Le président Obama, si prompt à montrer du doigt la paille dans l’œil de Poutine, ne voit-il pas la poutre qui est dans le sien ?
Les derniers et dramatiques développements de la crise ukrainienne ont soudain fait remonter à la surface de ma mémoire des souvenirs vieux de plusieurs décennies.
Il y avait alors un crieur de journaux, particulièrement astucieux et facétieux, qui écumait les cafés de Montparnasse et de Saint-Germain en surprenant et en alléchant, par sa faconde, les acheteurs éventuels, et je me suis rappelé ce jour où il colportait de table en table une manchette d’autant plus sensationnelle qu’elle était entièrement de son invention : DERNIÈRE MINUTE, L’ARMÉE ROUGE ENVAHIT L’URSS !
De fait, ces dernières trente-six heures, des acteurs politiques de premier plan et des commentateurs autorisés qui n’ont pas l’excuse de devoir vendre du papier pour gagner leur vie et qui n’accompagnent pas leurs boniments du sourire ou du clin d’œil qui nous ferait comprendre qu’ils plaisantent, vont répétant, le regard sombre et la voix caverneuse, que dans cette affaire la Russie se mêle de ce qui ne la regarde pas et qu’en somme elle n’a rien à faire dans son pré carré, dont la Crimée fait pourtant si évidemment partie.
Lorsqu’en 1954, il y a donc seulement soixante ans, Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste et ukrainien de naissance, décida de rattacher la Crimée à l’Ukraine, cette décision, prise bien entendu sans la moindre consultation des intéressés, était d’ordre purement administratif puisqu’il ne s’agissait que d’inclure un territoire soviétique dans une des Républiques soviétiques.
Lorsqu’en 1991 Boris Eltsine, entre deux vodkas, décida de brader l’URSS et d’accorder leur indépendance à la quasi-totalité des Républiques jusqu’alors fédérées au sein de ce gigantesque ensemble, la Crimée resta associée à l’Ukraine.
La chose se fit automatiquement et comme machinalement dans le cadre d’une dévolution aussi bâclée que le fut en son temps le passage de l’Algérie française à l’Algérie indépendante.
Cependant, eu égard au fait que la grande majorité de sa population était russophone et russophile, russe de langue et russe de cœur, la presqu’île, base traditionnelle de la flotte de la mer Noire, eut droit au statut de région autonome, avec un Parlement spécifique où le parti pro-russe des Régions remporta lors des dernières élections une écrasante majorité.
C’est cette majorité qui refuse désormais, semble-t-il, le cadre dans lequel elle resterait partie intégrante d’un pays dont elle ne partage pas les orientations et dont elle souhaiterait séparer son destin pour retrouver le giron de la mère-patrie.
Non seulement la Crimée n’a pris aucune part à la « révolution », mais après l’avoir regardée avec méfiance, après avoir subi comme une brimade l’annonce de l’abandon du russe comme deuxième langue officielle de l’Ukraine, c’est sur le modèle de Maïdan, porté aux nues par l’Occident, que des individus armés ont pris le contrôle du Parlement, qu’ils ont fait « élire » comme à Kiev un gouvernement local et qu’ils ont demandé à la Russie d’assurer leur protection comme le nouveau gouvernement ukrainien qui ne tient, lui aussi, sa légitimité que de l’insurrection en appelle au soutien des puissances occidentales pour résister à la pression russe.
Pourquoi ce qui est permis aux uns et leur vaut les louanges du monde entier serait-il interdit aux autres ?
Il en est autrement du reste de l’Ukraine, et il est parfaitement compréhensible que l’autorisation accordée par la Chambre haute au président russe d’employer la force armée pour y normaliser la situation, que la suggestion émise par le Conseil de la Fédération de rappeler l’ambassadeur russe à Washington et que les démonstrations de force militaires qui accompagnent et étayent ces démonstrations de volonté politique inquiètent les imprudents parrains de la « révolution » de Kiev.
La menace d’embargo, de confiscations, de poursuites judiciaires, de sanctions de tous ordres brandie par la communauté internationale, du moins par ceux qui prétendent parler en son nom, est-elle pour autant la bonne réponse ?
La grande puissance qui depuis cinquante ans multiplie les interventions extérieures, officielles ou clandestines, à travers le monde (les États-Unis pour les appeler par leur nom) est-elle qualifiée pour se faire, comme souvent, le porte-parole de la morale universelle et de la bonne conscience occidentale ?
Le président Obama, si prompt à montrer du doigt la paille dans l’œil de Poutine, ne voit-il pas la poutre qui est dans le sien ?
Un pays qui s’est arrogé le droit, pendant quinze ans, d’écraser le Vietnam sous un tapis de bombes et de pesticides, d’installer ou de protéger des dictatures militaires au Guatemala, en Argentine, au Chili, au Nicaragua, à Saint-Domingue, un pays dont les interventions massives et maladroites ont déstabilisé l’ensemble du monde musulman, un pays qui a généralisé le chaos et fait tomber du ciel la mort sur l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, s’émeut à la seule idée que la Russie ait son mot à dire sur ce qui se passe chez son plus proche et son plus grand voisin.
Quelques sympathies, parfois hâtives, qu’ait pu éveiller le soulèvement d’une partie de la population ukrainienne contre un président, un gouvernement et un Parlement régulièrement élus, il faut bien admettre que le président et le gouvernement désignés par acclamation et confirmés par un Parlement terrorisé n’ont aucune légitimité.
Si une révolution se produisait au Mexique, au Canada ou dans quelque autre coin de la vaste « arrière-cour » des États-Unis et installait au pouvoir un régime issu de la rue et hostile à Washington, croit-on que l’Amérique resterait sans réaction ?
Mis à part quelques boutefeux irresponsables, l’Union européenne et les États-Unis qui ont si bien encouragé, attisé, sponsorisé et peut-être même financé au nez et à la barbe de Vladimir Poutine l’insurrection ukrainienne sont-ils prêts à une confrontation armée avec la Russie ?
Allons-nous vers une opération Sangaris sur les bords de la Volga ?
Il est encore temps de s’aviser sur les bords du Potomac que la Russie n’est ni le Centrafrique ni la Serbie ni même l’Iran, et que chacun dans cette affaire retrouve le sang-froid que certains ont apparemment perdu.
Il y avait alors un crieur de journaux, particulièrement astucieux et facétieux, qui écumait les cafés de Montparnasse et de Saint-Germain en surprenant et en alléchant, par sa faconde, les acheteurs éventuels, et je me suis rappelé ce jour où il colportait de table en table une manchette d’autant plus sensationnelle qu’elle était entièrement de son invention : DERNIÈRE MINUTE, L’ARMÉE ROUGE ENVAHIT L’URSS !
De fait, ces dernières trente-six heures, des acteurs politiques de premier plan et des commentateurs autorisés qui n’ont pas l’excuse de devoir vendre du papier pour gagner leur vie et qui n’accompagnent pas leurs boniments du sourire ou du clin d’œil qui nous ferait comprendre qu’ils plaisantent, vont répétant, le regard sombre et la voix caverneuse, que dans cette affaire la Russie se mêle de ce qui ne la regarde pas et qu’en somme elle n’a rien à faire dans son pré carré, dont la Crimée fait pourtant si évidemment partie.
Lorsqu’en 1954, il y a donc seulement soixante ans, Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste et ukrainien de naissance, décida de rattacher la Crimée à l’Ukraine, cette décision, prise bien entendu sans la moindre consultation des intéressés, était d’ordre purement administratif puisqu’il ne s’agissait que d’inclure un territoire soviétique dans une des Républiques soviétiques.
Lorsqu’en 1991 Boris Eltsine, entre deux vodkas, décida de brader l’URSS et d’accorder leur indépendance à la quasi-totalité des Républiques jusqu’alors fédérées au sein de ce gigantesque ensemble, la Crimée resta associée à l’Ukraine.
La chose se fit automatiquement et comme machinalement dans le cadre d’une dévolution aussi bâclée que le fut en son temps le passage de l’Algérie française à l’Algérie indépendante.
Cependant, eu égard au fait que la grande majorité de sa population était russophone et russophile, russe de langue et russe de cœur, la presqu’île, base traditionnelle de la flotte de la mer Noire, eut droit au statut de région autonome, avec un Parlement spécifique où le parti pro-russe des Régions remporta lors des dernières élections une écrasante majorité.
C’est cette majorité qui refuse désormais, semble-t-il, le cadre dans lequel elle resterait partie intégrante d’un pays dont elle ne partage pas les orientations et dont elle souhaiterait séparer son destin pour retrouver le giron de la mère-patrie.
Non seulement la Crimée n’a pris aucune part à la « révolution », mais après l’avoir regardée avec méfiance, après avoir subi comme une brimade l’annonce de l’abandon du russe comme deuxième langue officielle de l’Ukraine, c’est sur le modèle de Maïdan, porté aux nues par l’Occident, que des individus armés ont pris le contrôle du Parlement, qu’ils ont fait « élire » comme à Kiev un gouvernement local et qu’ils ont demandé à la Russie d’assurer leur protection comme le nouveau gouvernement ukrainien qui ne tient, lui aussi, sa légitimité que de l’insurrection en appelle au soutien des puissances occidentales pour résister à la pression russe.
Pourquoi ce qui est permis aux uns et leur vaut les louanges du monde entier serait-il interdit aux autres ?
Il en est autrement du reste de l’Ukraine, et il est parfaitement compréhensible que l’autorisation accordée par la Chambre haute au président russe d’employer la force armée pour y normaliser la situation, que la suggestion émise par le Conseil de la Fédération de rappeler l’ambassadeur russe à Washington et que les démonstrations de force militaires qui accompagnent et étayent ces démonstrations de volonté politique inquiètent les imprudents parrains de la « révolution » de Kiev.
La menace d’embargo, de confiscations, de poursuites judiciaires, de sanctions de tous ordres brandie par la communauté internationale, du moins par ceux qui prétendent parler en son nom, est-elle pour autant la bonne réponse ?
La grande puissance qui depuis cinquante ans multiplie les interventions extérieures, officielles ou clandestines, à travers le monde (les États-Unis pour les appeler par leur nom) est-elle qualifiée pour se faire, comme souvent, le porte-parole de la morale universelle et de la bonne conscience occidentale ?
Le président Obama, si prompt à montrer du doigt la paille dans l’œil de Poutine, ne voit-il pas la poutre qui est dans le sien ?
Un pays qui s’est arrogé le droit, pendant quinze ans, d’écraser le Vietnam sous un tapis de bombes et de pesticides, d’installer ou de protéger des dictatures militaires au Guatemala, en Argentine, au Chili, au Nicaragua, à Saint-Domingue, un pays dont les interventions massives et maladroites ont déstabilisé l’ensemble du monde musulman, un pays qui a généralisé le chaos et fait tomber du ciel la mort sur l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, s’émeut à la seule idée que la Russie ait son mot à dire sur ce qui se passe chez son plus proche et son plus grand voisin.
Quelques sympathies, parfois hâtives, qu’ait pu éveiller le soulèvement d’une partie de la population ukrainienne contre un président, un gouvernement et un Parlement régulièrement élus, il faut bien admettre que le président et le gouvernement désignés par acclamation et confirmés par un Parlement terrorisé n’ont aucune légitimité.
Si une révolution se produisait au Mexique, au Canada ou dans quelque autre coin de la vaste « arrière-cour » des États-Unis et installait au pouvoir un régime issu de la rue et hostile à Washington, croit-on que l’Amérique resterait sans réaction ?
Mis à part quelques boutefeux irresponsables, l’Union européenne et les États-Unis qui ont si bien encouragé, attisé, sponsorisé et peut-être même financé au nez et à la barbe de Vladimir Poutine l’insurrection ukrainienne sont-ils prêts à une confrontation armée avec la Russie ?
Allons-nous vers une opération Sangaris sur les bords de la Volga ?
Il est encore temps de s’aviser sur les bords du Potomac que la Russie n’est ni le Centrafrique ni la Serbie ni même l’Iran, et que chacun dans cette affaire retrouve le sang-froid que certains ont apparemment perdu.
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