Ali Dilem (ici en 2012) vit en Algérie sous la menace des islamistes, mais continue de dessiner. © Farouk Batiche/AFP
Le dessinateur qui aime brocarder le régime a été condamné à mort par les islamistes radicaux. Depuis, il vit reclus et s'inquiète pour la France. Rencontre.
Ali Dilem est un dessinateur qui inspire la loi : en 2001, le Code pénal algérien s'est enrichi d'une disposition surnommée "amendement Dilem", une disposition législative qui prévoit jusqu'à un an de prison pour offense au président de la République ou aux corps de l'État.
Ce texte, taillé sur mesure pour le dessinateur du journal Liberté, aurait dû lui faire passer l'habitude de caricaturer les généraux du régime algérien.
Mais cela n'a pas marché.
Selon ses dires, il aime toujours les croquer : "Gros, moustachus, un peu moches et avec des mouches qui leur tournoient autour de la tête."
Jusqu'ici, il a toujours échappé à la prison.
Son humour grinçant l'a conduit plus de 50 fois devant les juges, à l'occasion de procès intentés par le pouvoir.
Les islamistes radicaux ont eu moins d'égards.
Ils n'ont pas eu besoin de procès pour le condamner à mort.
Pourtant, Ali Dilem n'a jamais caricaturé de prophète.
Tout juste a-t-il dessiné, un jour, une main sortant d'un nuage.
Cette suggestion lui vaut des haines tenaces qui le poursuivent encore aujourd'hui sous la forme de menaces répétées.
Même s'il vit reclus et caché, il refuse qu'on le présente comme "le dessinateur algérien menacé". Venu à Paris pour enterrer ses amis de Charlie Hebdo, le caricaturiste a accepté d'évoquer sa vie quasi clandestine à Alger. Il préférerait ne pas avoir à la raconter.
"J'ai longtemps considéré que cela revient à jouer le jeu des islamistes", nous explique-t-il.
Il n'empêche.
Il décrit avec pudeur la peur, qu'il a appris à maîtriser, cette hantise qu'il conjure en dessinant tant qu'il peut.
"On ne peut être sûr du sérieux de ces menaces que lorsqu'elles sont mises à exécution", confie le dessinateur, fataliste sur cette épée de Damoclès qui ne le quitte jamais.
Pendant des années, il a fait croire à sa mère qu'il vivait à l'étranger, alors qu'il n'habitait qu'à quelques kilomètres.
La routine est un répit qu'Ali Dilem ne peut pas s'offrir.
"Tous les assassinats de journalistes en Algérie se sont faits selon un mode opératoire identique : l'observation des habitudes avant l'exécution."
Les choses banales de l'existence sont donc radiées de son quotidien. Il évite de fréquenter des cafés, les restaurants, ou d'aller au journal.
Au bout de vingt ans de cette vie, on s'y fait.
"Les premières menaces sont arrivées dans les années 92.
C'est là que j'ai cessé d'avoir une vie normale.
Je ne pouvais, par exemple, plus draguer dans la rue, c'était embêtant", s'amuse-t-il.
La peur ne bride pas son humour.
Dans l'intimité de la conversation, il imite volontiers le juge qui s'interroge sur le sens caché de ses dessins ou l'imam qui lui tient un discours qu'il considère comme naïf.
L'humour est sa bouée de sauvetage.
Et, depuis le 7 janvier dernier, il n'en revient toujours pas d'être en vie.
Inquiet, il l'est aussi pour la France : "Franchement, je vous souhaite bon courage, je vous souhaite sincèrement que la République s'impose."
Le message caché qu'aucun juge n'a eu envie de voir dans ses dessins.
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