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jeudi 30 mai 2013

Une odeur d’égout – Par Julien Jauffret.

 
C’est planqués derrière des lunettes noires, des barbes postiches et des chapeaux enfoncés jusqu’aux oreilles que les socialistes ont rasé les murs la semaine dernière. Il faut dire que l’on a encore vécu un grand moment de République exemplaire.

Condamnation du député PS de Marseille Sylvie Andrieux (photo) à trois ans de prison, dont un an ferme, et 100.000 euros d’amende pour corruption. Condamnation de l’ancien député PS du Pas-de-Calais Jean-Pierre Kucheida (photo) à 30.000 euros d’amende pour abus de biens sociaux. Qui dit mieux ?

« On se serait bien passé de ces deux condamnations à 24 heures d’intervalle », a déclaré le porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. En même temps, au point où on en est, la remarque frôle la mesquinerie. Les socialistes ont peut-être enfin trouvé le véritable moyen d’en finir avec les affaires: les démultiplier à l’infini.


 La nature humaine étant ce qu’elle est, elle s’attache davantage au rare qu’au multiple, qu’elle finit par ignorer. Un jour pluvieux au mois de mai nous agace; quand il y a en a 31, on finit par oublier que le printemps existe. N’est-ce d’ailleurs pas une ruse de l’histoire ce fameux printemps qui se dérobe sans cesse à la contestation? Bref, c’est bientôt l’homme politique honnête qui nous choquera.

Entre 2005 et 2008, Sylvie Andrieux, vice-présidente déléguée à la politique de la ville a, selon la justice, arrosé pour environ 900000 euros d’argent public (700000 du conseil régional, 200000 du conseil général) une quinzaine d’associations fantômes des quartiers Nord de Marseille dans le but de se créer une clientèle et de conforter son assise électorale.

 Dirigeants de paille, constitution de dossiers de subventions avec émission de fausses factures, associations relais, entreprise véreuse, complicité administrative: le système n’avait rien d’un petit dérapage d’amateur mais tout de l’organisation mafieuse.

Pendant le procès, les langues se sont déliées. Certains trésoriers de paille voulant décrocher ont évoqué les menaces physiques; d’autres ont suggéré qu’une partie de l’argent avait servi à alimenter le trafic de drogue. Les trésoriers encaissaient les subventions et remettaient l’argent liquide à des caïds, principalement les sinistres Boumédienne Bénamar et Benyoub Sane, qui roulaient en grosses berlines louées par les « associations » avec un « salaire » mensuel à la clef pouvant atteindre 5500 euros. En contrepartie, les parasites devaient se débrouiller pour trouver le meilleur moyen de développer le sens civique de leurs concitoyens et les inciter à « voter utile », expression qui prend ici sa signification profonde.

 « Procès de voyous », a lâché le procureur au cours des débats. Voyous des cités. Voyous en col blanc.

 Les mêmes.
Avec Jean-Pierre Kucheida, c’est dans un univers tout aussi baroque que l’on pénètre: la fameuse fédération du Pas-de-Calais, déterminante pour l’élection du premier secrétaire du Parti socialiste et le contrôle de celui-ci. Depuis la mort de Guy Mollet, maire d’Arras et patron de la SFIO, la « fédé 62 » est entre les mains de trois notables locaux, Daniel Percheron, son premier secrétaire de 1973 à 1997, Jacques Mellick, ancien député-maire de Béthune, et Jean-Pierre Kucheida, député-maire de Liévin pendant plus de trente ans.
Pour lutter contre le parti communiste, les socialistes du Nord et du Pas-de-Calais ont très tôt passé des accords avec le Comité des forges et le patronat dont ils ont fini par adopter les manières clientélistes. C’est dans les Grands Bureaux des Houillères, siège des anciens patrons des mines, que Kucheida avait installé ses bureaux de maire de Liévin. Tout un symbole. Prise en charge de la naissance à la mort par le patronat, la vie des ouvriers le sera désormais par le PS.

Détournement de marchés, corruption, favoritisme, fraude électorale: la machine à cash fonctionne à plein tube. Les avions taxis font la navette avec le Luxembourg où est planqué l’argent, ainsi que l’a décrit, dans Rose Mafia (éd. Jacob Duvernet),

 Gérard Dalongeville, l’ancien maire PS de Hénin-Beaumont dont le procès devait s’ouvrir le 27 mai.
C’est en tant que dirigeant de la société de gestion immobilière du Nord-Pas-de-Calais (Soginorpa), qui gère le patrimoine des ex-Houillères, que « Kuche » est tombé. Avec 500 millions d’euros d’emprunts bancaires pour un parc de 63000 logements, la Soginorpa a attiré l’attention de la chambre régionale des comptes dès 2008. Dans un rapport accablant,

 elle dénonçait emplois fictifs, marchés truqués, utilisation à des fins personnelles de la carte bleue de la société, etc

. La Soginorpa avait même financé une exposition photo et la publication d’un beau livre sur une artiste locale appelée MaryKaMarie Kucheida, fille de son père. Dans un deuxième livre publié il y a quelques semaines, PS, je t’aime moi non plus (éd. Jean-Claude Gawsevitch), Dalongeville affirme qu’aucun premier secrétaire du PS ne pouvait ignorer cette corruption institutionnalisée. Et surtout pas celui qui le fut durant onze ans, avant de nous vendre la République exemplaire.
Julien Jauffret
 
Article de l’hebdomadaire “Minute” du 29 mai 2013 reproduit avec son aimable autorisation. Minute disponible en kiosque ou sur Internet.

Crédit photo : Union dr Ernest Schaffner Lens, via Flickr (cc).

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