puis la chute.
Tony, qui réclame l’anonymat parce que ses deux filles ne connaissent pas sa situation, fait déjà partie des anciens du bois.
Voila maintenant 7 ans qu’il survit sous une tente prolongée de bâches bricolées aux abords du lac des Minimes.
« Au début, il n’y avait personne d’autre. Maintenant j’ai plein de voisins ! », plaisante-t-il, les yeux encore rougis par une nuit difficile.
Le sans-abri tente de décrocher des petits boulots pour s’en sortir.
« Mais faut être motivé. Dans le bois, tout est compliqué. Se laver, trouver de l’eau, de la nourriture… On est tout le temps fatigué », conclut-il en dénonçant le blocage du système d’hébergement d’urgence.
« Il y a des places mais en priorité pour les femmes, les vieux, les handicapés. Moi je suis jeune. Elles ne sont pas pour moi ».





« Je suis piégé ici. » Richard, 63 ans.
 
« Fâché et même dégoûté ».
Richard, un Polonais qui s’est installé au cœur du bois de Vincennes depuis 4 ans, a le sentiment d’être dans une situation administrative inextricable.
« Je n’arrive pas à avoir le RSA parce que je n’ai pas les documents nécessaires. Et je ne peux pas avoir de boulot parce que je n’ai pas de papiers », explique-t-il.
Et pas question pour le SDF qui refuse de se séparer de ses deux chiens d’espérer une place en hébergement social.
« Les structures pour ce type de demande n’existent pas », reconnaissent les intervenants d’Emmaüs. Karl, un compatriote de Richard qui vit dans la tente voisine, lui, a craqué jeudi soir.
Il a demandé, et obtenu, une nuit au chaud dans un gymnase parisien.
« Moi, avec mes chiens, mes bébés, je ne peux pas y aller. Je suis piégé ici », conclut Richard, campé devant son brasero au milieu du bois.





Les maraudes ont recensé près de 150 « habitants »

« Invisibles » mais pas « inconnus » des travailleurs sociaux.
Les SDF qui trouvent refuge dans le bois de Vincennes (souvent pour fuir un système de mise à l’abri d’urgence inadapté à leurs besoins) sont suivis par des nombreuses associations et par les services de la Ville de Paris, propriétaire du vaste espace vert de 100 ha.
Emmaüs-Solidarité organise des « maraudes d’intervention sociale », fait le lien avec les autres intervenants qui vont au-devant des SDF du bois (3 maraudes bénévoles, l’association Gaia, la garde républicaine ou encore le Samu social qui intervient sur signalement).
L’association fait également un état des lieux hebdomadaires de la population des « invisibles du bois ».
« La semaine dernière, nous avons recensé 139 personnes », explique Aurélie El Hassak-Mazorati, directrice adjointe d’Emmaüs-solidarité.
« Il s’agit essentiellement d’hommes, mais il y a aussi deux femmes isolées et quelques couples », note la responsable en soulignant que ce chiffre est en hausse de 40 % par rapport à l’hiver dernier. Selon l’association (dont la première mission est de retisser du lien avec ces SDF invisibles), le « doyen » des naufragés du bois serait là… depuis 15 ans !

.leparisien.fr

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