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samedi 3 mai 2014

Alep : Il faut que tu dises…

    
 
Alep : Il faut que tu dises…

Par une habitante

Mercredi, 30 avril :

« L’électricité est enfin revenue à Alep. J’ai pu recharger mon et joindre nos , pour les rassurer. Nous sommes en vie ! Mais pour combien de temps ? Il faudrait le demander à tous ceux qui spéculent sur notre dos, pour ne pas dire sur nos cadavres ! D’ailleurs, de là où nous sommes, nous apercevons la cour de l’hôpital « al-…. » [volontairement occulté]… des tas de cadavres… des civils et apparemment des soldats aussi. Nous ne pouvons même pas traverser la rue pour aller voir de qui il s’agit.
Quant à l’eau, hourrah, un mince filet ! Je passe sur les détails des défis que je me suis fixée pour m’ôter l’idée qu’ « ils » finiront par réussir à me faire vivre dans une maison mal tenue… Je me dis que nos grand-mères ont connu cette misère… Sauf qu’elles disposaient de bassines adaptées à l’âge de la pierre… et surtout de mazout. Sept-cent livres syriennes le litre ! Cent cinquante livres le bouquet de persil… Allez, je passe aussi sur la liste des courses.
Qui ? Mais les profiteurs de évidemment. C’est beau la révolution ! Ça déborde d’imagination un révolutionnaire ! Leur dernière trouvaille : s’arranger pour écouler un stock incroyable de « groupes électrogènes » à un prix fixé à la tête du client ; ceci expliquant cela… Je crois que tu me comprends.
Oui, la dernière fois que je t’ai parlée, j’avais terminé sur une note d’espoir [*]. Mais aujourd’hui, je dois t’avouer qu’après avoir vécu les horreurs de ces deux dernières semaines, nous avons définitivement le sentiment qu’Alep est abandonnée… C’est peut-être injuste de parler d’abandon alors que tant de nos soldats sont tombés. Il n’en demeure pas moins qu’Alep est « grignotée ». Nous le voyons bien !
Mais je ne t’appelle pas pour cela. Je voulais te dire que je t’ai lue. Non… tu n’as trahi ni mes paroles, ni ma pensée. Crois-tu que les gens te lisent ? Que peux-tu faire ? Ici, plus personne n’espère se faire entendre. Plus personne ne songe à réveiller les consciences. Même nos médias, quand nous arrivons à les écouter, ne traduisent pas la réalité des drames qui nous tuent. À se demander s’ils sont au courant que depuis deux semaines c’est la « m…. » !
Mon Dieu ! Tu entends ? Un bruit effroyable… ».

 
Communication coupée… Rien à faire ! Et puis enfin, ça passe, ça recoupe et ça repasse :
 
« Ne t’inquiète pas… juste les vitres ! C’était un obus. Je dis obus, alors que je ne sais pas trop ce que c’était. La déflagration a fait trembler tous les immeubles du quartier. Et ça continue…
J’entends qu’il y a des gens touchés dans notre rue. Ce qui veut dire que dans cinq minutes, nous verrons arriver les taxis jaunes transformés en ambulances pour l’occasion ; les cabines servant au transport, tête bêche, des blessés ; les coffres étant réservés aux cadavres sans vie. Ils se dirigeront vers les , du moins ce qu’il en reste, pour être soignés ou identifiés par leurs proches… une dernière fois pour toutes.
Les nouvelles qui nous parviennent se résument à dire qu’aucune solution ne se profile à l’horizon. Alep est un désastre, et voilà qu’on nous prédit que les prochains jours seront pire encore ! On nous dit qu’Erdogan est décidé à démolir la Citadelle pour remonter le moral de ses troupes de sanguinaires… Depuis la confirmation de la tenue des à la date prévue, il semble qu’il ait réussi à ouvrir toutes les portes de l’enfer. Une rumeur circule que notre Armée est décidée à en finir, qu’elle n’est pas loin et que ça va barder plus que jamais. Alors, on nous conseille de nous préparer. Nous préparer !?
 
Jeudi 1er mai :
 
« L’électricité est de nouveau coupée, et donc plus d’eau, puisqu’il en faut pour pomper. « Ils » sont arrivés à leur fin… Nous sommes encerclés !
Non, nous ne sommes pas armés. Nous défendre ? Contre des  ? Contre des mines souterraines qui explosent de partout ? Contre des qui pulvérisent des immeubles entiers ? Preuves qu’Erdogan et sa clique ont l’intention d’entrer dans Alep vidée de ses habitants. Oui… nous en sommes persuadés. D’ailleurs, tous ceux qui pouvaient partir, sont partis. Où ? Certains se dirigent encore vers Lattaquié, mais la majorité va au Liban et en . Oui… en . Tu imagines !
Tu peux comprendre que désormais notre seule façon de nous défendre, c’est la prière, le mépris du danger, tout autant que le mépris de cet Occident cupide qui nous joue sa partition humanitaire ?
Il faut que tu dises tout le dégoût que vos dirigeants nous inspirent, « l’erreur » des nôtres étant de ne pas avoir imaginé à quel point ils pouvaient encore témoigner de leur infamie ; infamie, sans doute plus élégante et sophistiquée que celle d’Erdogan et des despotes ignares des , mais inconcevable infamie quand même !
Il faut que tu dises à vos « droit-de-l’hommistes » corrompus et qui se posent en « libérateurs » du peuple syrien, que désormais grâce à leur ignoble sollicitude tous les civils syriens sont égaux en droit, sous les bombes ! Tous les civils : Mohamad, son cousin Hussein, et son frère Georges, ne leur en déplaisent ! Ils seront sans doute heureux de savoir que les victimes en zones dites « contrôlées par le régime » sont à 99% des civils ; victimes innocentes qui, si elles étaient tombées dans les zones prétendument « libérées par les rebelles », auraient retenu l’attention de vos médias menteurs qui accusent « le régime de s’acharner, par voie aérienne, sur ses innocents citoyens ».
Il faut que tu dises que leurs prétendus « rebelles » ne perdent pas leur temps et exploitent au maximum les largesses de cet Occident qui passe sous silence leurs méfaits et les siens !
Il faut que tu dises… ».
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Non… je ne peux pas te dire que les gens me lisent. Ils sont si peu nombreux à pouvoir échapper à la doxa ambiante. Et s’ils me lisent, c’est sans doute du bout des yeux et l’esprit ailleurs ! Mais promis, je le dirai. Prends bien soin de toi et des tiens ! Et pardonne-moi de ne rien pouvoir faire…
 
Mouna Alno-Nakhal
 
01/05/2014
[*] Syrie : Le calvaire d’Alep !

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