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Maman,
Je t’écris de la Marne où j’ai le cœur bien lourd,
Ici la guerre s’acharne et il me manque ton amour.
Compagnons d’armes, tour à tour je les vois tomber,
Le visage sans larmes, je ne peux que prier.
Hier, il a fait un orage épouvantable et tombé des tonnes d’eau,
Nous étions tous froids et mouillés, sans abri pour nous protéger.
Aujourd’hui, il fait presque beau, et nous avons de la paille en suffisance.
Je crois bien que nous allons rester malgré toutes nos réticences.
Dans ta dernière lettre, tu me dis que Victor t’a donné,
Trois boisseaux de trèfle, que ça fait trois jours que les vaches n’ont pas été au pré!
Que la pauvre Roseline est morte, qu’il pleut toujours à torrent,
Qu’il fait froid dans la région et qu’il est long et fort vilain ce temps.
Moi, Je garde la forme et je suis toujours en bonne santé.
Je le suis bien et les hommes continuent à creuser des tranchées.
Nous avons eu du renfort, les zouaves et les noirs sont arrivés.
Artilleurs, chasseurs à cheval, hussards et génie à pieds, on est tous mélangés.
Maman, tu rayonnes sur mon âme, tu illumines mon cœur comme un soleil,
Mais il fume encore sur les champs de bataille tous les obus de la veille.
Tu sais Maman, je n’ai plus vraiment le choix, il faut que je te dise:
Tu dois connaître la sinistre vérité, je ne veux plus te mentir, alors reste assise.
La paix n’existe plus sur notre pauvre terre dépravée de néant.
Guerre moderne, cette armée française constituée de pantins et d’enfants.
J’ai appris la révolte et la haine, l’hypocrisie, la trahison de l’état,
La boucherie humaine d’une barbarie effrénée des généraux sans lois.
La terre est brûlée, bafouée, piétinée, bouleversée.
Un paysage sans coquelicots ni bleuets, juste un champ de mines.
Nous, au plus profond des boueuses tranchées, en première ligne,
Nous survivons aux balles, aux bombes, entourés par d’infâmes barbelés.
Tout nous manque: l’eau, la soupe, la bière, le vin et les tartines.
Morts de faim, mal ravitaillés, la vide galetouse est en ruine.
Et tes repas gargantuesques que tu nous préparais, comme je m’en souviens!
C’était le temps des œufs de la ferme que j’adorais gober au petit matin.
Ici, nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux,
Dans une collante et épaisse glaise, nous pataugeons.
Sous les obus, les tranchées s’écroulent et mettent à jour des corps,
L’odeur est pestilentielle, des ossements et des crânes encore…
Maman, j’ai tellement faim! Cette boue se trouve partout, même dans le pain,
Il fait froid, de mes doigts engourdis à peine j’arrive à manier le fusil et le grain.
Ça a un goût fort désagréable, nos gamelles sont tellement sales et louches,
Mais puisque la nourriture se fait de plus en plus rare, inutile de faire la fine bouche.
Nous sommes exténués, désespérés, par ces incessants combats.
Nous participons à des offensives à outrance, peu fiers, mais braves.
Toutes ont échouées sur des cadastres montagneux de cadavres.
Au chemin des Dames une nouvelle attaque, on avance, on recule, un désastre !
Même la nuit dans le ciel sulfureux un Zeppelin rôde au-dessus de nos têtes,
Il nous désigne en tirant de brusques coups de lueur comme on achève les bêtes.
Sous les rafales de ses balles, la peur au ventre, nous courons à tout va.
Combien de soldats ont ensanglanté le sol à chacun de leurs gestes et de leurs pas.
Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme boucherie!
L’amour, les sentiments, tout ça n’existe plus, plus rien n’a de sens.
Lorsque j’enjambe tous ces corps désarticulés de naïveté et d’innocence,
C’est un vrai chantier que je découvre sous les pieds et j’ai la haine qui m’envahit.
Ici, ça sent le tabac, la poudre, la sueur et l’eau mélangée à la vinasse.
Cette nuit, on a entendu quelques officiers entonner le temps des cerises !
Plaise à Dieu que nous sortions bientôt victorieuses nos maigres carcasses,
Demain, nous serons trop peu pour reprendre la plaine qu’ils nous ont prise.
Perdu dans ce brouillard de gaz et de fumée, le fusil à l’épaule, j’errais.
La sueur dégoulinait de mon front, j’étais blême, j’avais la nausée.
Devant moi, un obus venait de couper mon camarade en deux.
Il survivra peut-être, peut-être pas, mais sans visage et sans yeux.
J’ai vu brusquement, toute ma vie défiler, la faucheuse devant moi,
L’alcôve s’est effondrée à cause d’un tir d’obus dans la tranchée.
Deux de mes camarades sont morts, l’un dans le creux de mes bras,
A ce moment là, ne sachant comment, mon âme croyante a basculé.
Tu sais, si je devais revenir, c’est pourquoi faire?…. Te tuer Maman?
Et si j’assassinais mon frère et mes sœurs, tout ce qu’il me reste comme famille?
Mais que m’arrive-t-il? Je ne sais plus où je suis, ni qui je suis! Un mort facile?
Tu avais raison Maman, j’aurai du rester à la ferme traire les vaches et cultiver les champs.
Maman, Il faudra t’arranger pour toucher une allocation demandée au pays.
Ne leur fais aucun cadeau, n’oublies jamais qu’ils ont eu ma peau.
Bientôt le monde regardera d’un air dédaigneux, rentrer ces malheureux estropiés.
Avec une petite croix de guerre pour un bras, une jambe, où une médaille pour un pied.
On ne supporte plus tous ces sacrifices inutiles, les mensonges de l’état- Major.
Beaucoup ont déserté, d’autres se sont mutilés, et personne ne veut plus marcher!
Des tracts de propagandes nous invitent à déposer les baïonnettes et les sabres!
Jamais nous n’avons refusé de défendre la patrie, mais à quoi ça sert d’attaquer?
Je repense à hier,…………Tu sais que les fleurs sont déjà bien rares à cette époque,
Pourtant, on en avait trouvé pour décorer nos casques et nos fusils baroques!
Entre quelques haies muettes, quelques curieux badauds regardaient en enfilade,
Le bataillon fleuri comme un cimetière, traverser le village à la débandade.
Le soir, nos officiers ont été chargés de juger notre rébellion, nos écarts.
J’ai été condamné, sans recours possible, sans une once d’espoir.
La sentence est tombée, je vais être fusillé pour exemple, comme traître et agitateur.
Avec six de mes camarades demain, à l’aube, lorsqu’on lèvera les couleurs.
Non, je ne vais pas mourir au front, mais l’esprit libre même si j’ai les yeux bandés,
Je vais finir dans la fosse commune à tous ces morts honteux oubliés de l’histoire.
Agenouillé devant le peloton d’exécution tenu par mes frères d’obéissance au devoir.
Maman, je regrette déjà la douleur et le déshonneur que ma triste fin va t’infliger.
Promets-moi, Maman, quand ne tombera plus la pluie et que le temps aura lissé ta peine,
De ne pas renoncer à être heureuse et de continuer à croire à une terre où l’on s’aime.
Je te souhaite tout le bonheur que tu mérites et que je ne pourrai plus te donner,
Puisque le hasard de la guerre ne me laisse pas l’occasion d’être avec toi à Jamais.
Ton doux et merveilleux visage gravé pour toujours dans ma mémoire,
Sera mon dernier souffle, mon ultime réconfort avant ma triste fin.
Maintenant, je vais me sentir bien seul, mais je suis apaisé et serein,
Puisque la mort est mon seul espoir dans un monde qui n’est plus le mien.
Maman, je t’embrasse affectueusement, moi, qui a le cœur déchiré par tant de larmes.
Ton fils qui t’aime tant, Ma Maman.

©Christian Poullein – 10 Novembre 1918.