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samedi 16 juillet 2016

Dépasser les bassesses d’après l’attentat de Nice. Et réapprendre la France

 Publié le 16 juillet 2016



Des personnes se recueillent à Nice, à proximité des lieux de l'attentat (Photo : SIPAAP21922349_000192.)

Laurent Cantamessi

C’est la même macabre routine qui recommence. La discussion soudain interrompue et la petite musique de l’existence désaccordée par l’annonce. Les rires qui se figent, les visages incrédules.

L’angoisse s’invite à nouveau partout.
On s’inquiète de ceux qu’on aime et qui ne sont pas là.
On ressent au plus profond de soi la colère et l’impuissance, désormais familière, l’horreur vécue par les victimes.
Combien sont-elles ? 60 ? 70 ? Plus de 80 ?
 Qui a fait cela ? Que s’est-il passé ? Un camion fou responsable de tous ces morts ? Comment ? Qui au volant ?
 Encore un soldat « autoradicalisé » de l’islam
Viennent encore beaucoup de questions sans réponses et de théories inutiles, déjà relayées dans les heures qui suivent par l’accélérateur de particules et le grand mélangeur d’opinions des réseaux sociaux.
On ne voudrait pas, dès le lendemain, consulter les fils d’actualités, regarder les vidéos, les images ou lire les statuts d’untel ou untel pour découvrir les discours va-t-en-guerre aussi ridicules que les inutiles et répétitifs appels à la fraternité ou les larmoyantes confessions des pèlerins de la paix de l’ère numérique.
L’un veut déjà prendre les armes.
On le devine derrière son écran, se « mettant en position » comme le Crevel de Balzac qui fait l’avantageux en imitant Napoléon.
 L’autre appelle à l’amour, à l’amour et encore à l’amour, comme si ce mot pouvait avoir le moindre sens ailleurs que dans l’espace ténu qui sépare la bouche qui chuchote de l’oreille de l’être aimé, de celui ou celle pour qui l’on tremble soudain à nouveau.
On ne voudrait pas non plus assister à cet instant terrible où la télévision publique française déraille et furète parmi les corps ensanglantés et les cris, à la recherche d’un témoin à interviewer à côté d’un cadavre.

Opportunisme cynique
On ne voudrait pas non plus être tombé sur ce communiqué dans lequel le Collectif contre l’islamophobie en France concède sept petites lignes à la compassion et aux condoléances adressées aux familles des victimes avant d’en revenir à ce qui préoccupe bien plus le CCIF, c’est-à-dire la préservation des intérêts communautaires et l’appel au flicage, du moins celui qui va dans le bon sens.
 L’officine énonce après l’attentat « trois points d’action prioritaires » :

1) « Renforcer les dispositifs de protection des lieux de culte, notamment dans la région de Nice ». On trouverait que la suggestion est aussi incongrue qu’inutile si les deux recommandations qui suivent ne venaient pas l’éclairer un peu plus.

2) « Accentuer la surveillance de mouvements racistes et identitaires qui multiplient les appels à la haine et incitent explicitement à des représailles à l’encontre de nos concitoyens musulmans. »3) « Ré-évaluer la politique anti-terroriste, sur la base des rapports rendus récemment et comprendre que les dérives de l’état d’urgence ou le ciblage abusif des musulmans amoindrissent la capacité de nos services de renseignement et, en définitive, ne garantissent pas notre sécurité. »

Voilà.
Le communiqué en question a été publié quelques heures après un attentat atroce qui a coûté la vie à au moins 84 personnes et en a mutilé ou gravement blessé dieu sait combien d’autres.
Alors que le sang n’a pas encore séché sur la Promenade des Anglais, le CCIF fait les gros yeux, lève un sourcil menaçant et prévient : attention, attention bonnes gens, que le massacre de 84 victimes innocentes ne risque pas de donner lieu à d’insupportables amalgames et à d’intolérables discriminations.

Oh bien sûr, il serait peut-être trop attendre du CCIF qu’il se comporte autrement que comme une association clientéliste et ne fasse pas étalage d’un opportunisme bien cynique à l’occasion d’une nouvelle tragédie.
 Mais quand les auteurs du communiqué, après avoir si manifestement pris prétexte du carnage pour jouer les épiciers du désastre, se permettent en plus d’appeler enfin « à la responsabilité des commentateurs politiques et médiatiques, afin de rassembler nos concitoyens plutôt que de les diviser », on ne peut s’empêcher d’avoir un peu la nausée.

Communautarisme prédateur et narcissisme déboussolé

Le CCIF n’est pas seul à vouloir se servir sordidement du massacre et à substituer avec autant de subtilité la défense de ses propres intérêts à la douleur des victimes.
 Sur les réseaux sociaux se sont multipliés, de l’extrême gauche à l’extrême droite, les annonces ronflantes et déclarations fracassantes des infatigables militants dénonçant l’inefficacité de l’état d’urgence et soulignant l’injustice de leur propre sort, pauvres opposants constamment réprimés par le totalitarisme qui vient.
Pendant la tuerie les affaires continuent et la valse des égos se poursuit de plus belle…
 L’Etat islamique qui, d’une manière ou d’une autre, est sans nul doute derrière l’attentat de Nice aura encore une fois pu montrer de manière connexe, en semant la mort et la désolation, à quel point notre société n’est plus qu’un assemblage hétéroclite de communautarisme prédateur et de narcissismes déboussolés.
Une fois de plus, on aura vu après le drame de Nice qu’il convient de ne pas nommer et accabler les tueurs mais que l’on peut mépriser la souffrance des victimes.

Epargnons nos ennemis et accablons nos morts, après tout, la récente commémoration du centenaire de Verdun n’a-t-elle pas une fois de plus démontré quel grand cas nous faisons désormais de ceux qui ont été frappés ou ont versé leur sang au nom de la France ?

Tout n’est pas perdu cependant car le pays ne se résume pas encore uniquement à ces étranges bassesses.
Laissons s’abîmer dans l’oubli le communiqué du CCIF, oublions l’affligeant reportage pour lequel la direction de France 2 a déjà, penaude, présenté ses excuses, laissons-là les statuts, les fils d’actualité et les réseaux sociaux, rendons hommage aux morts et souhaitons que les responsables paient un jour pour leurs crimes.

Le gouvernement répète, et à raison, que nous sommes en guerre, sans oser nommer ceux qui, derrière l’Etat islamique, derrière les terroristes « autoradicalisés » en France, derrière le salafisme de maison de quartier, tirent les ficelles et font tourner les rouages de la terreur à coups de pétrodollars : l’Arabie saoudite plus que tout autre, le Qatar et la Turquie, où l’on subit encore les conséquences du jeu trouble de Recep  Tayyip Erdogan.
Il ne nous appartient pas cependant, pauvres citoyens et chair à canon du terrorisme islamiste, de jouer à notre modeste niveau, les justiciers des relations internationales.

Changer d’âme

A notre pauvre niveau de Français lambda, il ne nous appartient que de conserver une pensée pour ceux qui sont morts, d’aimer et de protéger ceux qui nous sont proches et de nous habituer à apprivoiser ce que nous n’avons plus l’habitude d’appeler ni la guerre, ni l’histoire parce que nous ne les connaissions plus, et que nous avons même cru naïvement ne plus les connaître.
 Sans posture et sans atermoiements, il faudra bien que nous changions un peu d’âme pour apprendre à mieux comprendre cette réalité nouvelle.

Comme le disait Jean Paulhan : « Peut-être nous faudra-t-il du temps pour réapprendre la France. Je prie seulement que l’on nous donne ce temps, que l’on ne nous prive d’aucune raison. Que l’on ne nous cache, comme en 1914, ni le nom des héros, ni le détail des victoires. Que l’on ne nous empêche pas de penser la guerre, si l’on nous a mal appris à la prévoir. »

Paulhan écrivait ces lignes en 1939. Espérons que les choses tournent mieux pour nous que pour lui, mais il n’est pas encore trop tard.

« Réapprendre la France », ce n’est pas, comme les imbéciles prophètes du retour-des-années-sombres voudraient nous le faire croire, s’adonner à un nationalisme idiot et sectaire qui n’est que l’expression de l’amour inconditionnel de l’entre-soi.

C’est vouloir seulement défendre et préserver le sol sur lequel vivent et grandissent ceux que nous aimons, ceux-là qui sont devenus les cibles d’un djihad qui voudrait nous soumettre ou nous tuer.

Que les méprisables lâches qui se disent soldats de dieu et les vautours qui se hissent sur les cadavres pour mieux diffuser leur méprisable propagande ne se réjouissent pas trop vite : avec leur aide, nous aurons peut-être réappris la France plus tôt qu’ils ne le croient.

causeur.fr

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