Le «troisième homme», le guetteur supposé de la préfourrière de Pantin, Abdelhakim Dekhar, alias «Toumi», 33 ans, front plissé et dégarni, lunettes carrées, nie toujours. C'est un complot contre lui, officier de la sécurité militaire algérienne qui infiltre les squats pour y débusquer des islamistes.
«Je n'ai jamais approché Florence Rey et Audry Maupin», a répété hier, dans le box de la cour d'assises de Paris, le prévenu accusé du vol à main armée du 4 octobre 1994 et d'«association de malfaiteurs».


«Un acheteur d'objets».

 C'est la piste du fusil à pompe de marque China d'Audry Maupin qui a mené la brigade criminelle à la Samaritaine.
 Le 5 juillet 1994, l'«agent» Dekhar a acheté l'arme sous sa véritable identité. L'officier Pierre Valéro l'interpelle à Aubervilliers le 18 octobre.
 En garde à vue, Dekhar se présente comme «un acheteur d'objets en vente libre, fusils, duvets, couteaux, pour un certain Philippe Lemoual». Dekhar dénonce aussi Stéphane Violet, un intello de l'ultragauche, comme étant le détenteur du second revolver 38 spécial police volé à Pantin, et volatilisé.
 Toumi donne trois adresses susceptibles d'abriter l'arme manquante.
Lemoual est attrapé.
Violet, recherché.
L'officier Valéro a ainsi approché la mouvance «autonome».
Que le commissaire Laffargue, des Renseignements généraux, décrit pour la cour:

«Mouvance fluctuante issue des années de plomb en Italie, arrivée en France vers 1976 avec les dirigeants de l'autonomie ouvrière italienne, mille personnes à l'époque, trois cents à la fin des années 80. Méthodes d'action radicales, parfois violentes, hors des structures traditionnelles. Infiltrations de manifs organisées par des syndicats, genre sidérurgie. Un hold-up n'est pas un vol, mais une "expropriation prolétarienne. Une razzia dans un supermarché, des "courses prolétariennes. Et la pratique des squats, une "réappropriation.»

«Un lien tangible».

Les RG ne s'intéressent qu'aux «leaders» autonomes, «ce qui n'est pas le cas de Dekhar», juste «photographié en 1992 à la sortie d'un squat avec des éléments violents rue de Flandre».
 Un chef autonome, pour sauver ses amis, désigne aux enquêteurs Dekhar, ce «professionnel de la manipulation», comme le véritable «troisième homme».
 Il promet de convaincre Violet de se rendre et, surtout, apporte «des témoins qui prouvent un lien tangible entre Dekhar-Rey-Maupin».
 Il tient parole. Par la suite, Lemoual a été libéré et blanchi. Violet s'est constitué prisonnier et a passé cinq semaines à l'ombre.
 Le temps que Florence Rey l'innocente et désigne Dekhar-Toumi comme le «troisième homme».
 Ce «vantard» capable de «parler de tout», qui, selon elle, a subjugué Audry Maupin et a monté avec lui le hold-up de Pantin. «Exclue», elle avait «insisté» auprès d'Audry pour y aller avec lui.
A la barre, hier, Stéphane Violet, 37 ans, lecteur-correcteur qui a connu Toumi en 1990 dans les manifs contre la guerre du Golfe, a rencontré «le couple Audry-Florence» en juin 1994, à la Fête de la musique.
Ils se retrouvent souvent, à l'été 1994, dans des cafés, squats, associations ou concerts. A discuter Hegel, Marx, philo et politique, avec Audry, militant de la Scalp (Section carrément anti-Le Pen) et de la CNT (Confédération nationale du travail) libertaire.

«Audry cherchait une direction, un fondement à sa propre vie. Il avait clairement des idées révolutionnaires, et je pense, a posteriori, inconsciemment nihilistes. Je sentais chez lui une impatience à s'affirmer, à exister en opposition à la société. Il y avait une connivence entre Audry et Toumi, un certain mystère.» Sur l'attitude de Florence Rey: «Elle donnait l'impression de papillonner. Physiquement, déjà, elle avait du mal à rester en place et à se concentrer. Il y avait un décalage entre son peu d'attention portée aux gens et aux discussions, et son désir de ne pas être complètement sur la touche. Je me l'expliquais par la relation forte entre eux deux. J'ai souvent vu Audry prendre Florence à part et lui reprocher son manque d'intérêt.»

 Sur le comportement de Dekhar avec le couple: «Une attention faussement généreuse, comme un chaperon. Toumi ne ratait jamais une occasion de leur montrer qu'ils étaient jeunes et inexpérimentés. Il jouait le censeur, le curé. Je ne pouvais plus parler avec Audry sans Toumi. Audry semblait s'être renfermé.»

«Hiatus».

Stéphane Violet, qui, le soir du 4 octobre, est allé au cinéma voir Tueurs-nés,«un mauvais film américain», a été «ébranlé» et «triste» à l'annonce des noms des auteurs de la fusillade de Nation.
 «J'ai été frappé par l'hiatus entre nos discussions et ces faits.
A supposer qu'on veuille s'attaquer à l'Etat, s'en prendre à deux gardiens d'une préfourrière la nuit...
Ce choix de cible, ce passage à l'acte, ce déroulement des faits, tout me surprend. Je ne sentais pas Audry dans les dispositions d'un pistolero, d'un guérillero.
Je sentais une grande violence en lui, mais cadrée par un désir d'explication. Même si la détestation de la police est compréhensible dans ce monde, je ne vois pas Audry en faire un objet central, la focalisation d'une haine, et je conçois mal qu'il ait prémédité quoi que ce soit par la suite.»
 
TOURANCHEAU Patricia

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