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mercredi 25 septembre 2013

Comment un ministre bulgare a touché les Assedic en France.

De notre correspondant Alexandre Lévy, publié le 25/09/2013 à 08:10
Comment un ministre bulgare a touché les Assedic en France
Ivan Danov, ministre bulgare de la rogrammation des investissements, affirme qu'il n'a "jamais vécu d'allocations".

Scandaleux.
Chargé des investissements dans le gouvernement de Sofia, Ivan Danov aurait perçu, en 2004-2005, près de 15 000 euros d'allocations de la part de l'Assedic. Problème: il n'y avait pas droit. En France comme en Bulgarie, il semble pourtant que tout le monde s'en fiche...
S'inscrire comme demandeur d'emploi après un licenciement économique, recevoir une allocation de chômage pendant plusieurs mois, chercher de nouveau un travail...
Peu de ministres, en Europe, se targueraient d'avoir vécu de telles expériences. Membre du gouvernement bulgare,Ivan Danova longtemps gommé cet épisode de sa vie, entre 2004 et 2005, à l'époque où il séjournait en France.
 Mais d'autres causes expliquent la discrétion remarquable du personnage.
 Chargé depuis juin dernier du ministère de la Programmation des investissements, il aurait perçu indûment quelque 15 000 euros de l'Assedic.

Dans son CV officiel, M. le ministre s'affirme titulaire d'un doctorat d'architecture, polyglotte, enseignant à l'université de Sofia et ancien collaborateur des meilleurs cabinets d'architectes d'Europe occidentale.
"J'ai travaillé dix-huit ans à l'étranger, dirigé des sociétés, donné des cours à l'université.
Je n'ai jamais vécu d'allocations", s'énerve-t-il, piqué au vif.
  Pourtant, les documents de l'Assedic, que L'Express a pu consulter, sont formels. Entre septembre 2004 et juin 2005, Ivan Danov a bel et bien perçu une indemnisation journalière de 60,03 euros, soit, selon nos estimations, 14 707,50 euros au total.
 Or, à cette période, il était de retour en Bulgarie, où il avait repris plusieurs activités professionnelles. Sans jamais informer l'ANPE, ancêtre de Pôle emploi.


Il touche 1850 euros par mois, en sus des revenus bulgares

Les circonstances de l'oubli ministériel remontent au mois de septembre 2003, lorsque Ivan Danov décroche un emploi en France, à Bar-sur-Seine, petite commune de l'Aube. Daniel Juvenelle et associés n'est pas le plus prestigieux cabinet d'architectes de l'Hexagone, certes, mais l'entreprise verse un salaire d'environ 3000 euros à ce confrère bulgare, logé par le gérant de la société.
 Ce dernier ne veut pas revenir sur les raisons qui l'ont poussé à licencier Ivan, en juin 2004, mais les témoins de l'épisode se souviennent d'un départ "plutôt brusque".
 
Officiellement, pour raisons économiques.
 
 Ayant travaillé un peu moins d'un an, le futur ministre, muni des justificatifs nécessaires, se présente en septembre 2004 dans les locaux de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) à Paris et s'inscrit officiellement comme demandeur d'emploi, statut qui lui ouvre des droits à l'assurance-chômage (Assedic).
 Plutôt que d'occuper ses journées à retrouver un job en France, il semble qu'Ivan Danov s'envole aussitôt.

Les mois suivants, selon sa biographie officielle, il reprend son poste à l'université de Sofia et fonde deux bureaux d'études et d'architecture, Danov & Partners et Danov Design.
Il aurait ainsi travaillé sur un projet immobilier estimé à l'équivalent de 37 millions d'euros, comprenant la construction d'un terrain de golf, de plusieurs dizaines de villas et d'un centre de spa près de la capitale.
 "Pendant ce temps-là, il pointait tous les mois à l'Assedic, ce qui lui a permis d'ajouter 1850 euros par mois à ses revenus en Bulgarie", affirme Atanas Tchobanov, du site d'investigation Bivol, partenaire de WikiLeaks en Bulgarie, à l'origine de la fuite d'une partie des documents à charge.
 Un complément appréciable, dans un pays où le salaire minimum représente environ 150 euros.

Convoqué à l'ANPE, il saute dans un avion à Sofia et fait illusion

Selon les textes en vigueur, Ivan Danov n'aurait jamais dû quitter le territoire français, bien sûr, où il était censé être "à la recherche effective et permanente d'un emploi".
 En principe, toute absence de plus sept jours doit être signalée et, en cas de manquement, la radiation est automatique au bout de cinq semaines.
 En revanche, depuis la fin des années 1990, il n'est plus obligatoire de pointer physiquement ou par courrier postal: un simple coup de fil ou un clic de souris suffisent.
Reste le problème des entretiens en tête à tête: à intervalles réguliers, l'administration convoque les demandeurs d'emploi afin de faire le point sur leurs recherches et leur motivation - des rencontres décisives pour le renouvellement des allocations.
 Or, selon nos informations, Danov s'est déclaré comme occupant à titre gracieux chez un compatriote à Paris, qu'il avait chargé de surveiller son courrier.
 A quatre reprises, entre 2004 et 2005, il saute dans l'avion à Sofia pour venir répondre aux questions d'un conseiller de l'ANPE et donner l'illusion qu'il n'a jamais quitté la France.

"Je suis prêt à rembourser. Mais personne ne me le demande !"

En Bulgarie, quand quelques journalistes ont essayé d'interroger Ivan Danov à propos de cet épisode, le ministre s'est fait pédagogue et a entrepris d'expliquer le fonctionnement de l'Etat providence en Europe de l'Ouest et, en particulier, les largesses du système français.
Selon lui, toute personne ayant travaillé en France a droit à des compensations après la rupture du contrat.
  Pour cela, il n'y a pas grand-chose à faire - ni rechercher activement un emploi, ni scrupuleusement actualiser son statut tous les fins de mois, ni même résider en France...
"J'ai annoncé aux autorités françaises que je quittais définitivement le pays, a-t-il expliqué lors d'une émission télévisée.
 Mais ils ont continué à me verser cet argent. Pourquoi?
 
C'est à la France que vous devez poser cette question. Moi, je suis prêt à rembourser. Mais personne ne me le demande!"
 
A l'écouter, cette histoire lui a rappelé l'existence de son compte en banque parisien, qu'il avait perdu de vue: "Je vais regarder de plus près ce qu'il s'y passe."
 C'est une bonne idée. Selon les documents révélés par le site Bivol, la BNP a délivré à ce client une carte Bleue Visa Premier, valable jusqu'à septembre 2013.
 Joint au téléphone par L'Express, Ivan Danov a refusé de répondre à nos questions.
"Il ment comme il respire.
 Mais, ici, cela ne semble choquer personne", se désole Atanas Tchobanov.
 De fait, son cas semble presque insignifiant, compte tenu de la série de scandales qui a éclaboussé, à Sofia, le nouveau gouvernement de coalition.
Le prédécesseur de Danov au ministère des Investissements, l'architecte Kaline Tikholov, n'a tenu que quelques heures à ce poste, le temps que la presse rappelle que son nom était au coeur de l'une des plus vastes escroqueries immobilières sur la côte de la mer Noire.
Trois mois après sa création, ce ministère, chargé de gérer les fonds européens, reste une coquille vide: sans siège, sans employés et, de fait, sans activité.

Même s'il voulait rendre l'argent, Pôle emploi ne pourrait l'encaisser

De tout cela, que pense Pôle emploi? Contacté à plusieurs reprises par L'Express, ces dernières semaines, le service de communication affirme avoir transmis aux "services compétents" nos questions sur le cas d'Ivan Danov, sans recevoir de réponse.
 Sous le couvert de l'anonymat, une responsable juge l'affaire "bien embarrassante", en raison du précédent que constitue le cas d'un ministre en exercice (dans un Etat membre de l'Union européenne, par ailleurs).
  Et ce n'est pas tout. "Au bout de trois ans, il y a prescription dans les dossiers de ce genre, souligne-t-elle.
 
 Même si le ministre en question voulait rembourser les sommes indûment versées, Pôle emploi n'aurait pas le droit de les récupérer tant que la fraude n'aura pas été officiellement reconnue par nos services."
 
L'établissement public français en a vu d'autres, semble-t-il.
Un peu comme l'opinion publique bulgare: "Personne ne s'intéresse à Danov, car les quelques milliers d'euros qu'il a mis dans sa poche sont une peccadille en comparaison des dizaines de millions attendus sous forme de subventions de Bruxelles, qui aiguisent tous les appétits", explique Tihomir Bezlov, spécialiste de la corruption au Centre d'étude de la démocratie, à Sofia.
 "Ivan Danov a été habile de laisser entendre que les Français sont des nigauds, renchérit Dimitar Bechev, chef de l'antenne bulgare du Conseil européen des relations étrangères (ECFR), un centre d'analyse.
 
 Sa remarque a dû réjouir nombre de ses compatriotes: ils en auront déduit que, pour une fois, ce ne sont pas eux qui ont été grugés."



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