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lundi 14 mars 2016

Elisabeth Lévy : «Les réformateurs de l'école prennent les enfants de pauvres pour des cons»

 

Mis à jour le 12/03/2016 à 20:07
Publié le 11/03/2016 à 19:40
 
 
 
 
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur intitulé «Profs ne lâchez rien», ElisabethLévy a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Pour la journaliste, les parents des classes moyennes et populaires ne sont pas prêts de renoncer à l'accent circonflexe.
 


Elisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son numéro de mars, intitulé, «Profs ne lachez rien!», le magazine s'intéresse à la résistance des profs face à la destruction de l'école par les pédagos.



Le nouveau numéro de Causeur s'intitule «Profs ne lâchez rien!». Etant donné que le «collège Najat» et avec lui les nouveaux programmes entreront en vigueur à la rentrée prochaine, s'agit-il d'un appel à ne pas respecter la loi?

Nous ne l'avions pas vu comme ça, mais à la réflexion…oui!
 Nous sommes républicains et nous sommes évidemment pour le respect de la loi, mais je ne sais plus laquelle de nos constitutions, celle de 1793 je crois, dit qu'il faut se révolter contre les lois scélérates.
Eh bien, il n'y a pas plus scélérat qu'une loi qui promeut le nivellement par le bas et organise la destruction de l'enseignement des humanités.
 Car on sacrifie en même temps l'avenir des élèves et celui de notre culture.
Quand plus personne ne sera capable de transmettre la littérature française ou d'orthographier correctement la langue française, elles disparaîtront.
Et le saccage continue car, comme nous le révélons dans ce numéro, les «experts» du ministère commencent déjà à imaginer le «Lycée unique» (qu'ils appellent Lycée pour tous).
 Et à l'école maternelle et primaire, le désastre est déjà bien engagé, ils veulent continuer à faire leur métier.
Alors oui, beaucoup sont décidés à saboter la réforme en continuant à faire, sous les étiquettes bariolées de l'interdisciplinarité et du travail en groupe, les cours magistraux qui sont au cœur de ce métier quoi qu'en disent les adeptes des fanfreluches pédagogiques.
 Et si pour cela, ils doivent ruser avec l'institution qu'ils représentent - comme l'ont fait les parents d'élèves avec le latin, l'allemand et les classes bi-langues -, eh bien qu'ils rusent!
Je suis convaincue qu'au-delà des clivages politiques, une grande partie de la France est avec eux.

Après la gronde déclenchée par la suppression du latin et du grec, c'est la simplification de l'orthographe qui a fait souffler un vent de révolte chez les parents et les profs.
N'en fait-on pas trop pour un accent circonflexe?
Les parents et les profs ont tout compris ; ils savent que la réforme du collège et celle de l'orthographe sont deux facettes d'une seule et même entreprise: puisque, sous couvert d'offrir l'excellence à tous, ce qui est un oxymore et une tromperie, on a renoncé à la méritocratie républicaine, on va faire disparaître tout ce qui ressemble à de l'excellence, c'est-à-dire à la possibilité qu'ont certains élèves d'être meilleurs que les autres.
Ce faisant, on brime les bons élèves et on empêche les moyens et les médiocres de progresser.
 Bref, en fait d'excellence pour tous, c'est l'excellence pour personne.
 Tout ça bien sûr, avec les meilleures intentions.
 Il s'agit de faire en sorte que les élèves les plus pauvres ne soient pas défavorisés.
En réalité, pardonnez-moi l'expression, mais on les prend vraiment pour des cons.
Le mépris enrobé de compassion: c'est cela le plus révoltant.

Certes, mais vous n'avez pas répondu sur l'orthographe.
 Pourquoi tant de drame pour un circonflexe?

Primo, à la différence d'un code informatique qui est purement fonctionnel, une langue est un héritage  et une esthétique avec ses canons propres qui ne sont pas universels.
Les accents circonflexes et d'autres singularités orthographiques sont en quelque sorte une trace du passé.
Deuxio, la maîtrise de règles complexes, parfois arbitraires, mais pourvues d'une cohérence interne, est une excellente formation intellectuelle.
 Je sais qu'il y a d'excellents esprits qui sont incapables d'apprendre l'orthographe mais je crois bien que j'ai appris à penser en apprenant à écrire.
Tertio, la seule raison pour laquelle on veut simplifier certaines règles, c'est qu'on n'arrive plus à les enseigner.
Donc, de même qu'on a amené le bac au niveau de 80 % d'une classe d'âge, on va, peu à peu, amener le français au niveau des élèves les plus médiocres.
Comme ça, ils ne se sentiront pas opprimés par cet atroce signe de distinction sociale
Eh bien, encore une fois, les parents des classes moyennes et populaires ne l'entendent pas ainsi.
Ils veulent qu'on apprenne à leurs enfants que l'effort est une bonne chose et que l'«oignon» s'écrit avec un «i».

Comme vous l'écrivez, c'est d'ailleurs «une partie des bataillons traditionnels de la gauche qui s'insurge contre le progressisme scolaire» …
Ce n'est pas une découverte: le «peuple de gauche» est moins benêt que certains de ses représentants autoproclamés.
Il ne confond pas l'égalité avec l'égalitarisme.
Il sait qu'un diplôme que l'on donne à tout le monde n'a aucune valeur.
Bref, il ne croit pas au monde horizontal, délivré de toute hiérarchie, dans lequel c'est le «désir de l'enfant» et non plus le besoin de l'élève qui commande.
Et dans ce «peuple de gauche», les enseignants sont aux premières loges pour savoir qu'en matière éducative, un peu de conservatisme ne nuit pas.
Avez-vous remarqué que les professeurs qui laissent un souvenir profond à leurs élèves sont tous des profs à l'ancienne, qui notent sans complaisance et ne jouent pas les copains?

L'autre singularité de cette réforme est qu'elle est combattue à la fois par des intellectuels de droite et de gauche.
Est-ce le point de départ d'un véritable big-bang politique?

Cela n'a rien de nouveau.
Cela fait très longtemps que la querelle sur l'école échappe au clivage droite-gauche, même si c'est à gauche que naissent les billevesées du pédagogisme qui s'efforce depuis longtemps de noyer la mission de l'école dans un vaste programme consistant à apprendre aux élèves à «se réinventer» ou à «créer des mondes».
 À côté de si beaux objectifs, apprendre la grammaire ou les maths semble affreusement prosaïque.
Tout ce fatras qui tend à transformer l'école en centre d'animation culturelle (et encore, culturelle est très exagéré) est une vaste escroquerie.

Justement, vous consacrez également dans ce magazine, un dossier à l'émergence d'une nouvelle gauche laïque et républicaine.
Causeur ne serait-donc pas seulement un affreux repère de «méchants réactionnaires»?
Depuis des années, nous pestons de voir la gauche devenir le bastion de l'intolérance et de la bonne conscience conjuguées.
 Depuis des années, nous râlons de voir le débat argumenté remplacé par des procès en sorcellerie, des lynchages en bande organisée et des excommunications.
 Et depuis des années, nous assistons, médusés et impuissants à l'abandon de la laïcité au nom de la lutte contre la soi-disant islamophobie par cette gauche qui, comme le dit Alain Finkielkraut, a offert au Front national le «monopole du réel».
Alors oui, quand nous voyons naître, ou renaître, autour du préfet Clavreul, de Laurent Bouvet et de quelques autres, une gauche républicaine, pluraliste, patriote et un brin conservatrice, et surtout une gauche qui pense librement, j'applaudis, j'encourage et je prie pour qu'elle gagne.
Et je suis très fière qu'un membre éminent de la rédaction de Causeur, Marc Cohen, joue un rôle actif dans cette joyeuse conspiration qui sortira de l'ombre le 20 mars pour le meeting du Printemps républicain.
 Pour répondre à votre question, il n'y a donc pas que des méchants réacs à Causeur, il y en a aussi des gentils…., c'est-à-dire des réacs de gauche!

Seriez-vous prête à voter pour cette gauche-là?

Mais évidemment!
 Peu me chaut que nos gouvernants soient de droite ou de gauche.
Celui qui saura à nouveau parler de la France et redonner aux gens le sentiment qu'ils ont un avenir commun (qui passe par la République laïque) aura mon soutien, et surtout, celui de pas mal de mes compatriotes.

Comme disait Deng Xiao Ping, peu importe la couleur du chat pourvu qu'il attrape la souris.

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