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mercredi 4 octobre 2017

Catalogne: comment l’Europe dévore ses propres enfants

 
 
 
 
Le projet d’indépendance que la Catalogne pousse depuis plusieurs mois constitue désormais une date-clé pour l’Europe entière.
 
C’est son moment de vérité contemporaine: celui où les États-membres comprennent que leur appartenance à l’Union les condamne à disparaître.
Au passage, le mythe de l’Europe garante de la paix pour ses peuples prend dangereusement l’eau.

Que les adorateurs de l’Union Européenne ne nous ont-ils servi sur la bienveillance et les vertus pacifiques de cette construction, bureaucratique certes, mais si protectrice de la paix entre les peuples, si vertueuse pour un continent trop agité, si intelligemment fondée sur ses régions, blabla, blabla, blabla?
Emmanuel Macron lui-même ne manque pas, dans ses fréquents discours sur l’Europe, de faire l’apologie plus ou moins explicite du fédéralisme.
Et chacun sait que ce fédéralisme ne peut reposer que sur les régions européennes et non sur ses bons vieux États-nations désormais cités au ban de l’obscurantisme et de la barbarie.
Et paf! voilà le passage de la théorie à l’examen pratique: une région européenne demande son indépendance dans le cadre de l’Union.
C’était donc ça qu’il fallait comprendre dans l’exaltation du traité de Rome?
Le début d’un lent et long chemin dont l’étape finale s’appelle désintégration des États-nations, le fourmillement régional jusqu’aux déclarations unilatérales d’indépendance.
 
L’Europe des régions, ou l’Europe qui dévore ses enfants
 
Certains ont pu naïvement croire que l’Union Européenne assurait le triomphe des bisounours. L’Europe, c’est l’amour sans nuage entre les hommes.
D’un seul mouvement, on peut y dénigrer les nationalismes et les souverainismes, symboles de l’âge de pierre, la paix entre les nations, l’amour des régions et les vertus du fédéralisme.
Tout y est beau et pur.
Et puis un jour, les fédéralistes poussent la logique jusqu’au bout et demandent à changer les frontières des États-membres qui fondent l’Union.
La Catalogne est liée à la couronne d’Espagne depuis le XIIè siècle.

L’Espagne est entrée dans l’Union en 1986, après son épisode franquiste.
Elle n’est pas un État fondateur, mais elle est l’un des plus anciens États-nations européens et un pilier solide de l’Union.
Le gouvernement espagnol est plutôt bon élève en matière de politique budgétaire.
Il est coopératif et, à la différence de la Hongrie ou de la Pologne, il ne peut être taxé d’euroscepticisme.
Et le voici mis en difficulté par une région qui se verrait bien en situation d’adhésion directe à l’Union.
C’est ballot! on rentre dans l’Union, on fait tout ce qu’il faut pour y tenir son rang, et un jour on y découvre que le sol se dérobe sous vos pieds et que vos petits camarades y ont tellement fait la promotion du régionalisme que vous êtes bien seuls pour résoudre la crise.

L’Espagne victime de la bienveillance européenne

Pour comble de malchance, la Catalogne demande son indépendance sous les auspices d’un Roi et d’un Premier Ministre qui méconnaissent gravement la bienveillance, la grande religion européenne du moment.
Ces deux canailles ont fait donner la police, et continueront à le faire, façon Franco années 30, pour réprimer les revendications catalanes.
Mais comment?
Regardez donc Angela Merkel et sa bienveillance avec le million de réfugiés qui a traversé l’Europe à pied pour se répandre dans la Forêt Noire.
Regardez l’Italie et la Grèce qui envoient des bateaux pour repêcher les migrants qui se noient. Partout il faut être bienveillant, dire oui au vivre ensemble, à la diversité.
Et là, le gouvernement d’un État-membre de l’Union viole tous ces beaux principes d’amitié universelle et décide de brutaliser de gentils indépendantistes.
Tout cela sent très mauvais: il va falloir expliquer aux Espagnols qu’on ne traite pas comme ça des citoyens sans défense qui aiment l’Europe.
Se met ainsi en marche la grande machine à broyer l’État-nation.
Ce sont les États-nation qui ont créé l’Europe, mais ils sont priés d’accepter pacifiquement leur propre disparition au nom d’un idéal qu’ils ont forgé.

La résolution complexe d’un paradoxe mortel

Pour les europhiles tendance Macron, l’indépendance de la Catalogne est un moment douloureux à passer.
Soit on condamne le gouvernement espagnol, et à ce moment-là on importe le problème en France. Dire qu’il ne faut pas réprimer les Catalans, c’est se tirer une balle dans le pied, parce que le moment venu, on ne pourra pas réprimer les Calédoniens, les Corses, les Basques, les Catalans de France qui voudront rejoindre leur nouvel État, les Bretons, et autres pièces rapportées du puzzle français.
Et même que toutes ces pièces rapportées se sentiront pousser des ailes si l’État central montre sa fameuse bienveillance vis-à-vis des indépendantistes.
Soit on soutient le gouvernement espagnol, mais alors foin des beaux discours sur l’Europe.
Au moment où Emmanuel Macron pédale dans le sens du fédéralisme européen, un soutien aux Bourbons d’Espagne aura l’effet du frein torpedo.
Notre Président aura lui-même brutalement étouffé dans l’oeuf toute crédibilité à ses grands projets continentaux.
Bref, mesdames et messieurs les fédéralistes, vous avez désormais le nez dans votre propre purin.
À force d’expliquer que le souverainisme, c’est le repli populiste sur soi, et que l’intelligence humaine, c’est forcément l’Europe fédérale, vous voilà avec une sacrée crise sur les bras.
Le moment est venu de nous montrer ce que vous avez dans le ventre, et jusqu’où vous êtes prêts à aller dans le détricotage des États-nations qui construisent votre belle Europe depuis soixante ans.
Car il va bien falloir briser le silence sur la crise espagnole.
Vous avez beau aujourd’hui regarder le bout de vos chaussures, Rajoy et son petit roi vont vous contraindre à réagir, avec leur choix d’en découdre par la force…

L’implosion européenne toute seule comme une grande
Pour l’Europe, l’indépendance de la Catalogne est un moment de vérité.
Disons même qu’elle est la vérité de la construction communautaire, celui où le bashing permanent contre l’État-nation trouve son débouché naturel dans l’affirmation des volontés indépendantistes. Pour la France, c’est un laboratoire grandeur nature, comme pour plein d’autres États européens: la Corse en France, la Flandre en Belgique, la Lombardie en Italie, la Bavière en Allemagne, sont les prochains candidats sur les listes.
La Catalogne est l’aporie européenne.
Elle montre l’impossibilité finale d’une construction qui repose sur les États mais qui les appelle à disparaître.

Cette épreuve du feu aura une vertu: elle montrera aux amoureux de l’Europe qu’ils sont dans l’erreur lorsqu’ils confondent l’ambition européenne et sa réalisation communautaire.

On peut être Français, aimer l’Europe, et nourrir pour celle-ci un autre projet que celui qui s’étale sous nos yeux.


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