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mardi 3 septembre 2013

Retraites, ce numéro "collector" signé Hollande .


Le Point.fr - Publié le
François Hollande.
François Hollande. © Jacques Demarthon / AFP
Le "hollandisme", cet art de l'esquive, de l'habileté tactique, a désormais son chef-d'oeuvre : la petite réforme des retraites. Décryptage.
            
La réforme des retraites est la quintessence du hollandisme.
Un "collector" en matière d'équilibre politicien.
 Un monument d'habileté tacticienne, de roueries, de com savamment pesée pour faire passer par le chas d'une aiguille une réforme longtemps présentée comme énorme. Repassons le film au ralenti.
À l'origine, Hollande pouvait trébucher sur cinq points : 1) la refonte titanesque des régimes en un seul qui aurait exaspéré le corporatisme des bénéficiaires des régimes spéciaux ; 2) l'alignement du privé et du public quant au calcul des pensions (les fonctionnaires l'auraient maudit) ; 3) la dégradation de la compétitivité des entreprises par la hausse brutale des cotisations patronales (ce qui lui aurait fait perdre le bénéfice du crédit d'impôt compétitivité emploi) ; 4) l'allongement de la durée des cotisations au détriment de ceux qui pensaient pouvoir partir prochainement ; 5) l'affaiblissement des pensions des retraités.
 En roi de l'esquive, Hollande zigzague entre les points de passage dangereux.

Éviter de fâcher les fonctionnaires

D'emblée, il écarte l'idée d'unifier les régimes et s'épargne le courroux des bénéficiaires des régimes spéciaux les plus sensibles, ceux qui peuvent bloquer le pays : la SNCF, la RATP, EDF, GDF, les policiers, etc.
 La hantise de rééditer "Juppé 95" guide ce refus d'obstacle.
 D'autant que François Hollande a fait ses comptes : il peut s'appuyer sur la réforme Sarkozy dont les effets se font peu à peu sentir au fil des ans.
 Il sait que la durée de cotisation des régimes spéciaux sera progressivement alignée sur celle du régime général pour parvenir à 41 annuités à partir de 2017.
 Par conséquent, les professions protégées par les régimes spéciaux disposent, certes, de la possibilité de partir plus tôt, mais devront, à compter de 2017, cotiser aussi longtemps que les autres si elles veulent bénéficier d'une retraite à taux plein... Toutefois, pour les personnes qui, par exemple, travaillent de nuit (infirmières, policiers, pompiers...), la prise en compte de la pénibilité permettra de corriger l'effet mécanique de cet alignement. Premier problème évacué pour Hollande, y compris vis-à-vis de son aile gauche à qui il donne ainsi des gages en se targuant d'avancées sociales...
Ensuite, il évite d'aligner le mode de calcul des pensions du public (les six derniers mois sans les primes) et le privé (les 25 meilleures années, primes comprises). Pourquoi se fâcherait-il avec les fonctionnaires ?
Pour faire plaisir à la droite ?
Saper sa base électorale ?
Absurde pour un président socialiste qui souhaite se représenter en 2017.
 D'autant que François Hollande a déjà le sentiment de demander beaucoup aux agents de l'État en gelant le point d'indice de la fonction publique (800 millions d'euros d'économies par an) depuis plusieurs années.
Un sacrifice qu'il estime suffisant.
Voire déjà très dommageable pour sa popularité à gauche.

Cajoler les entreprises

Troisième écueil : les entreprises.
 Elles sont désormais l'objet de toute son attention. Il les cajole.
 Sans elles, sans le moteur de l'investissement qu'elles représentent, il sait qu'il peut faire une croix sur sa réélection. Mais, en même temps, il a promis que tous, ménages et entreprises, devraient contribuer à la pérennité du système des retraites.
Que faire ? Il invente donc quelque chose d'absolument hollandais : une hausse des cotisations patronales pour les retraites qui serait, assure-t-il aussitôt, entièrement compensée.
 Vous augmentez un impôt, mais vous l'annulez par ailleurs.
 Le style Shadock ! En l'occurrence, les patrons paieront un peu plus pour les retraites, mais ne paieront plus les cotisations familiales.
 La main droite prend, la main gauche redonne...
 Du Hollande pur jus ! Moyennant quoi, le Medef fut bien en peine de regimber... Hollande éteint ainsi son troisième foyer de contestation.
Néanmoins, il faut bien faire un effort : l'allongement de la durée des cotisations.
 Une idée qu'il a installée très tôt et que son gouvernement a rabâchée pendant des mois.
Mais sans jamais en préciser les modalités.
Une préparation des esprits de longue haleine.
Il aurait pu trancher dès février.
Non ! Il fallait d'abord installer le principe que les Français devraient cotiser plus longtemps.
 Dans l'inconnu, chacun a pu s'en faire une idée - 43 ou 44 ans - et se l'appliquer à soi-même.
Hollande ménageait alors son effet de surprise : l'allongement ne prendra effet qu'à partir de 2020.
Et encore, au rythme d'un trimestre tous les trois ans pour aboutir à 43 ans en... 2035 (contre 41,5 ans actuellement).
 Bref, l'échéance est si lointaine que ceux qui sont concernés (les quadragénaires) se débattent d'abord avec deux problèmes (l'emploi et le pouvoir d'achat).
 Leur niveau de retraite arrive bien après dans la liste de leurs préoccupations du moment.
 Ce faisant, Hollande, après avoir fait stresser tout le monde, provoque le soulagement de ceux qui partiront à la retraite dans les prochaines années.
 Pour eux, rien ne change. Encore une belle pirouette de com du président !

Le tour de passe-passe des pensions

Le morceau de bravoure à présent : les pensions des retraités (déjà affaiblies par les partenaires sociaux s'agissant des retraites complémentaires Agirc-Arrco).
 Comment y toucher sans en avoir l'air ?
Une astuce comptable fera l'affaire : repousser de six mois (d'avril à octobre) l'indexation des pensions.
Cela permet à l'État de gratter 2 milliards d'euros.
 L'inflation étant modérée, ce recul de six mois ne devrait pas être trop douloureux. Là aussi, le spectre d'une désindexation pure et simple est écarté. Pas de quoi crisper les retraités...
Autre petit subterfuge du président : le feuilleton de l'augmentation de la CSG. Évoquée dans les réunions du gouvernement en mars et défendue par Bercy, elle ne sort dans la presse que dans la dernière ligne droite.
 Une fuite.
Mais Hollande écarte cette idée assez vite.
En revanche, il la laisse perdurer dans la presse jusqu'au bout.
 Là aussi, technique classique : créer un stress sur une éventuelle hausse de la CSG qui frapperait tout le monde (donc les retraités) pour obtenir, au moment du dénouement, un soulagement et ainsi faire passer l'augmentation (modeste, il est vrai) des cotisations des actifs (2,15 euros par mois pour un smicard en 2014).

À demain pour la suite !

Mais alors, peut-on parler de réforme ?
La question se pose et la droite ne manque pas de dénoncer une fausse réforme. Hollande sort de sa manche une dernière carte : un outil de pilotage annuel à travers un comité d'experts indépendants.
Il leur reviendra de dire, tous les ans, si le tableau de marche est respecté.
 Ce comité de "sages" devra émettre vis-à-vis des gouvernants des recommandations publiques pour corriger le tir si besoin.
Les hypothèses de croissance sur lesquelles le chef de l'État a bâti sa réforme étant, de l'avis général, très optimistes (1,6 % de croissance annuelle d'ici à 2020 et un niveau de chômage de long terme à 4,5 % de la population active), on peut raisonnablement penser que ce comité va avoir du pain sur la planche.
 C'est l'astuce suprême pour morceler LA réforme en "des réformes à venir", faites par d'autres, plus tard, à petits pas...
 Du rafistolage bâti sur une analyse politicienne des rapports de force électoraux.

 La "Hollande touch", modèle déposé.

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