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dimanche 24 août 2014

"Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse"

Contribution externe Publié le - Mis à jour le
 
 
 
Opinions
 
Une opinion de Francis Briquemont, Lieutenant Général et ancien commandant de la Force de protection de l'ONU en ex-Yougoslavie.

Qui est prêt à aller mourir pour l’Ukraine, un pays miné par la corruption ?
 
 Personne.
Sans stratégie et portés par l’émotion, les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse.
 
La guerre est toujours la conséquence d’un manque de dialogue, de tolérance, d’intelligence et de créativité."
 Cette sage réflexion, émise par Elio Di Rupo à l’occasion des commémorations organisées pour le centenaire du début de la guerre 1914-1918, me paraît plus que jamais d’actualité au moment où certains reparlent de guerre froide ou de paix glaciale, en Europe, à propos de la crise ukrainienne.
 Une crise qui aurait pu être évitée si les principaux responsables politiques européens avaient aussi fait preuve d’un peu de bon sens stratégique.

Le 9 avril dernier, on soulignait ici les erreurs manifestes commises par l’UE dans la gestion de la crise ukrainienne (1).
 Plutôt que répéter à satiété "c’est la faute à Poutine" comme on a dit jadis "c’est la faute à Voltaire", les dirigeants européens devraient admettre que leurs réactions lors de la révolte de Kiev ont illustré, une fois de plus, l’absence totale d’une stratégie cohérente au sein de l’UE, aggravée encore par l’ignorance des "réalités" et de l’histoire de cette région.
En Ukraine, l’instabilité politique est grande, la situation économique catastrophique, le pays miné par la corruption (un "cancer", dixit le vice-président américain Joe Biden), et bien plus grave encore, des soldats ukrainiens se battent, sur leur territoire, contre une partie de la population.
 Conséquence de ces combats, des dizaines de milliers d’Ukrainiens de l’Est se sont réfugiés à l’ouest du pays et, plus nombreux encore, les russophones ont fui en Russie ; des réfugiés dont on parle peu dans les médias d’ailleurs.
Comme personne en Europe ou aux Etats-Unis n’est prêt à aller mourir pour Kiev, même en cas d’agression russe - très peu probable - les Occidentaux, plutôt qu’essayer de trouver une solution acceptable pour tous au problème, se sont évertués à imaginer une panoplie de sanctions plus ou moins crédibles contre la Russie, le nouveau Satan.
 L’émotion en Occident, suscitée par le tragique accident de l’avion de la Malaysia Airlines a alors provoqué une prise de sanctions plus sévères qui ont entraîné une riposte de Moscou sous forme de "contre-sanctions" dont seuls les Etats de l’UE - signalons-le quand même - subiront les effets.
Nous verrons bientôt si l’UE ne s’est pas tiré une balle dans le pied.

On en est là.
Nombreux sont ceux qui doutent du bien-fondé et plus encore, de l’efficacité réelle de cette stratégie mais le problème maintenant est de sortir d’une crise qui menace la stabilité sur le continent européen.

Si, début de cette année, les dirigeants européens, avant de réagir en ordre dispersé aux actions des révolutionnaires et de se précipiter inconsidérément dans le chaudron de Kiev, avaient froidement analysé la situation sur le terrain, ils auraient conclu que :
 
 1° si cette révolution était très pro-Europe, elle était antirusse à un point tel que, même si l’éviction du corrompu Ianoukovitch était compréhensible, il était difficile d’imaginer que la Russie regarderait les événements sans réagir et sans donner "son" avis sur la question, car l’Ukraine n’est pas située n’importe où sur l’échiquier européen ;
 
 2° que les révoltés de Kiev se faisaient peut-être beaucoup d’illusions sur la signification réelle d’un pacte d’association avec l’UE.
Les dirigeants européens auraient pu se rappeler aussi que, depuis des siècles, et quel que soit le régime politique des pays concernés, les relations entre la Grande Russie (Moscou), la Petite Russie (Kiev), la Russie Blanche (Minsk) et la très instable Pologne n’ont jamais été "simples".
Et si, sur base de ces conclusions, le duo politique de l’UE Herman Van Rompuy et Catherine Ashton, dûment mandaté par un sommet européen, avait d’emblée rencontré, d’une part Vladimir Poutine pour analyser la situation et expliquer ce que pouvait être l’appui de l’UE au développement de l’Ukraine, et d’autre part les révolutionnaires de Kiev pour leur rappeler que leur pays était un Etat bicommunautaire et insister sur les conditions d’une bonne coopération avec l’UE, nous aurions peut-être assisté à un autre scénario, plus conforme en tout cas à la vision d’Elio Di Rupo concernant la résolution des tensions internationales.
 
Au lieu de cela, le fanatisme antirusse des dirigeants de Kiev a offert la Crimée sur un plateau d’argent à Vladimir Poutine et l’attitude des dirigeants occidentaux vis-à-vis de celui-ci - snobé à Sotchi, éjecté du G7/G8, rejeté par l’Otan, sanctionné et accusé des pires intentions vis-à-vis de l’Ukraine et même de l’Otan - a abouti à la situation d’aujourd’hui.

Je ne sais de quoi sera fait demain.
 L’optimiste pense qu’il serait peut-être plus intelligent d’aller vers une désescalade et de demander à quelques sages "créatifs" de "déminer" le terrain.
Le pessimiste se demandera peut-être si certains ne souhaitent pas en revenir au temps de la guerre froide, d’une nouvelle confrontation Est-Ouest, et pourquoi pas, tant qu’on y est, à un nouveau rideau de fer à l’est des pays baltes et de la Pologne.
 Quand je pense qu’aujourd’hui, la désignation des remplaçants de Herman Van Rompuy ou de Catherine Ashton à la Commission européenne devrait pour certains dépendre de leur "attitude" plus ou moins ferme vis-à-vis de Moscou, c’est inquiétant pour la paix et la stabilité en Europe […].
 
En fait, plus on s’éloigne de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus les nationalismes ou régionalismes reprennent vigueur (voir crise ukrainienne), alimentés parfois par des idéologies qui rappellent le fascisme voire le nazisme de sinistre mémoire.
 L’égoïsme sacré des Etats "souverains" et des… individus d’ailleurs, l’emportent de plus en plus sur l’esprit de solidarité.
L’UE peut-elle encore à l’avenir être autre chose qu’un rassemblement de petits pays gouvernés par des dirigeants médiocres et peuplés de citoyens repliés sur eux-mêmes ?
J’entends déjà les soi-disant "réalistes" (genre David Cameron et beaucoup d’autres), pour lesquels l’expression "Europe intégrée" est inadéquate si pas "un gros mot", se révolter contre cet européisme utopique et inacceptable.
Et pourtant, que ces défenseurs acharnés de la souveraineté nationale se demandent combien d’Etats de l’UE feront encore partie du G7 ou G8 (voire du G20) dans dix ou quinze ans ?
 
La réponse est simple : AUCUN, (sauf peut-être l’Allemagne).
Souhaitons quand même que les futurs grands formats politiques européens soient de véritables européistes et que les états d’âme de David Cameron et de quelques autres ne soient un souci pour personne.
 
Mais, plus sérieusement, les Occidentaux ne devraient-ils pas faire le bilan de leur stratégie depuis le début de ce siècle, jalonné par l’Afghanistan, l’Irak, l’Afrique, la Libye, l’éternel conflit israélo-palestinien et tout cela pour quelques piètres résultats ?
 
Priorité des priorités, ne devraient-ils pas se consacrer à la préparation de la conférence sur l’avenir de la planète qui se déroulera l’an prochain à Paris ?
 
L’enjeu est tel pour l’avenir des Terriens et de "leur" maison que la récupération de la Crimée par la Russie apparaîtra demain comme un épisode anecdotique de la géopolitique mondiale.
 
(1) "La Libre" du 9 avril, "Crimée : les erreurs de l’UE".

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