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lundi 1 juin 2015

Marseille : La police démantèle une bande qui rackettait les chantiers


Le Point - Publié le



Un responsable de Bouygues raconte aux enquêteurs comment on lui a fait comprendre qu’il valait mieux passer par une société de sécurité du quartier pour assurer la protection du chantier de la rocade L2 de Marseille. © GERARD JULIEN / AFP

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Des sociétés de sécurité qui protègent les chantiers, quoi de plus normal ? Sauf quand elles cumulent menaces, extorsion et travail dissimulé. Enquête.



L’affaire rassemble à elle seule tous les maux d’une ville : la peur, le silence face à la toute-puissance des bandes de voyous…
Mais c'est peut-être la fin de l'omerta autour de ces pratiques qui nuisent aux chantiers de la ville et au désenclavement de ces quartiers défavorisés.
Douze personnes ont été interpellées ce matin pour extorsion en bande organisée, travail dissimulé et infraction sur la réglementation des activités de sécurité.
 Onze ont été placées en garde à vue.

Les faits ont eu lieu sur le chantier d’une filiale du groupe Bouygues responsable de la construction de la rocade L2 de Marseille.
 Un projet pharaonique qui doit permettre, entre autres, de relier les quartiers nord au sud de la ville, via une autoroute, afin de désengorger le centre-ville saturé par la circulation, mais aussi de désenclaver les fameux quartiers nord.
Tout un symbole…

L’affaire commence en octobre 2014.

Des individus d’une quarantaine d’années, se présentant comme des gestionnaires d’une société de sécurité, proposent leurs services...
 Ils n’ont pas le look du voyou, bien au contraire.
Tout est donc  fait pour mettre en confiance l’interlocuteur et l’amadouer.
Les présumés escrocs sont là pour "aider" le responsable du chantier, selon leur argumentaire bien rodé.
Ils se présentent comme la solution à leurs (futurs) problèmes.
Et, en échange de leur protection, la société promet l’embauche de jeunes du quartier…
Un prétexte pour le moins étrange quand on sait que l’entreprise Bouygues, via ses filiales, propose aux jeunes des quartiers dans lesquels elle s’installe de postuler en déposant leurs CV.
En réalité, cette proposition fait office d’avertissement…
 Et c’est la viabilité du chantier qui est en train de se monnayer.

Pratiques mafieuses

Selon nos informations, ces individus ne se contentent pas de proposer leurs services, mais imposent leur société de sécurité - et leurs conditions - en employant des méthodes d’intimidation subtiles mais efficaces.
Le  26 janvier dernier, c’est une foreuse, la plus grande d’Europe, ainsi que des pelleteuses mécaniques qui sont parties en fumée.
Selon le rapport de l’expert, les dégâts s’élèvent à deux millions d’euros et quinze jours de retard sur le chantier !
Une perte colossale pour le constructeur.
Un homme qui se présente alors comme le représentant des jeunes du quartier reprend  contact avec les responsables du chantier, laisse entendre qu’il connaît les auteurs de l’incendie et qu’il est en mesure de stopper ces actes de sabotage.

C’est la deuxième étape de l’intimidation.
Une fois un accord trouvé entre les présumés malfaiteurs et les entreprises de bâtiment, le chantier ne risque plus rien et les actes de malveillance à répétition s’arrêtent du jour au lendemain.
 Les soi-disant  agents de sécurité recrutés de force par les entreprises de bâtiment n’ont même pas à se fatiguer à assurer l’ordre, le "mot" est passé dans le quartier et le chantier est "protégé".
Des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles employées dans le sud de l’Italie par la mafia sicilienne et napolitaine.
Devant ces pratiques, un haut responsable de la filiale de Bouygues décide de ne pas se laisser intimider et porte plainte, d’autant que le chantier doit encore durer trois ans.
Il raconte aux enquêteurs comment on lui a fait comprendre qu’il valait mieux passer par une société de sécurité du quartier alors qu’il avait déjà un contrat avec une autre entreprise.
Ce témoignage va permettre aux enquêteurs d’ouvrir la boîte de Pandore.

La fin de la loi du silence ?


"En s’installant dans ces quartiers, les entreprises font face à un véritable Far West commercial. Parfois il existe un tel climat de peur que certains responsables de chantiers n’hésitent plus à accéder aux requêtes de leurs racketteurs et négocient ainsi ce que l’on peut appeler une paix sociale", souligne le commissaire Jean-Baptiste Corti.
En effet,  selon une source judiciaire; les sociétés moins importantes que Bouygues ont peur de défier ces individus  qui peuvent ruiner en quelques instants des mois de chantier.

Le géant de la construction donne donc un coup de pied dans la fourmilière et brise l’omerta autour de ces pratiques qui gangrènent la ville depuis plusieurs années.
"C’est une véritable catastrophe économique pour les habitants de ces quartiers qui veulent vraiment s’en sortir et se retrouvent pris en étau entre des bandes mafieuses et des employeurs apeurés par les représailles", s’insurge le directeur départemental de la sécurité publique, Pierre-Marie Bourniquel.

"Une économie souterraine de grande envergure"

De petites entreprises qui ne connaissent pas la crise.
 Elles proposent même (un comble) des tarifs intéressants et légèrement en dessous des prix du marché.
Dans les faits : ils ne déclarent rien, ne paient pas de charges et se partagent le butin à l’abri de l’administration fiscale.
Au cours de leurs investigations, les policiers découvrent qu’un  agent de sécurité affecté à la sécurité d’un seul chantier est grassement payé !
De quoi entretenir un train de vie plus que confortable.
Parmi les têtes du réseau figurent un employé d’une société de transport et un employé d’une entreprise d’électricité.
Ils cumulent emploi et activités parallèles, mais aussi des chômeurs avec voitures de luxe adeptes de vacances dans des stations de ski huppées…
L’employé de la société de transport passait ainsi ses journées à  s’occuper de sa "société" tout en étant en arrêt-maladie…
Les enquêteurs vont de surprise en surprise et découvrent que ces entreprises bidon de sécurité se partagent les chantiers en fonction de la zone géographique de leur implantation.
Chacun gère sa petite équipe…
"On est au cœur d’une économie souterraine d’une grande envergure", selon le commissaire Corti.

Un arsenal juridique et policier



La situation est devenue tellement préoccupante que le parquet a mis en place une cellule spéciale pour protéger les victimes.
"Pour endiguer ce phénomène, nous avons créé un groupe de voie publique nord dit chantier.
 Ce groupe est une première en France.
 Il n’existe qu’à Marseille, travaille en étroite collaboration avec la Fédération du bâtiment.
Ses missions sont exclusivement dédiées au monde des travaux publics et à la protection des chantiers", explique le parton de la police marseillaise.
Cette "opération coup de poing" menée par les hommes de la sécurité publique a demandé la coopération de plusieurs services, dont le Groupement interrégional de la police judiciaire (Gir), l’Urssaf, le Trésor public et, pour la première fois, le CNAPS, l’officine qui délivre les agréments aux entreprises de sécurité.

Un organisme qui joue un rôle crucial dans ce genre de dossier puisque c’est lui qui donne son aval pour toute création de société de protection privée.

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