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jeudi 31 juillet 2014

"La stratégie d'al-Qaida en France confine à la perfection"

Le Point.fr - Publié le 30/07/2014 à 14:44

Des membres de la brigade islamiste Hamzah défilent à Deir ez-Zor avec des drapeaux du Front al-Nosra, branche syrienne d'al-Qaida (photo d'illustration).

 Des membres de la brigade islamiste Hamzah défilent à Deir ez-Zor avec des drapeaux du Front al-Nosra, branche syrienne d'al-Qaida (photo d'illustration). © Zac Baillie / AFP

Spécialiste du Moyen-Orient, Samuel Laurent a enquêté durant un an au coeur de la galaxie islamiste pour remonter des cellules dormantes établies en France.
 
"Je suis la voix des salafistes."
 Samuel Laurent le dit dans un éclat de rire embarrassé.
Mais au fond, il n'est pas loin de la réalité. L'homme connaît son sujet sur le bout des doigts.
Ni chercheur ni journaliste, il sillonne depuis des années les régions contrôlées par al-Qaida.
Lui, le consultant international, avait pu approcher des djihadistes en Libye pour sa précédente enquête sur le Sahelistan (1).
Aujourd'hui, ses contacts lui ont permis de gagner la galaxie djihadiste en Syrie et en Somalie pour mieux remonter la piste d'un réseau implanté en France, prêt à commettre, selon lui, plusieurs attentats de grande ampleur.
 Il le raconte dans Al-Qaida en France, révélations sur ces réseaux prêts à frapper (2).

 Entretien.  

Le Point.fr : Comment êtes-vous parvenu à intégrer ces cellules djihadistes ?


Samuel Laurent : J'ai travaillé de longues années en tant qu'intermédiaire auprès de sociétés implantées dans des zones à risques au Moyen-Orient, particulièrement en Irak.

 J'ai ainsi approché différentes cellules sans l'accord desquelles aucun contrat ne pouvait se poursuivre.
 J'ai accumulé de précieux contacts.
Alors, quand ce projet s'est lancé j'ai réactivé certains d'entre eux.
 Je me suis envolé pour la Syrie à la rencontre des combattants occidentaux adoubés par al-Qaida.
J'y ai trouvé des jeunes souvent sans repères, partis faire le djihad avec idéal.
Ils trouvent sur place ce qui leur manque ici, un univers structuré, parce que l'islam répond à tout : votre manière de vous habiller, de parler, de se comporter, c'est une école de la vie.
Mais ils sont souvent mal acceptés sur place et finissent par revenir pour réinventer une guerre à laquelle ils n'ont, au fond, pas participé.
 Ils romancent leur voyage ce qui pousse les autres à partir.
 Pour autant, ils ne constituent pas formellement de filières.
En revanche, il existe un autre réseau en France, piloté par l'émir Abou Hassan, qui sélectionne les meilleurs combattants français des cellules djihadistes syriennes pour les former à des cellules dormantes sur notre territoire. 

Comment fonctionne cette cellule ?



Après avoir combattu en Syrie, ils sont envoyés en Somalie où ils s'entraînent dans le massif de Galgada, aux frontières du Puntland et du Somaliland.

Il s'agit d'un petit nombre d'hommes - une vingtaine par an - formés durant quelques mois aux sabotages et aux attentats suicide avant de revenir en France en passant par le Maghreb.
 Ils abandonnent leur identité et coupent tout lien avec leur famille restée dans l'Hexagone.
Une trentaine d'agents sont déjà en France.
 Une stratégie qui confine à la perfection. 

Comment échappent-ils aux services de renseignements ?


Ils pratiquent la Taqiya, l'art de la dissimulation.

 Ils mènent une vie discrète, "normale".
  Les célibataires doivent se marier, à une femme arabe, qui travaille, mais qui ne portera jamais le voile.
 Lui ne porte ni la barbe ni la djellaba.
 Leurs enfants doivent fréquenter de bonnes écoles.
L'agent est encouragé à éviter les contacts au sein de sa propre communauté, à dénigrer, si besoin, publiquement l'islam radical.
 Piégé, arrêté, torturé, il ne livrera que quelques éléments fragmentaires, sans pouvoir compromettre les cadres d'al-Qaida qui règnent sur l'organisation française, ni même les autres kamikazes dont il ignore jusqu'à l'existence.
 Il est sous les ordres d'un homme, l'émir Abou Hassan, qu'il n'a jamais rencontré.

Cet homme, comme l'émir Abou Youssef en Somalie, a exigé de relire vos écrits, pourquoi ? 

 
Parce qu'à travers moi, ils veulent faire passer un double message : affirmer leur présence dans notre pays et démontrer leur capacité de nuisance. 


Quelles sont leurs intentions ?


Riposter à toute action de la France contre les musulmans, avec pour seul étendard : "Si l'ennemi se bat dans ton pays, porte la guerre chez lui."

 Mais rendre coup pour coup n'est pas leur seul but, l'objectif final du salafisme, c'est la conquête du monde où chaque État devra adopter l'islam et la charia.

Au cours de votre enquête, vous n'avez rencontré ni opérateurs ni lieutenants, mais avez exigé de voir les armes dont ils disposaient sur notre territoire, qu'avez-vous découvert ? 

 
Des armes redoutables.

 J'ai vu un lanceur Kornet H133 équipé de son missile qui peut atteindre une cible à plus de cinq kilomètres, des SA-24, ces missiles air-sol, les plus sophistiqués au monde, des fusils de sniper, des explosifs, des munitions, des kalachnikovs et deux mortiers !
Du matériel de guerre utilisé en Irak.
Al-Qaida possède une structure quasiment parfaite dans notre pays avec des armes et des agents qui exploitent les failles de notre système et contournent ses forces pour s'y infiltrer sans éveiller les soupçons.
Et l'aveuglement de nos services de sécurité leur a permis de se nicher au plus profond de la société.
Longtemps.
 Pour y attendre un petit bout de papier glissé sous une pierre qui leur donnera l'ordre d'attaquer. 

Comment les percer à jour ?


Avec une direction dispersée à travers l'Europe, il faudrait une agence de renseignements transnationale.

 Les agents d'al-Qaida qui prospèrent actuellement en France connaissent parfaitement notre système.
Seule une guerre de l'ombre peut tout changer.
 En introduisant de faux volontaires en Syrie, le flot d'information devenait précieux, mais ce travail la DGSE refuse visiblement de le faire.
 Le travail d'infiltration, aussi dangereux, long et difficile qu'il soit, représentait notre seule chance d'endiguer la menace terroriste qui pèse aujourd'hui sur la France, mais nos dirigeants et nos services ont choisi de l'ignorer.

Nous sommes en guerre sans le savoir.           

(1) Sahelistan, Samuel Laurent, éditions du Seuil.
(2) Al-Qaida en France, révélations sur ces réseaux prêts à frapper, éditions du Seuil.


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