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lundi 26 octobre 2015

Le jour d’après la grande attaque


Posté le 26 octobre 2015 à 14h46 par Marie Béthanie




"Ancien colonel des Troupes de Marine, enseignant et écrivain, analyste des conflits actuels, spécialiste du leadership et de l’innovation dans les organisations", Michel Goya s'interroge sur son blog sur ce qu'il appelle "la grande attaque", c'est-à-dire, un 11 septembre à la Française qui ne peut manquer de survenir, et surtout, sur la gestion de cette "grande attaque" et de ses lendemains par ceux qui nous gouvernent.


[...] "Il reste à savoir ce qui se passera le jour d’après.
 Quelle sera la réponse à ce qui, bien plus qu’en janvier, ressemblera vraiment aux attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ?
 La France faisant partie des ennemis privilégiés de plusieurs organisations djihadistes, il est probable que tout cela a déjà été anticipé.
 Les discours forts sont déjà écrits, les actions diplomatiques, les plans de mobilisation des forces de réserve, ainsi que les plans d’engagement des forces déjà prêts pour vaincre l’ennemi…
C’est de l’ironie.
Il est probable qu’il n’en est rien.
 S’il y a bien un message que la France a envoyé après les attentats de janvier c’est bien qu’elle avait été surprise et qu’elle le serait encore plus en cas événements particulièrement graves.
Car il ne faut pas confondre les réactions qui ont suivi, le déploiement précipité des militaires dans les rues de métropole comme on injecte une forte dose d’anti-dépresseur, la légère inflexion dans la réduction des budgets et des effectifs, l’engagement momentanée du groupe aéronaval dans le Golfe, la loi sur la sécurité comme des signes d’une réelle stratégie.
 Une stratégie suppose en effet la définition d’un chemin vers la victoire et la fin de la guerre, et ce chemin on ne le voit guère.

 Pourtant, quand on cumule tous les moyens engagés dans la « guerre » annoncée par le Premier ministre en janvier, nous sommes au niveau de l’« engagement majeur » (une expression pour justement éviter le mot « guerre ») prévu par le Livre blanc de 2013 et certainement contre l’ennemi prévu par ce même document, tout simplement parce qu'il n'y en a aucun (juste toujours la même liste de menaces).
 La confusion n’est d’ailleurs toujours pas dissipée, le même Premier ministre qui déclarait la « guerre » annonce maintenant de fait des actions de « police » en Syrie.

L’épée est donc déjà sortie mais pour quel effet ?
 Nous avons engagé deux brigades dans les rues de métropole afin de rassurer un peu les Français, nous tentons d’endiguer les organisations armées nord-africaines avec 3 000 hommes et quelques aéronefs en limite d’un sous-continent très fragile et de la taille de l’Europe, quant à nos 12 avions de combat au Proche-Orient, ils réalisent 3 % d’une campagne de frappes qui n’obtient que des résultats mitigés contre l’Etat islamique.
 Le moins que l’on puisse dire est que vu de Raqqa notre contre-djihad manque singulièrement de punch et nous sommes pourtant à notre maximum.

Quel sera alors la réponse stratégique si un commando de l’Etat islamique ou d’al-Mourabitoune parvient à tuer d’un seul coup à tuer autant de civils que le Lashkar-e-Toiba à Mumbai en 2008, soit dix fois plus qu’à Paris en janvier dernier ?

Il faudra alors d’abord expliquer aux Français, pourquoi dans ce pays qui produit 2 200 milliards d’euros de richesse chaque année, l’Etat a la plus grande difficulté à en dégager 62 pour assurer ses missions régaliennes, celles qui assurent la sécurité des Français avec une armée, une police, une système judiciaire et pénitentiaire, une diplomatie.
Pire encore, il faudra expliquer pourquoi on a diminué en permanence ces moyens, pourquoi on a baissé la garde alors qu’on ne cessait de dire, y compris dans les documents officiels, que le monde qui nous entourait était toujours plus dangereux.
Il sera alors difficile à la même classe politique qui a initié et organisé cette baisse de la garde depuis plus de vingt ans de persuader qu’elle est capable de porter le fer avec fermeté et efficacité contre l’ennemi.
 Que ceux qui ont provoqué le phénomène avec légèreté soit en mesure de le traiter avec gravité.
Que ceux qui ont invoqué des contraintes extérieures pour ne pas agir, notamment européennes, soit capables d’un seul coup de s’y soustraire.
Que ceux qui faisaient des affaires avec les monarchies du Golfe, y compris un ancien Président de la république et un ancien chef d’état-major des armées, n’ont pas fermé les yeux sur leur prosélytisme salafiste dévastateur.
La grande attaque sera peut-être le coup de grâce, non pas de la France qui a résisté à bien plus, mais d’une certaine France.
 Le balancier permanent entre l’ouverture et la sécurité, pour l’instant oscillant, basculera largement du côté cette dernière dans un pays à cran.
Les conséquences politiques internes en seront sans doute considérables, en particulier en période électorale.
 Les conséquences sociétales le seraient aussi, ce serait d’ailleurs peut-être un des objectifs de l’attaque.
 Il faudra gérer la crise autrement que par des slogans, des numéros verts et la désignation de « référents » antiracistes.
 Il faudra gérer des colères de tous côtés et on ne voit pas très bien comment cela évoluera.

Il y aura des conséquences aussi sur la vie internationale.
Il sera difficile de ne pas réagir autrement que par des gestes symboliques ou de faible volume.[...]
Au final, nous tenterons bien des choses mais avec des moyens insuffisants en attendant, il faut l'espérer, ceux de la mobilisation mais qui viendront des années plus tard.
 En attendant, il faudra faire preuve d'intelligence, de ruse, et mener aussi une guerre implacable avec des moyens limités.
 On ne sent pas cependant l'imagination au pouvoir pour l'instant.

La direction de la France est aujourd’hui dans un entre-deux, en paix mais déjà- à force de petites réactions -dans un « engagement majeur », inhibée devant la qualification de l’ennemi (toujours « terroristes » jamais « djihadistes »), bloquée même devant la notion même d’ennemi préférant parler de criminels, coincée devant le mot « guerre » tel un gouvernement de 1939, soucieuse de ne pas déplaire à ses gros clients, acceptant- malgré les événements- la dégradation de ses instruments de puissance, s’avouant impuissante à trouver des moyens supplémentaires pour protéger les Français (sa mission première).

Ce brouillard ne durera pas.
 
 La grande attaque sera une épreuve terrible mais elle soulèvera le couvercle et permettra de constater, si nous sommes encore vivants ou déjà morts."

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