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mercredi 25 septembre 2019

"Emmanuel Macron ne gouverne pas les Français, il les soumet"

 
 
Résultat de recherche d'images pour "macron arrogant"

Roland Gori Psychanalyste, professeur émérite de Psychopathologie clinique à l'Université d'Aix-Marseille   
                 

L’autre pour Emmanuel Macron n’est qu’un autre lui-même. Il veut les Français à son image, à l’image des clones qui l’entourent et l’adorent.
Que l’on s’en réjouissance ou qu’on le déplore, il est bien un héros de notre temps, “personnalité sociale” de cette nouvelle élite qui a rompu le pacte de solidarité républicain.
Emmanuel Macron s’avance en conquérant pour qui ne compte que la performance, la réussite.
Il descend dans l’arène de l’opinion publique témoigner de ses convictions, élans de ses conquêtes, causes de ses succès.
C’est ainsi disait Freud que s’avance le conquérant porté par un narcissisme maternel qui fait que rien ne lui résiste:  “quand on a été le favori incontesté de la mère, on en garde pour la vie ce sentiment conquérant, cette assurance du succès, dont il n’est pas rare qu’elle entraîne effectivement après soi le succès.”
La passion maternelle pour son enfant idéalisé induit une confiance à toute épreuve chez celui qui en reçoit le privilège.
Cette formule freudienne, on la croirait taillée sur mesure pour notre Président.
La passion maternelle pour son enfant idéalisé induit une confiance à toute épreuve chez celui qui en reçoit le privilège.
Elle lui donne une force et une confiance inébranlables qui facilitent ses conquêtes, et fait qu’il ne peut que s’aimer davantage.
C’est ce narcissisme qui confère au conquérant un pouvoir de séduction incontestable.
Le conquérant fascine comme fascinent les grands fauves ou les people.
La fascination n’est pas du même registre que l’amour ou le dialogue fraternel.
Bien au contraire, le conquérant rêve debout, enveloppé dans son repli narcissique, sans contestation possible.
À chaque objection de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron aime répliquer: “Non! Je vais vous expliquer”.
Il y croit et feint de croire qu’on va le croire.

L’autre pour Emmanuel Macron n’est qu’un autre lui-même, un Macron qui s’ignore et dont il faut, tel Socrate, savoir l’accoucher.

On lui reproche un manque d’empathie.

Le diagnostic est à la fois cruel et juste.
À condition de préciser que l’empathie est identification à l’autre, qu’elle suppose une capacité authentique d’en adopter le point de vue.
Il faut pour cela non consommer l’effusion sentimentale, la fusion affective, la ferveur des émotions, mais se déplacer là où se trouve l’autre tout en restant soi-même.
Il n’est pas sûr que notre monarque y parvienne.
C’est pourquoi lorsqu’il dit qu’il est lui aussi “un gilet jaune”, nous pourrions craindre que des cris de détresse et de colère il n’entende que l’écho de son propre message dont le Grand Débat fut, à plus d’un titre, la caisse de résonance.
Au fond, il se révèle comme l’enfant émerveillé par le château de sable qu’il construit avec le matériau de la France.
Il veut les Français à son image, il les façonne de son parcours, les maçonne de ses illusions, les étourdit de ses imprécations.
Il se révèle comme l’enfant émerveillé par le château de sable qu’il construit avec le matériau de la France. Il veut les Français à son image, il les façonne de son parcours, les maçonne de ses illusions, les étourdit de ses imprécations.
Cet homme croit à la fable des abeilles besogneuses dont il convient d’écarter les frelons, tous ces fainéants qui “coûtent un pognon de dingue”, qui “ne sont rien parce qu’ils ne font rien”.
Il croit au destin d’un Etat entrepreneurial et d’une Nation start-up.
Il croit à ce qu’il dit, il croit à ce qu’il fait, avec l’acharnement de l’évangéliste, avec l’audace de l’aventurier, avec le courage du centurion, il construit avec le sable français les châteaux de son Empire.
Emmanuel Macron n’a pas fait don de sa personne à la France, il lui a fait don de sa croyance, “délire sectorisé”, nouveau corps mystique du pouvoir.
Il nous veut tous à l’image de la “bande” de clones qui l’entoure et l’adore dans l’effusion des religions saint-simoniennes.
Plus que de Jupiter, c’est de Pygmalion qu’il suit l’exemple.
Il burine la France et le peuple français pour sculpter sa statue.
Il l’aime cette statue, c’est son œuvre, sa création, le fruit de ses croyances.
Aucun frelon, jaune, rouge ou vert, ne saurait le détourner de sa doxa.
Il est “entrepreneur” de sa politique comme il souhaite que chacun le devienne de son existence.
Mais ce conquérant est aussi le héros nihiliste de la tragédie de notre époque, celle qui fait de la conquête le moyen d’assouvir le “caractère destructeur” du capitalisme globalisé.
Ce capitalisme, qui fait de la destruction la nouvelle source de profit, détruit aussi celui qui se place à son service.
Ce caractère destructeur, il convient de le comprendre au sens du philosophe Walter Benjamin[1] qui en dresse le portrait: “Le caractère destructeur ne connaît qu’un seul mot d’ordre: faire de la place; qu’une seule activité: déblayer.
Son besoin d’air frais et d’espace libre est plus fort que toute haine.”
 Les débris humains, peuples et gouvernants, et écologiques qui en résultent sont recyclés pour de nouveaux profits.
Il croit à ce qu’il dit, il croit à ce qu’il fait, avec l’acharnement de l’évangéliste, avec l’audace de l’aventurier, avec le courage du centurion, il construit avec le sable français les châteaux de son Empire.
À distance de toute attaque ad hominem c’est ainsi, je crois, qu’il convient de comprendre le destin des conquérants actuels dont Emmanuel Macron est l’exemple.
Leur destin, comme celui des peuples qu’ils soumettent plus qu’ils ne les gouvernent, procède de ce même principe destructeur.
Les gouvernants ne cherchent pas à être compris ou aimés de leurs peuples, tout juste consentent-ils à les faire témoins de leur efficacité.
Ils savent que plus rien dans l’environnement d’aujourd’hui n’est durable, et qu’ils doivent en conséquence devancer la nature pour ne pas en subir le rythme, la simplifier pour mieux la liquider et la transformer en profits.
C’est bien pourquoi leur politique ne saurait être écologique ou humaniste.
Détruire efface les traces du temps et de l’histoire.
Brecht l’avait annoncé: la modernité efface les traces, elle est sans mémoire, mais non sans commémorations.
La langue même est affectée par ce caractère destructeur, elle ne révèle plus, elle n’autorise plus que la communication, et trouve dans le numérique le moyen fabuleux de son déclin.
Ce caractère destructeur ne relève pas de la psychologie mais procède ici de l’économie politique, de la culture, de nos sociétés.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les violences que nous avons connues ces derniers temps, moins comme des accidents de parcours que comme des symptômes durables de cette nouvelle pathologie de masse produite par le “caractère destructeur” d’un capitalisme métamorphosé dont les fascismes du siècle passé n’étaient que les archétypes.

[1] Walter Benjamin, 1931, “Le caractère destructeur”, in: Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 330-332.

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