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mercredi 24 décembre 2014

Lunel, Noël à l’ombre du djihad .

Par Gilles DEBERNARDI | Publié le 24/12/2014 à 06:05

 Le marché de Lunel, qui se tient dans une atmosphère de défiance généralisée.  Photos Le DL/G.D.

Le marché de Lunel, qui se tient dans une atmosphère de défiance généralisée. Photos Le DL/G.D.
 
 
Le bœuf, l’âne, les bergers et le bébé Jésus – « lou christou » pour les autochtones.

À Lunel, centre propret et gaies guirlandes, l’exposition de santons ne désemplit pas.
« Ça, c’est la vraie tradition, avec le muscat, le rugby et les vachettes » se réjouit un habitué.
Parole de vieux « Pescalune », autrement dit « Pêcheur de lune », l’appellation occitane que revendiquent les vieux villageois…
 
On peut toujours, par gros temps, se cramponner à la carte postale.
Mais la cité héraultaise, 25 000 habitants, défraie la chronique pour des causes moins rassurantes. Quatre de ses enfants sont morts en Syrie début octobre : Houssem, Sabri, Raphaël et Ahmed.
Puis deux autres à la mi-décembre : Hamza, 19 ans et Karim, 28 ans, qui tenait un bar à chicha entre le collège et lycée.
 Sur le parking du « Bahut », aujourd’hui fermé, quelques ados se souviennent du patron : « Un gars normal, pas bizarre, qui organisait des soirées DJ. Puis, un jour, on ne l’a plus vu ».
 Comme Sabri, « qui aimait rigoler », et dont la dernière photo Facebook trône dans le portable des copains.
Foulard noir et kalachnikov, le futur « martyr » de 18 ans y fanfaronne.
Des graffitis à sa mémoire ornent désormais le tunnel menant à la gare de sa ville natale…

« C’est pas pire chez nous qu’ailleurs ! »

En apprendre davantage relève de la gageure.
 Aux questions du journaliste trop curieux, on oppose un silence embarrassé.
Voire un menaçant « dégage ! » dans les cités de l’Abrivado et la Roquette, où créchaient la plupart des disparus parmi une forte communauté d’immigrés.
À la mosquée, résonne à peu près la même musique.
Sortant de la prière, les fidèles en djellaba rejettent la moindre discussion : « Si des jeunes s’intoxiquent en regardant internet, nous n’y pouvons rien. Point final ».
Qui se souvient encore des apprentis djihadistes ?
 « On a connu certains d’entre eux petits, ils étaient gentils, après ils ont dû changer » finit par glisser une animatrice de la MJC.
Service minimum, le sujet reste tabou.
 À l’image du maire UMP Claude Arnaud, qui refuse les interviews, les gens préfèrent se taire.
 Entre agressivité, amnésie et déni, un refrain tourne en boucle : « C’est pas pire chez nous qu’ailleurs ! ».
 Lunel se plaint d’un acharnement médiatique qui la stigmatise et salit son image.
 Mais les faits sont têtus, l’antiterrorisme a ouvert une enquête. L’hypothèse d’un éventuel « réseau local de recrutement » pointe le bout de son nez.
Outre les trépassés, une douzaine de Lunellois ayant rejoint l’État islamique ne donnent plus de nouvelles.
Au prorata de la population, de quoi établir un record européen…

Un joli petit port de prêche

Voici donc une ville pauvre, classée en zone de sécurité prioritaire et qui affiche 20 % de chômage chez les jeunes.
On n’y pratique pas pour autant « l’islam des caves ».
Vaste édifice richement décoré, avec une madrasa où apprendre l’arabe, la mosquée El-Baraka a fière allure.
N’empêche, les conseillers municipaux FN réclament sa fermeture administrative : « Elle est aux mains de fondamentalistes tabligh appliquant le Coran à la lettre avec des imams qui viennent de Marseille ».
Venant de l’extrême droite, ce reproche ne surprend guère.
 Un discours clair du président de l’Union des musulmans de Lunel suffirait à l’évacuer.
Or l’obscur Lahoucine Goumri cultive l’ambiguïté : « Pourquoi j’irai condamner ceux qui partent en Syrie au nom d’une injustice, et pas ces Français qui sont partis l’été dernier en Israël pour tuer des bébés palestiniens ? ».
 
 Parole d’un « guide spirituel » qui œuvre, à ciel ouvert, dans un joli port de prêche entre Montpellier et Nîmes…
 
Sur le marché près des arènes, les nombreuses femmes voilées passent comme des fantômes.
Pas un mot, mais les regards échangés pèsent lourd.
 
 La population musulmane, mise à l’index au prix d’un rapide amalgame, se réfugie dans le repli communautariste.
 
L’orient et l’occitan se regardent en chiens de faïence.
 
Noël ou pas, le « vivre ensemble » a du plomb dans l’aile, une défiance généralisée s’installe.
 
N’est-ce pas le but recherché par les théoriciens du djihad ?
 
Prise dans un phénomène qui la dépasse, Lunel peine à retrouver ses esprits républicains.
 
Et redoute, plus que tout, l’annonce de nouveaux morts.


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