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lundi 13 avril 2015

Jamais sans mon voile

Le 11 avril 2015 | Mise à jour le 11 avril 2015


A Montreuil, à la sortie de la mosquée, après la prière du vendredi, une femme en sitar. © Paris Match

Mon boulanger était habitué à me voir en débardeur moulant quand je m’arrêtais, après mon jogging, pour acheter une boisson énergétique », dit Fatiha, 29 ans.

Elle affirme qu’il a été heureux de la découvrir, un matin, intégralement voilée.
« C’est un bon musulman », précise-t-elle. Fatiha a renoncé au jogging ; elle ne sort plus jamais sans son « sitar » (« rideau » en arabe).
C’est plus qu’un niqab : il n’y a pas de fente à hauteur des yeux, seulement une partie de tissu plus transparente.
Fatiha a cessé d’utiliser la tenue qu’elle avait achetée 10 euros sur Internet.
Motif : de mauvaise qualité, elle laissait entrevoir la forme de son visage.
Elle qui était habituée aux compliments s’est habituée aux critiques, même des siens.
 On lui demande si elle appartient à une secte ; elle se fait traiter de fantôme ; elle subit les moqueries des caissières du supermarché.
La seule chose qui lui a fait de la peine, c’est quand une petite fille s’est mise à pleurer sur son passage.

Faïza Zerouala, auteur de « Des voix derrière le voile », le livre pour lequel Fatiha, l’ancienne étudiante en droit de Lille, est interviewée, voudrait qu’on ne s’arrête pas à ce chapitre, un témoignage parmi beaucoup d’autres.
Les femmes intégralement voilées, précise-t-elle, ne représentent qu’une infime minorité.
 Elle a raison.
 L’Observatoire de la laïcité a établi un bilan de trois années d’interdiction.
Si le hidjab, voile qui encadre le visage et s’arrête à la poitrine, est devenu l’accessoire branché des banlieues nord et est, l’équivalent des trois rangs de perles à l’ouest, le « voile islamique » est un épiphénomène : 1 111 contrôles d’identité pour 1 038 amendes, de 100 à 150 euros.
 Pourtant, il faut se méfier des chiffres.
Christophe Crépin, du syndicat Unsa Police, le confirme : « Cette loi est, depuis le départ, difficile à appliquer.
 Que peut-on faire face aux comportements provocateurs de jusqu’au-boutistes ? »
Fatiha, qui vit à côté d’un commissariat, n’a jamais été verbalisée.
Ailleurs, d’autres l’ont été plusieurs fois.
La prudence règne.
 Personne n’a oublié qu’à Trappes, en juillet 2013, de violentes échauffourées avaient suivi le refus de Cassandra Belin, une femme intégralement voilée, de se soumettre à un contrôle d’identité…

"Si la fille est très belle, oui, soit le niqab soit le sitar"

Ce serait pourtant une erreur de ne pas voir que le voile intégral fait débat, au sein même de la « communauté ».
 Beaucoup prétendent qu’il n’a pas sa place en France.
Ainsi cette étudiante en biologie, couverte du hidjab, qui confie : « Le niqab me dérange, mais je respecte. »
 Au nom de ce même respect, personne non plus pour dire que le voile intégral est la face apparente de la radicalisation.
 La partie émergée de l’iceberg.

 
En niqab, dans les rayons d'un supermarché de Montreuil. Paris Match
 
Ces converties, qui ont choisi la clôture au cœur des villes, confient toutes que, entre la loi et les recommandations religieuses, elles ont choisi.
Mais elles prétendent ne pas faire de politique.
 « Cette prédominance de la religion sur la citoyenneté est le résultat du travail des Frères musulmans, affirme la journaliste libanaise Nahida Nakad, auteure de “Derrière le voile”.
Ce sont eux qui expliquent que tout musulman appartient d’abord à la Oumma, la nation musulmane. A travers le Conseil du culte musulman, leur place a été institutionnalisée en France. »
 
Lorsqu’il préparait sa loi sur l’interdiction du « voile islamique », Nicolas Sarkozy a pris soin de consulter une des plus hautes autorités sunnites, le cheikh Mohammed Sayyed Tantaoui, grand imam de l’université Al-Azhar, au Caire : « Le niqab n’est pas une obligation religieuse, a dit ce dernier. Il n’est pas permis de le porter dans les salles de classe d’Al-Azhar. […] Quand nous étions petits, les femmes le portaient au village pour aller d’une maison à l’autre. Certaines ne priaient pas et ne savaient rien de l’islam. C’est devenu une coutume. »

 Une opinion respectée, mais qui ne s’impose à personne.
N’importe qui peut donner la sienne.
Sur Internet, on demande : « Le sitar est-il encore obligatoire si l’on attire les regards avec le hidjab ? » Réponse : « Je n’ai pas de sources, ma sœur. Mais, d’après ce que j’ai entendu, si la fille est très belle, macha Allah [grâce à Dieu], oui, soit le niqab soit le sitar. »
La valeur prédominante de l’islam est l’obéissance, et d’abord à Dieu.
Les Lumières de Voltaire et Rousseau ne sont pas censées traverser le rideau noir, mais les militantes se servent volontiers du mot « liberté ».
Leur liberté, c’est de porter le voile.
Leur féminisme, c’est de s’occuper des enfants et d’être traitées « comme des princesses », c’est-à-dire de ne pas travailler.
Fatiha, l’ancienne joggeuse, s’essaie au commerce de produits de beauté en ligne.
Elle emmène ses deux enfants tous les jours à l’école laïque, vit essentiellement du RSA, mais qu’est-ce que ça change ?

Rien dans le Coran ne soutient qu’une femme doit être voilée

Pour l’homme d’affaires d’origine algérienne Rachid Nekkaz, leur combat est devenu un étendard. Ça l’amuse de poser près de femmes en niqab devant l’entrée d’un tribunal.
 Il se vante de payer les amendes qui leur sont infligées au nom de la liberté fondamentale de se vêtir comme on l’entend.
 Mais, au nom de la liberté d’expression, il a renouvelé la proposition, lancée à une époque où il en allait de la survie du journal, de racheter 51 % de la société éditrice de « Charlie Hebdo ».



Sofia et Laure, une catholique convertie à l'islam, se retrouvent dans une aire de jeux de la Seine-Saint-Denis. Paris Match
 
Rien dans le Coran ne soutient qu’une femme doit être voilée.
 Cette prescription viendrait d’un hadith, un commentaire de la vie du Prophète.
« Elle est défendue par les salafistes », explique Nahida Nakad.
 Le salafisme, c’est la volonté de vivre comme au temps du Prophète.
 En Arabie saoudite, son pays d’origine, le salafisme n’a jamais été combattu, loin de là. Aujourd’hui, les salafistes se sont implantés dans les quartiers, autour des mosquées, à la sortie des écoles, pour mieux endoctriner les âmes perdues.
 Fatiha a suivi l’enseignement de celui qu’elle appelle « un savant », un ancien horloger, le cheikh al-Albani.
Ce spécialiste du hadith est né en Albanie et s’est formé à Damas.
 Il est mort depuis quinze ans, mais ses conférences font un tabac sur le Web.
 En Allemagne, une association « Wegweiser », le montreur de chemin, a déjà ouvert trois bureaux d’information dans les quartiers les plus touchés par le salafisme radical.
Si la plupart des terroristes se réclament du salafisme, tous les salafistes ne sont pas des terroristes.
 Certains ne font même pas de militantisme.
 « On peut néanmoins considérer qu’une femme intégralement voilée a plus de risques qu’une autre de partir pour la Syrie », soutient Nahida Nakad.
C’est d’une de ces cités de Trappes où sévit l’« apartheid social », comme dit le Premier ministre, que quatre jeunes sont récemment partis pour le djihad (ils seraient deux cents, dans l’ensemble de la commune, sur le point de les rejoindre)…
C’est là, aussi, que les femmes voilées ont peu à peu remplacé les autres, toutes les autres.
 Le paysage, lui, n’a pas changé : toujours ces HLM construits en pleine crise du logement, quand la banlieue parisienne se gonflait sous l’effet de vagues successives – paysans montés à l’usine, rapatriés d’Algérie, cheminots de la SNCF, ouvriers chez Renault.

"Sortir sans ? C’est impossible, ce serait comme si je me baladais nue"

Au pied d’un toboggan, à l’heure de la sortie d’école, les poussettes s’accumulent.
Et le vent s’engouffre dans les voiles.
On dirait la mer.
 Mais pas de contrevenantes, toutes ont le visage découvert.
 Les rebelles sortent le moins possible.
 On raconte qu’il n’est pas rare de les voir au volant d’une voiture, aux abords des grandes surfaces. Nous les avons cherchées autour des mosquées, près d’écoles musulmanes et sur les marchés.
 Devant un bac à sable, un vendredi, à 16 heures, dans une cité où des gamins faisaient les guetteurs, nous les avons enfin trouvées.
Deux ombres noires qui ont commencé par se saluer d’un « Salam alikoum, ma sœur ».
Elles s’étaient reconnues, ce qui était pourtant difficile : l’une avait les yeux dissimulés derrière le tissu, l’autre portait des lunettes de soleil par-dessus la fente habituelle.
L’une est née catholique, l’autre musulmane, mais, à leur manière, toutes deux – Laure*, la trentaine, d’origine française, mariée, trois enfants, et Sofia*, la cinquantaine, d’origine maghrébine, une fille, divorcée – sont des converties.
 Personne ne leur parle.
 Au mieux, on les regarde avec méfiance.
 Elles sont en manque de conversation.
 Sofia, surtout, qui ne pouvait plus s’arrêter.
Laure nous a raconté qu’elle n’avait pas trouvé dans sa religion de réponse à ses questions existentielles, et qu’elle avait tenté le judaïsme sans s’y sentir la bienvenue.
Il y a douze ans, en cachette de ses parents, elle a fait seule son premier ramadan.
Une révélation qui lui a fait instantanément décider de changer de religion.
Peu de temps après, elle épousait Etienne, musulman lui aussi.
Ils ont appliqué rigoureusement les préceptes et elle portait le foulard.
Mais il lui a suggéré de passer au stade ultime.
 Ce qu’elle a d’abord refusé.
Jusqu’à ce qu’elle commence à se sentir gênée par les regards.
Puis se décide à faire un essai.
« Et je me suis sentie complètement libre, comme protégée par mon voile. Sortir sans ? C’est impossible, ce serait comme si je me baladais nue. »
 Sa copine Sofia explique qu’elle confectionne elle-même son habit pour qu’il soit le plus long possible.
 L’hiver, elle ne sent l’air froid que du bout de ses doigts découverts.
C’est sa seule folie : elle ne respecte pas tout à fait la consigne, car, si elle porte des lunettes de soleil, elle n’a pas de gants…
Elle ne met jamais de parfum, « trop attirant pour les hommes ».
 Les deux femmes disent qu’elles ne sont pas coupées du monde.
 Pourtant, elles ne sortent qu’en cas de nécessité, confirment-elles, à cause des insultes et des critiques.
Ou pire encore.
Fin mars, près de Toulouse, une femme enceinte de 8 mois, a été rouée de coups dans la rue.
Enfin, il y a la police.
 Laure se souvient d’avoir été contrôlée, juste une fois, après la promulgation de la loi.
« Je ne suis pas une voleuse, je ne fais de mal à personne, pourquoi une amende ? »
 Elles confient fièrement qu’elles se maquillent, mais chez elles… pour ceux qui y ont droit. « A la maison, on est comme vous ! »

Aucune des deux ne travaille.
 Et pour leurs filles, de quoi rêvent-elles ?
 Dans une ruelle de la cité du Bois de l’Etang, à la Verrière, nous avons vu une gamine au corps enseveli sous le voile noir.
 Qu’y avait-il de plus étrange ?
 Qu’elle ait été vêtue de ce voile ou qu’elle ait tenté de jouer au foot ?
Ses pieds se sont pris dans la longue robe et elle a manqué chuter.

Elle n’avait pas 8 ans.

 * Les prénoms ont été changés.

«Des voix derrière le voile», de Faïza Zerouala, édition Premier Parallele, et «Derrière le voile», de Nahida Nakad, éd. Don Quichotte.

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1 commentaire:

  1. Très franchement, je m'excuse, mais je prends un peu peur moi aussi, à mon âge, quand je vois des entièrement voilées. Et puis, je me demande toujours si elles n'ont pas trop chaud dans ces voiles. Mais je suis pour la liberté de culte et cela ne me gêne pas tant que ça de les voir finalement.

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