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mercredi 4 juin 2014

Qui s'interesse à l'Inde ?

Éditorial
Jacques de Guillebon
Source : La Nef N°260 de juin 2014
 

 Rashtriya Swayamsevak Sangh RSS convention in Indore


Pendant que l’Occident, curieux fourre-tout dans lequel nous nous sentons toujours obligés de demeurer aux côtés des États-Unis,
 prend le mors-aux-dents face à Poutine et à sa « Russie impériale », il ne réagit guère devant le succès électoral de Narendra Modi, chef du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP).
 
 Avec 284 sièges sur 543 à la Chambre basse, et grâce à des alliances de circonstance, le parti de l’homme d’affaires du nord va gouverner la plus grande démocratie du monde, au moins sur le plan démographique, d’une main que l’on a certaines raisons de croire de fer.
 Le BJP est, on le sait, la vitrine politique de l’organisation Rashtriya Swayamsevak Sangh, dite d’extrême-droite, et responsable entre autres de l’assassinat du Mahatma Gandhi il y a soixante-dix ans.
Connu aussi pour son agressivité vis-à-vis des musulmans et des chrétiens, le Rashtriya Swayamsevak Sangh n’est pas sans ressemblance avec les partis fascistes européens des années 20 et 30.
Affirmer ceci n’est pas crier au loup pour délégitimer a priori la nouvelle politique indienne : c’est simplement rappeler quelques faits à notre caste morale, toujours sélective dans ses condamnations.
 On nous présente la Russie comme un monstre sanguinaire, mais on fait peu de cas du nouveau monde asiatique où, Inde et Chine main dans la main, représentant à elles deux pas moins d’un tiers de la population du globe et ayant porté à leur tête deux hommes forts, laissent présager des jours malheureux pour leurs minorités, voire pour leur voisinage.
 Vérité en-deçà de l’Himalaya, erreur au-delà ?
On n’a guère entendu de voix s’inquiéter de ce nouveau pouvoir indien.
 Sans doute parce que business is business et que nous avons trop besoin de ces « marchés émergents » pour nous indigner.
Si demain, chrétiens ou musulmans passent à la casserole, gageons que le silence sur leur sort sera d’or..

Mais ce que démontre en retour cette inégalité de jugement avec la Russie, c’est bien qu’il existe sur notre terre des civilisations différentes.
 Si les méthodes de Poutine peuvent nous choquer ici, c’est qu’il est censé faire partie du monde éclairé, libéré de certaines barbaries.
Les Chinois et les Indiens, finalement, restent les habitants mal dégrossis d’empires obscurs.
 On arguera de l’éloignement géographique.
 Voire.
Que dirions-nous si demain les Néo-Zélandais ou les Australiens portaient au pouvoir un gouvernement raciste, suprématiste blanc et prônant la domination chrétienne ?
On entend déjà les râles d’étranglement, les menaces de sanction, le boycott et autres manifestations de bonnes consciences.

Il ne s’agit pas de prêcher ces mêmes méthodes vis-à-vis de l’Inde.
La diplomatie occidentale est peut-être la plus compliquée au monde pour ce qu’elle doit sans cesse allier realpolitik et défense de valeurs considérées comme universelles et non négociables.
 Noble tâche, malheureusement souvent réduite à l’impuissante ou accusée d’hypocrisie ; ou pis, détournée de sa vocation première.
En effet, que n’a-t-on fait entrer ces dernières décennies dans ces valeurs dites universelles ? L’avortement est par exemple devenu un droit, voire un devoir, à promouvoir partout ; les unions homosexuelles aussi.
 C’est tout juste si le taux de transsexualité n’est pas entré dans les indices de mesure de l’avancement des pays.

On comprend les réactions moqueuses de ces dizaines de pays encore entés sur les valeurs traditionnelles et que l’Occident prétend civiliser.
 Réactions souvent impuissantes, mais pour combien de temps ?
 Le pari occidental repose sur l’intégration mondiale autour du marché, supposé transformer les mœurs et mener tout être humain vers les valeurs à qui Hollywood a donné sa bénédiction.
 
 Le monde et l’humain sont heureusement plus compliqués.
 Et de la Manif pour tous à la révolte russe en passant par les nouvelles lois sur l’avortement en Espagne, les peuples démontrent qu’ils ne sont pas morts, et que la géopolitique de Mickey ne les satisfait heureusement pas.

Et la France là-dedans ?

 Elle se tait depuis trop longtemps, alignée qu’elle est sur les décisions de Washington.

 Elle eût pourtant des coups à jouer, sur le plan des valeurs comme sur celui de la realpolitik, tant en Syrie qu’en Russie, si elle avait encore un peu d’âme.

J.G.

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